Shrek (Harry Gregson-Williams & John Powell)

Il était une fois...

Disques • Publié le 04/08/2010 par

ShrekSHREK (2001)
SHREK
Compositeurs :
Harry Gregson-Williams & John Powell
Durée : 44:38 | 27 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

4 out of 5 stars

 

Suite aux succès des excellents Antz (Fourmiz) et Chicken Run, Harry Gregson-Williams et John Powell se sont affirmés, après Mark Mancina quelques années auparavant, comme les plus doués de tous les compositeurs travaillant chez MediaVentures. Leur troisième collaboration était donc fiévreusement attendue par les béophiles, trop heureux de trouver dans l’écurie de Hans Zimmer des musiciens capables d’assurer tant dans le domaine de la mélodie et de l’orchestre symphonique que dans celui du rythme, de l’action et de l’électronique… Leurs deux précédents scores ayant connu les joies d’une édition officielle au moment de la sortie des films, on pouvait espérer la même chose pour Shrek : quelle déception quand seul un album de chansons a envahi les magasins ! Il faut dire que le réalisateur Andrew Adamson s’est beaucoup appuyé sur les chansons branchées destinées à s’attirer la connivence du jeune public et que ces dernières jouent un rôle réel dans l’aspect référentiel et parodique du film… Mais de là à n’offrir du score que trois minutes en fin d’album, quel sacrilège ! Il aura fallu attendre patiemment six mois de plus pour bénéficier d’un CD très bien produit par le label Varèse Sarabande, qui éditera par la suite tous les scores de la saga. À l’écoute de ce nouvel album, on redécouvre vraiment la musique composée par Gregson-Williams et Powell, à laquelle le montage sonore et le mixage du film ne rendaient pas forcément justice.

 

Si Antz avait prouvé que les deux compères étaient capables de concevoir des thèmes nombreux, variés et très plaisants à l’écoute, Chicken Run avait démontré leur grande maîtrise de l’orchestre après des partitions à forte composante synthétique. Un peu moins flamboyant que ce dernier, Shrek se présente néanmoins comme une savante synthèse de ses deux prédécesseurs, mêlant avec brio aventure, romance et humour. Le thème des contes de fées, devenu culte au point d’illustrer désormais le logo du studio au début de chaque film d’animation signé Dreamworks, est exposé dans toute sa lumineuse et fragile beauté dès la première piste, Fairytale, à l’aide d’instruments aux sonorités cristallines – féérie oblige -, d’une flûte et de chœurs éthérés. Il sera décliné de nombreuses fois dans la partition, principalement lorsqu’apparaît la princesse, mettant l’accent tantôt sur les chœurs ou la voix soliste, tantôt sur les cordes, de Fiona Awakens à The End, en passant par les lyriques I’ll Tell Him et Fiona’s Secret ou encore par le délirant Singing Princess où l’on peut entendre chanter l’héroïne en duo avec un rossignol jusqu’à un finale particulièrement strident !

 

Ce dernier morceau, tout comme le frénétique Fiona Kicks Ass, qui reprend le même thème à l’accordéon et à la trompette pour illustrer les hauts faits guerriers de la princesse parodiant Trinity dans The Matrix (Matrix), fait état de l’une des principales qualités du tandem Gregson-Williams / Powell : un sens inné de la fantaisie qui fait mouche à tous les coups et qui trouve indéniablement dans le film d’Andrew Adamson un lieu d’expression privilégié. Par exemple, toutes les scènes faisant intervenir le vaniteux et ridicule Farquaad, seigneur de pacotille, versent dans une démesure bienvenue, voire jouissive par moments : percussions martiales, chœurs masculins typiques des partitions estampillées MediaVentures et attaques tonitruantes d’orgue d’église dans March Of Farquaad, mélange censé illustrer la grandeur du prince avec une emphase d’autant plus déplacée que le personnage… est un nabot ! On retrouve ce même mélange dans Ogre Hunters / Fairytale Deathcamp, Why Wait To Be Wed et surtout Tournament Speech, dont les sonneries de cuivres pompeux s’achèvent sur un couac retentissant… L’humour musical des deux compères est omniprésent et, bien que les drôlatiques petites chansons Welcome To Duloc et Merry Men ne soient pas de leur invention, ils savent restituer dans leur musique la touche de délire contenue dans les images en grossissant le trait, en exagérant tout, en commettant des « fautes de goût » très travaillées…

 

Shrek

 

Les passages de mickeymousing sont fréquents mais jamais épuisants et font même preuve d’une étonnante richesse car ils reposent toujours sur des mélodies chatoyantes et des orchestrations de grande qualité – le délicieux The Perfect King est là pour le prouver. On trouve également des thèmes solides, par exemple celui associé à Donkey à partir de Donkey Meets Shrek et magnifié dans What Kind Of Quest, mélodie héroïco-comique aux accents enflammés typique des deux auteurs et illustrant à merveille les aventures de leurs improbables héros. Un morceau comme Uninvited Guests rend bien compte du dosage parfait entre aventure, suspense, humour et émotion qui fait toute la saveur de cette partition. Après une introduction mystérieuse qu’on pourrait dire héritée de The Borrowers (Le Petit Monde des Borrowers) et qui rend par ailleurs hommage au style d’Alan Silvestri, on passe aux rythmes sautillants et aux mélodies sifflées tout droit sortis de Chicken Run pour enchaîner sur une reprise épique du thème de Donkey et sur des envolées trépidantes accompagnant l’invasion de la maison de Shrek par les autres créatures de contes de fées. La conclusion triomphale, toute de mouvements de cordes voluptueux, de pizzicati malicieux et de cuivres altiers, est un vrai moment de bonheur enlevé et chaleureux, mêlant habilement les styles des deux compositeurs et annonçant déjà, pour l’un Sinbad, Legend Of The Seven Seas (Sinbad, la Légende des Sept Mers) et Kingdom Of Heaven, et pour l’autre Robots et Ice Age : The Meltdown (L’Age de Glace 2).

 

Nécessaires mais faisant pâle figure face au reste, les morceaux intimistes et mélancoliques présentent moins d’intérêt : fondés sur des instrumentations très dépouillées à base de guitare et de cordes parfois rejointes par un marimba (Eating Alone), ils correspondent aux moments de solitude ou de réflexion qu’on attend de voir passer pour en arriver aux pièces de résistance. Le meilleur vient alors dans les scènes faisant apparaître le dragon : Dragon!, Escape From The Dragon et Ride The Dragon, bourrés de cuivres et de percussions ébouriffantes, de chœurs grandiloquents et même de rythmes synthétiques technoïdes qui apportent à l’ensemble la touche contemporaine de rigueur, figurent parmi les morceaux les plus exaltants du disque. Dernier score composé par le tandem, Shrek est donc une belle réussite qui constitue encore aujourd’hui – excepté les travaux de John Powell en solo – ce que l’on peut faire de mieux en matière de musique de film d’animation. Hélas, une fois cette collaboration d’excellence terminée, tous les autres opus de la saga, composés par Harry Gregson-Williams seul, laisseront un arrière-goût d’amertume et de nostalgie…

 

Shrek

Gregory Bouak
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