Day Of The Dead (John Harrison)

Virée à Zombieland

Disques • Publié le 14/11/2012 par

Day Of The DeadDAY OF THE DEAD (1985)
LE JOUR DES MORTS-VIVANTS
Compositeur :
John Harrison
Durée : 71:34 | 11 pistes
Éditeur : Numenorean Music

 

4 out of 5 stars

C’aurait dû être un colossal film de guerre rempli de chairs putréfiées, une fresque au goût de cendres où les vivants et les morts se seraient entre-déchiquetés dans une apocalypse sanglante. Rétrospectivement, on reste stupéfait que George A. Romero ait sérieusement envisagé un aussi démentiel coup de poker, à une époque où même les Italiens, pourtant les premiers à s’être engouffrés dans la brèche ouverte par le fulgurant succès de Dawn Of The Dead (Zombie), ne se sentaient plus guère d’accointances avec les cadavres en goguette. De fait, ne rencontrant sur son chemin que portes closes et chéquiers se verrouillant abruptement, le trop ambitieux Day Of The Dead (Le Jour des Morts-Vivants) avait d’abord paru condamné à grossir les rangs déjà fournis des projets avortés du cinéaste. Mais au prix de réécritures drastiques et d’exigences pécuniaires en chute libre, ce dernier, plus pugnace que jamais, réussit à donner un troisième chapitre à sa fameuse saga d’outre-tombe. La contestation virulente, les castes antinomiques au bord du casus belli : toute la substantifique moelle du propos initial de Romero s’y révélait sauve. Aux antipodes, la forme du film avait subi de radicales mutations, passant du quasi blockbuster chargé de pyrotechnie au lugubre huit clos souterrain, bien évidemment moins onéreux. Victimes de ce brusque changement de cap, les grandes pompes symphoniques dont l’idée avait été un temps caressée s’étaient, quant à elles, volatilisées au profit du tout-synthé, chapeauté ici par l’homme-orchestre (ha ! ha !) John Harrison. On ne sait si Romero a conçu quelque frustration de cet abâtardissement musical. Mais force est de reconnaître que ce qui n’était à l’origine qu’une simple roue de secours est devenu un atout secret.

 

Il y a des cinéastes qui ne sentent jamais autant à leur avantage que lorsqu’ils peuvent travailler en famille, épaulés par des collaborateurs récurrents en qui ils ont toute confiance. Le réalisateur du mythique Night Of The Living Dead (La Nuit des Morts-Vivants) a lui aussi construit sa carrière à la tête d’une troupe d’apôtres fidèles, dont John Harrison n’était pas l’un des moindres. Cumulant, sous l’égide de Romero ou pour son propre compte, les casquettes les plus hétéroclites (metteur en scène, scénariste, acteur, compositeur), le gaillard s’est retrouvé à faire feu tous azimuts durant le tournage de Day Of The Dead. En plus de la partition, le poste d’assistant réalisateur est également tombé dans son escarcelle, ce qui lui a notamment valu de mettre en boîte la séquence d’ouverture, saisissant avant-goût d’un enfer à ciel ouvert où les morts déambulent par milliers. La tentation est forte de penser que cette place privilégiée sur la ligne de front a pu décupler l’inspiration musicale d’Harrison, qui réussit d’emblée, grâce au sinistre ostinato dont il se montrera friand tout au long du score, à rendre tangible l’impression d’un chaos crépusculaire. Mais parce que les rares survivants de l’humanité, même reclus dans les entrailles de la terre, ne peuvent s’empêcher de rêver à un ailleurs édénique, le compositeur n’hésitera pas à altérer la noirceur de ses timbres électroniques pour accoucher d’un thème guilleret, aux airs pour le moins inopinés de calypso. Nimbés d’un premier degré sans fard, ces arpèges glougloutants auraient pu ployer sous le poids du ridicule. Il n’en est rien, tant l’émotion pas ordinaire qu’ils laissent affleurer matérialisent avec brio la vision de palmiers et de plages de sable doré.

 

Bub vous salue bien

 

C’est d’ailleurs sur l’évocation de cette oasis, enfin découverte par les héros lors d’un épilogue presque estival, que s’achève The Dead Suite, immense procession sonore de vingt minutes où Harrison dévoile tous ses axes thématiques, plus nombreux et fouillés qu’une écoute en dilettante ne le laisserait supposer. Par exemple, le motif de quatre notes dédié au personnage de Bub, zombie apprivoisé par la science qui se débat tant bien que mal avec ses souvenirs en lambeaux. Son regard ahuri et la maladresse tâtonnante de ses gestes sont ceux d’un enfant, et l’incroyable interprétation du comédien Howard Sherman ne pouvait trouver meilleur allié que cette sorte de comptine espiègle. Sans conteste, le capital sympathie de Bub, qui est bien la dernière chose qu’on se serait attendu à trouver chez un trépassé ambulant, doit une fière chandelle à Harrison. Mais qu’on ne s’y trompe surtout pas ! Aussi placide soit-elle, la créature n’a pas renoncé à ses instincts sanguinaires. Le chef du clan militaire en fera l’expérience fatidique lors d’un mémorable face-à-face, rythmé par le crescendo des synthétiseurs s’enflammant peu à peu, avec une efficacité rugueuse, jusqu’à l’explosion soudaine de borborygmes dissonants et volontiers caricaturaux. Puis de conclure, tel un pied de nez goguenard, par une ultime résurgence des quatre notes enfantines, accolées au salut martial qu’un Bub au garde-à-vous jette à sa victime.

 

Face à la caméra de George Romero, les zombies ont toujours incarné une force de destruction aveugle que rien n’arrête. Qu’il ait pu, à l’occasion, les gratifier d’un regard compatissant, voire prendre fait et cause pour eux, ne change pas grand-chose à l’affaire. A peine le film a-t-il démarré qu’on ne donne déjà plus cher de la peau des quelques rescapés, seuls contre la multitude pourrissante. Et quand s’enclenche la traditionnelle attaque finale contre le repaire des humains, le convulsif Escape Invasion s’abandonne à une hargne rock’n’roll, simili guitare électrique à l’appui, qui fait des morts-vivants les nouveaux blousons noirs semant la désolation sur leur passage. Au bord de l’abîme, Sarah (une héroïne «à la James Cameron» que joue superbement Lori Cardille) passe par tous les états dans Breakdown, entre la sombre détermination de synthés violemment métalliques et le désarroi insufflé par une pudeur mélodique bienvenue. En dépit de la modicité de ses instruments et des embûches inhérentes à une durée fleuve (la musique est omniprésente, ou pas loin), John Harrison accomplit la gageure de ne jamais faire inutilement doublon avec les images, annihilant du même coup le terme cheap qu’un réflexe pavlovien a trop souvent rendu synonyme de synthétiseur.

 

L'impact de Christophe Maé sur un être humain est radical

 

A ce degré d’excellence musicale, l’album concocté par les gens de feu Numenorean Music n’en est que plus frustrant. Bon nombre des bandes d’origine, apparemment englouties par quelque faille temporelle vorace, manquent à l’appel et amputent Day Of The Dead de certains de ses plus stimulants geysers d’inspiration. En guise de bien fruste palliatif, le défunt label s’est hasardé à prélever de larges parts dans la piste sonore du film, dont seuls les dialogues ont pu être rabotés. D’où une kyrielle de coups de feu et de gémissements émis par les morts en marche dans Deadly Beginnings (qui a l’humble mérite, les puristes le diront, de présenter la fameuse éructation électronique que The Dead Suite escamotait au moment où le titre du film remplit tout l’écran) et surtout Dead End, la plus longue pièce du disque. Les mélomanes de bonne volonté, s’ils parviennent à faire fi des nuisances auditives, dénicheront là quelques jolies pépites prolongeant habilement l’œuvre du compositeur, comme ces variations tour à tour noires et candides autour du thème de Bub. En revanche, c’est sans le moindre remords qu’on fichera aux orties des amuse-gueules aussi facultatifs que Bub’s 9th, reprise éclair de L’Ode à la Joie de Beethoven.

 

Si John Harrison avait eu voix au chapitre, il aurait peut-être fait en sorte de délester le track listing d’autres titres d’un intérêt plus que modéré à ses yeux. En l’occurrence, les deux chansons inscrites au menu semblent ne jamais l’avoir séduit plus que cela (et George Romero pas davantage, à l’en croire). Il n’a pourtant pas à rougir de cette collaboration, fût-elle moins artistique que de nature rigoureusement contractuelle, avec Jim Blazer et Sparaccino Fuzzy, les figures de proue du groupe Modern Man. Pour preuve, The World Inside Your Eyes, plaisant point final à Day Of The Dead, ne dépareille pas et se fond même avec un irréprochable naturel parmi les synthés lumineux berçant les toutes dernières images du métrage. De quoi accroitre encore le crédit de cette excellente partition, qui se dérobe à merveille aux affres du temps mais continue à croupir dans l’ombre des plus illustres fleurons électroniques des années 80, John Carpenter à leur tête, alors que sa place véritable est de trôner auprès d’eux.

 

C'est l'heure du goûter

Benjamin Josse
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