HARRY POTTER AND THE ORDER OF THE PHOENIX (2007)
HARRY POTTER ET L’ORDRE DU PHÉNIX
Compositeur : Nicholas Hooper
Durée : 52:22 | 18 pistes
Éditeur : Warner Bros. / WEA
Après John Williams et Patrick Doyle, deux compositeurs à la forte personnalité qui ont chacun su s’approprier l’univers créé par J.K. Rowling, c’est au quasi inconnu Nicholas Hooper que revient la charge de mettre en musique le cinquième opus et de trouver un juste milieu entre tradition et renouvellement afin de satisfaire au mieux les attentes. Comparse du réalisateur David Yates depuis les débuts de ce dernier au cinéma, Hooper a essentiellement travaillé sur des films dramatiques, des téléfilms et des séries télévisées, à cent lieues d’un projet de l’envergure de Harry Potter And The Order Of The Phoenix. N’ayant pas encore fait ses preuves dans le domaine du film à grand spectacle, il a donc suscité des craintes légitimes chez les béophiles : ne risquait-on pas d’obtenir de lui un score forcément en deçà des possibilités offertes par le sujet ? Hélas, un tel jugement a priori a largement empêché de considérer les qualités réelles d’un compositeur à qui l’on a reproché de ne pas avoir réemployé les thèmes de Williams et surtout de ne pas être John Williams, ce qui est profondément injuste. En fait, la musique de ce cinquième Harry Potter est loin d’être le fiasco que ses détracteurs ont dénoncé. Elle remplit parfaitement son rôle dans le film, soutenant avec efficacité les scènes d’action (de toute façon peu nombreuses) et les scènes d’émotion, toujours avec bon goût et sobriété.
Du coup, c’est peut-être là que se situe le problème : dans cette (trop) grande discrétion, due à la fois au mixage de la musique dans le film – David Yates étant visiblement un ennemi de la surenchère – et à la personnalité peu extravertie du musicien, loin de l’exubérance qui caractérise tant Doyle que Williams. En effet, le reproche majeur concernant la musique semble avoir été avant tout celui-là : on ne s’en souvient pas assez, elle n’est pas assez marquante, il n’y a pas de morceau que l’on puisse fredonner en sortant de la salle de cinéma, etc… C’est assez vrai, mais dans ce cas, ce reproche peut être tempéré par l’écoute de l’album, qui permet de rendre justice au score d’Hooper, beaucoup plus méritant qu’on a bien voulu le reconnaître. On peut même parler d’une véritable réhabilitation puisqu’en écoutant la musique séparément des images puis en revoyant le film, l’on se rend compte que le travail du compositeur joue un rôle réel à l’écran et confère une saveur supplémentaire à bon nombre de séquences. Si elle ne s’élève pas au même niveau que les précédentes, elle n’en possède pas moins de vraies qualités et se révèle à la fois gracieuse, subtile et entraînante.
Le défi majeur, comme toujours, ce sont les thèmes : Hooper en a créé plusieurs. Le problème, c’est qu’ils ne sont ni assez développés ni assez utilisés. D’un côté, le compositeur nous prouve qu’il est fort doué dans l’art de créer de belles mélodies ; de l’autre, celles-ci n’apparaissent à chaque fois que le temps d’une seule scène ou d’un seul morceau, et c’est en cela qu’elles n’ont pas le moyen de marquer durablement le spectateur/auditeur. En dehors du thème d’Hedwig – employé de façon sporadique comme dans The Goblet Of Fire, lors de l’introduction puis du voyage à Hogwarts -, on peut dire que seul le thème de Dolores Umbridge se montre immédiatement accessible et employé de façon suffisante pour être retenu, d’autant plus que le personnage marque fortement les esprits (voir Professor Umbridge et Umbridge Spoils A Beautiful Morning). Enlevé et pimpant de prime abord, à l’instar de cette petite femme souriante et toute de rose vêtue, ce thème s’avère volontairement irritant à la longue à force de répétitions, tympanisant l’auditeur par ses crescendos de clochettes et ses ritournelles de cordes, reflétant fidèlement le caractère tenace du personnage, dont les obsessions confinent à la folie. La menace se profile lorsque le thème s’abîme dans l’ombre à l’aide de cordes graves et sourdes ou d’une clarinette ironique, et Hooper semble alors citer le Thomas Newman grinçant de Lemony Snicket’s A Series Of Unfortunate Events (Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire).
En somme, après avoir constaté que le score se montrait efficace dans le film à défaut d’être vraiment mémorable, il faut considérer exclusivement son rendu sur l’album pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. De ce point de vue, la réussite devient indéniable puisque bon nombre de morceaux sont de véritables petits bijoux qui mériteraient d’être commentés un par un à l’instar d’une série de pièces classiques. En effet, suivant l’exemple de The Chamber Of Secrets, Hooper a construit son album comme une véritable œuvre de concert, proposant des suites parfaitement structurées en regroupant des segments disséminés tout au long du film ; on pourra contester le choix de bouleverser totalement l’ordre chronologique mais celui-ci n’empêche pas de goûter la cohérence d’ensemble. Sur le disque, on trouvera donc une régulière alternance de morceaux lyriques et épiques, lumineux et sombres, doux et agressifs, afin de rendre l’écoute la plus agréable et la plus équilibrée possible.
En accord avec les enjeux de l’intrigue, le compositeur accorde un soin particulier aux séquences consacrées à l’Ordre du Phénix et surtout à la formation de son avatar « junior », l’Armée de Dumbledore : ainsi propose-t-il dans Flight Of The Order Of The Phoenix une marche très entraînante aux accents presque patriotiques, dont les tambours et les cuivres martiaux emportent l’auditeur dans les cieux lors d’une excursion londonienne à dos de balais. Seul regret, que l’on aura à exprimer souvent : le morceau est trop court, on aurait tellement aimé en entendre plus ! Même constat à propos de Dumbledore’s Army avec sa splendide mélodie pour flûtes et cors soutenue par des cordes virevoltantes, qui accompagne les scènes de recrutement puis d’entraînement de la fameuse armée, et à propos de Fireworks, dont les envolées étourdissantes et triomphales expriment toute la joie des élèves qui se révoltent contre la tyrannie, l’usage d’une guitare électrique un brin irrévérencieuse intervenant à point nommé pour illustrer le passage du classicisme à la modernité. Ce morceau reflète par ailleurs de façon éloquente l’esprit fantaisiste qui anime la musique de Nicholas Hooper, sur un mode certes moins démonstratif que celui de John Williams dans The Prisoner Of Azkaban mais néanmoins fort appréciable. Il sera présent notamment dans le sautillant The Ministry Of Magic, qui alterne avec bonheur mystère, émerveillement et mickey mousing, et surtout dans l’excellent The Room Of Requirements, longue suite correspondant aux parties de cache-cache entre l’Armée de Dumbledore et ses poursuivants, régulièrement bernés. Porté par des chœurs éthérés illustrant la dimension quasi mystique de cette sorte de caverne d’Ali-Baba, ce morceau de bravoure magique et éblouissant progresse à partir d’infinies variations sur un thème intrigant et malicieux interprété par des cordes, des bois et surtout par le glockenspiel, omniprésent dans toute la partition.
On peut considérer que c’est lors des séquences consacrées aux forces du Mal que le compositeur se montre le moins convaincant et c’est là qu’on peut lui reprocher à juste titre de ne pas se montrer à la hauteur de ses prédécesseurs : en un mot, de ne pas faire exploser son orchestre, qui semble fort chétif ! Bien sûr, il faudrait d’abord blâmer le metteur en scène, qui nous propose des scènes d’affrontements beaucoup trop brèves voire expédiées, comme s’il n’était pas vraiment intéressé par cet aspect de l’histoire, mais l’on sent tout de même qu’Hooper n’est pas très à l’aise pour illustrer les scènes d’action ou de maléfices et qu’il se contente du minimum nécessaire. Dans Dementors In The Underpass, il illustre l’attaque des gardiens d’Azkaban à l’aide du même mélange que celui employé par Williams dans le troisième opus (cordes gémissantes, cuivres grinçants et chœurs masculins gutturaux et oppressants), mais pour un résultat beaucoup moins intense et ne proposant pas de nouveau thème quand apparaît le Patronus. Le début de Hall Of Prophecy, atmosphérique et relativement passe-partout, déçoit un peu et la seconde partie peine à son tour à décoller vraiment malgré l’emploi d’une abondance de cordes stressées et de lourdes percussions. Les élans dramatiques de Darkness Takes Over font preuve d’un peu plus de vigueur mais tout de suite après l’on s’ennuie durant la moitié de Death Of Sirius, qui ne transcende pas assez le duel à mort entre l’Ordre du Phénix et les Death Eaters. A peine une minute de pseudo-déchaînement orchestral ponctué par des chœurs samplés chantant en sourdine, c’est beaucoup trop peu ! Alors que Voldemort a retrouvé toute sa puissance et qu’il s’attaque une seconde fois à Harry, Hooper n’attribue aucun thème au Dark Lord : cela s’appelle tout simplement rater le coche…
C’est dans les morceaux élégiaques et contemplatifs que le compositeur se rattrape largement car on sent qu’il y a mis tout son talent, soulignant avec finesse et profondeur les états d’âme du héros, les difficultés du passage à l’âge adulte, la perpétuelle dualité enchantement/désenchantement face à la beauté et à la cruauté du monde. Avec les nombreuses scènes où Harry se confie à ses proches et continue de se recueillir face à la nature, il y avait largement de quoi faire : atmosphère nostalgique et rêveuse dans Another Story, adagio douloureux dans Possession, sonorités infiniment délicates et aériennes dans The Kiss, harmonies graves et tourmentées qui s’ouvrent tantôt sur des élans de gaieté et de tendresse enchanteurs (A Journey To Hogwarts) tantôt sur des envolées d’une grâce et d’une noblesse enivrantes (The Sirius Deception)… À ceux qui diront que le style de Nicholas Hooper est impossible à identifier, nous répondrons néanmoins qu’il se situe le plus souvent, toutes proportions gardées, à mi-chemin entre Williams (la dernière partie de The Room Of Requirements, véhémente et exaltée, rappelle fortement Hook) et certains compositeurs classiques tels Tchaikovsky, dont les ballets sont ici une référence évidente. Elégante, contrastée et riche sur le plan mélodique, orchestrée avec raffinement, imprégnée d’un lyrisme fragile et poignant, la musique de Harry Potter And The Order Of The Phoenix trouve peu à peu sa place en tant que premier score à tendance intimiste de la saga ; et si elle s’avère ponctuellement insuffisante car Hooper, tout comme David Yates, avait encore du mal à se situer par rapport à ses prédécesseurs, ces manques seront rattrapés dans l’opus suivant, plus satisfaisant à tous points de vue.