ParaNorman (Jon Brion)

L'étrange pouvoir de Jon Brion

Disques • Publié le 28/12/2012 par

ParaNormanPARANORMAN (2012)
L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN
Compositeur :
Jon Brion
Durée : 65:34 | 16 pistes
Éditeur : Relativity Music Group

 

3.5 out of 5 stars

Carlos d’Alessio et John Carpenter ont eu un enfant. Comme son papa, il se prénomme Jon. Jon Brion. Depuis qu’il est tout petit, Jon rêve de composer la musique d’un film d’animation, mais il «attendait que le bon projet se présente». Et en attendant, Jon a composé pour le cinéma indépendant américain, arrangé quelques chansons pour des artistes bien choisis, de Rufus Wainwright à Kanye West, et s’est aussi produit sur scène à Los Angeles, au Largo, lors de mémorables concerts du vendredi soir. Touche à tout boulimique, l’amour de la musique et le plaisir à la jouer ne font aucun doute chez lui. Cette année, le projet animé providentiel a fini par se présenter, permettant au musicien gourmand de nouvelles expériences de s’essayer enfin au genre.

 

De Carpenter, Brion tient sans doute son goût pour le synthétiseur, très présent dans ParaNorman. Métronomique, il nous rappelle les pulsations de Fog ou de Halloween III et est systématiquement associé, à l’image, aux zombies des colons pourchassant Norman et ses alliés de fortune. Evoquant immédiatement l’horreur made in 80’s, l’emploi du synthétiseur relève plus de l’hommage que de la parodie. Autour de sa pulsation rythmique infaillible, Brion construit les cavalcades d’action du score, dont le motif récurrent est la poursuite, traduite par les attaques de cuivres ou de violons vrillant les tympans le long des mesures syncopées et haletantes de The Dead Shall Be Raised, Zombie Attack, People Attack ou Aggie Fights. Impeccables, ces morceaux relevant à la fois de l’action et de l’horreur révèlent une écriture orchestrale solide sinon originale.

 

Mais c’est dans la douceur, et en abandonnant les synthétiseurs, que Brion tutoie les anges. En trois mesures évoquant irrésistiblement l’héritage de Carlos d’Alessio, Brion donne vie au personnage de Norman, compose un thème inoubliable et nous transmet un peu de la grâce qui semble l’avoir touché. Présenté dans sa version la plus dépouillée dans Norman At The Piano / Main Title, la mélodie associée à Norman trouve instantanément le chemin du cœur. La plage suivante, Norman’s Walk, arrange le thème en un irrésistible crescendo pop. D’une douceur infinie mais d’une mélancolie déchirante, la plus belle composition de Brion épouse la plus belle scène du film : nous découvrons, en un contre-champ foudroyant, que Norman, qui disait être hanté par les morts qui s’adressaient à lui, n’employait pas là une image.

 

ParaNorman

 

Avouons-le, le reste du score n’atteindra plus jamais ces sommets, avant un très beau final en forme de reprise du thème de Norman à l’harmonica de verre. Avant cette conclusion rêveuse et délicate, Brion aura soigneusement accompagné la lente progression de zombies déterminés et les gesticulations paniquées des héros poursuivis dans la plus pure tradition horrifique. Ces passages, morceaux de bravoure qu’on trouvera parfois longuets, témoignent d’une orthodoxie orchestrale bien rare de nos jours dans le genre. Elle est ici d’autant plus à propos que Brion se sert des couleurs chaudes de ses instruments pour faire ressortir la pulsation synthétique qui rythme les morceaux les plus trépidants et met en valeur le son daté et évocateur du synthé avec finalement bien plus d’efficacité que les accros du sound-design électro multi-couches lorsqu’il s’égarent dans les modulations infinies rendues possibles par les logiciels modernes.

 

Le compositeur et les studios Laïka se sont bien trouvés. Brion partage avec les animateurs à l’oeuvre sur ParaNorman le goût du travail fait à la main, et c’est d’autant plus séduisant que comme eux, il a des doigts de fée. Sa musique, pour nostalgique qu’elle soit du savoir-faire du passé, n’en demeure pas moins authentiquement habitée d’une âme bien vivante. L’inspiration mélodique dont fait preuve le musicien lui permet d’émouvoir, là ou d’autres se seraient perdus dans l’exercice de style stérile. Les fantômes qui hantent le score de ParaNorman peuvent reposer en paix : Jon Brion aime bien trop leur musique pour la regarder mourir. Mieux qu’un hommage, sa musique en est une continuation bien vivante, même si sa plus belle réussite est un thème principal traduisant la mélancolie et le vague à l’âme d’un être pourtant au seuil de la vie. Des sentiments romantiques bien rares dans le cinéma d’animation américain. Pour illustrer le travail d’animateurs dont l’art consiste à donner l’illusion de la vie à partir de poupées inertes qui ont elles-même pour objet d’incarner des personnages morts, le paradoxe semble non seulement naturel, mais aussi précieux.

 

ParaNorman

Pierre Braillon
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