AMELIA (2009)
AMELIA
Compositeur : Gabriel Yared
Durée : 52:50 | 13 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Il ne fait guère de doute que les aventuriers du ciel représentent, aux yeux de Gabriel Yared, une merveilleuse et intarissable source d’inspiration, comme l’ont toujours été les immenses étendues désertiques pour Maurice Jarre et les océans si chers à John Scott. La musique de The English Patient (Le Patient Anglais), encore toute auréolée du prestige de l’Oscar glané en 1996, vient bien sûr spontanément à l’esprit, envahissante au point de rejeter dans l’ombre le travail pourtant digne d’intérêt accompli sur L’Instinct de l’Ange, Wings Of Courage (Les Ailes du Courage), Map Of The Human Heart (Cœur de Métisse) et même, bien que le curieux film de Cédric Kahn ne relève pas vraiment des épopées romanesques au bleu azuréen, L’Avion. Le gracieux Amelia s’inscrit dans la droite lignée de ces partitions aux atmosphères subtiles et à la thématique généreuse. « Doux Jésus, un autre de ces scores qui transpirent l’académisme » pourraient se lamenter les esprits chagrins, nostalgiques des expérimentations à tout crin, chez Beineix ou Laloux, du Yared des débuts ; votre serviteur, quant à lui, préfère pencher pour l’affinement d’un style au classicisme onctueux, face auquel on ne peut qu’abandonner toute vitupération intempestive.
C’est de toute manière de classicisme dont il est question dans le film de Mira Nair, nouvelle incursion de la réalisatrice indienne en terre américaine. Tout semblait pourtant propice à ce que le destin hors du commun d’Amelia Earhart, figure majeure de l’aviation ayant mystérieusement disparu au-dessus du Pacifique, lors d’un tour du monde entrepris en 1937, débouche sur l’une de ces meringues hollywoodiennes boursouflées, prête à jouer jusqu’à l’écœurement la carte de la surenchère lacrymale. Mais Nair, peut-être parce qu’elle se défiait des trémolos languissants auxquels le récit paraissait voué, a pris le parfait contre-pied de toutes ces attentes en adoptant un ton résolument sobre et pondéré… Et c’est justement là, trois fois hélas, que le bât blesse. Car à trop vouloir éviter l’emphase, Amelia finit par rester désespérément cloué au sol, embourbé dans de ternes enjeux narratifs au potentiel dramatique mort-né. Ne subsiste donc plus de l’ambitieux projet qu’un vulgaire biopic parmi une kyrielle d’autres, où une Hilary Swank loin de ses plus belles prestations et un Richard Gere aussi monolithique qu’à l’accoutumée semblent se morfondre de concert avec le spectateur.
Egarée au milieu de ce marasme, la musique s’impose, dès ses premières notes délicates, comme l’unique élément capable de faire sourdre l’émotion tant espérée. Yared, mélodiste émérite, a érigé son travail autour d’un thème en tous points magnifique, dont le lyrisme poignant n’est pas sans évoquer les grandes heures de John Barry. Ces cordes élégiaques, ce piano touchant, demeurent par ailleurs la clef de voûte d’une partition sachant doser ses effets avec nettement plus de sensibilité que le film désincarné de Mira Nair, et ne dérogeant que d’une façon très épisodique à la superbe retenue dont elle a fait son sacerdoce. Ainsi, No Longer A Passenger (dont on retrouvera la tonalité sombre et tourmentée dans les onze minutes du lent crescendo de Final Flight) et peut-être plus encore le spectaculaire Hawaii Crash renouent, même si ce n’est que pour de fugaces instants, avec le souffle de l’anthologique score rejeté de Troy (Troie).
L’autre saillie marquante d’Amelia tient aux captivantes ambiances orientales qui imprègnent Flight To Wales, Amelia And George ou bien encore Vagabond Of The Air, ambiances sous la coupe de flûtes indiennes aussi subtiles qu’envoûtantes. Un choix artistique qui, de prime abord, se justifierait amplement par l’exotisme des contrées survolées par l’héroïne, mais auquel ne sont pas forcément étrangères les origines de Mira Nair et la place importante qu’occupent les caressantes sonorités de l’Orient dans l’œuvre de Gabriel Yared. Peu importe, en fin de compte, puisque ces excellents passages respectent à la lettre les mots d’ordre de la partition : une grâce aérienne et une beauté de tous les instants, destinées à toucher le cœur. Ce noble précepte, Yared met un point d’honneur à le respecter jusqu’au bout, quand survient une ultime reprise du thème principal dont les notes, peu à peu, s’éteignent avec une infinie douceur, comme pour accompagner pudiquement le dernier voyage d’Amelia Earhart.