MANHUNTER (1986)
LE SIXIEME SENS
Compositeur : Michel Rubini & The Reds
Durée : 43:04 | 10 pistes
Éditeur : Intrada
Bien avant les grands succès de Heat, Collateral et Miami Vice, Michael Mann avait déjà pris l’habitude de faire des BOs de ses films des objets composites mêlant créations originales et chansons existantes choisies pour leurs affinités avec son univers esthétique. Alors que plus tard dans la saga l’on trouvera des musiques marquées du style très personnel de leurs auteurs et consacrées presque uniquement à la psyché torturée et effrayante du tueur, celle de Manhunter, indéniablement la plus rock de toutes, est plutôt le témoin d’une époque et des goûts d’un artiste, un patchwork, un kaléidoscope d’œuvres diverses participant néanmoins à une cohérence d’ensemble. Fan de groupes en vogue à l’époque tels The Prime Movers, Shriekback et Red 7, que l’on retrouvera également dans la série Miami Vice, Michael Mann leur emprunte un ou plusieurs titres pour son film et restitue ainsi pleinement l’esprit des années 80, tant musicalement que visuellement. Sa prédilection pour les univers urbains nocturnes et les images aux couleurs saturées, rouges ou bleutées, trouve son reflet idéal dans des chansons comme In-A-Gadda-Da-Vida du groupe-phare Iron Butterfly, Strong As I Am de The Prime Movers et Coelocanth de Shriekback. Dans ces deux derniers titres, pourtant dus à des artistes différents, l’on constate d’ailleurs une surprenante parenté instrumentale, un aspect très planant ainsi que l’usage d’une flûte de Pan invitant au voyage, à l’exotisme et au rêve.
L’expérience hallucinogène se poursuit avec Heartbeat de Red 7 et surtout avec les deux autres chansons de Shriekback, This Big Hush et Evaporation, marquées par des rythmes répétitifs et des voix hypnotiques qui se répondent en échos. Beaucoup plus atmosphériques que descriptives ou illustratives, ces musiques s’avèrent finalement plus adaptées à l’univers de Michael Mann qu’au genre du thriller ou de l’horreur, choix qui peut paraître justifié dans la mesure où le personnage d’Hannibal Lecter apparaît encore très peu ici et où l’on se concentre avant tout sur l’agent Will Graham, dont l’exploration des bas-fonds s’apparente à un nouveau voyage au bout de la nuit et s’accompagne de morceaux envoûtants que l’on croirait écrits sous acide.
Parallèlement, le réalisateur a tout de même demandé une partition originale au groupe de rock psychédélique The Reds ainsi qu’à Michel Rubini, ce dernier étant également issu des milieux du rock et de la pop et ayant déjà composé, dans le registre du fantastique et de l’horreur, les scores de The Hunger (Les Prédateurs) et de What Waits Below. L’album paru d’abord en LP et réédité en 2010 par Intrada ne contient qu’un seul titre de Rubini, composé avant même que le film ne soit tourné : Graham’s Theme. Interprété par un synclavier très brumeux et planant, ce morceau reflétant avec éloquence les états d’âme du héros connaît d’abord des moments sombres et dépressifs avant de s’orienter vers plus de lumière grâce à l’arrivée d’une guitare électrique aux accents très lyriques et entêtants. Quant aux compositions de The Reds, à leur tour presque entièrement électroniques, elles se focalisent sur les scènes de suspense les plus cruciales du film. Tendues, étranges voire inquiétantes, elles semblent évoquer de vastes étendues désertiques d’où l’on s’attend à voir émerger un danger à tout instant. Faites de longues nappes synthétiques parfois ponctuées de batterie, de guitare électrique et de samples de respiration haletante, Lector’s Cell et Jogger’s Stakeout se révèlent d’une grande efficacité en plongeant immédiatement l’auditeur dans une atmosphère sourde et malsaine, le meilleur arrivant avec Leed’s House, proche des travaux de John Carpenter tels Halloween et The Fog.
Très typique des années 80 et pouvant de ce fait susciter aussi bien la nostalgie que le mépris, la bande originale de Manhunter, si elle peut paraître un peu kitsch aujourd’hui et à déconseiller très fortement aux détracteurs du synthétiseur, n’en fait pas moins l’objet d’un véritable culte. Très emblématique de l’univers de Michael Mann, brassant de nombreuses références allant de Genesis à Pink Floyd, assez proche dans sa conception chansons/composition originale d’autres célèbres musiques de séries B horrifiques comme les Friday The 13th (Vendredi 13) et annonçant d’autres réussites du genre telles The Lost Boys (Génération Perdue), elle s’avère en tout cas parfaitement appropriée au film et fort attachante.