GHOST IN THE SHELL (1995)
Réalisateur : Mamoru Oshii
Compositeur : Kenji Kawai
Séquence décryptée : Ghost City (0:33:02 – 0:36:22)
Éditeur : RCA / BMG-Victor
Si les androïdes rêvent, font-ils parfois des cauchemars ? Le major Kusanagi, sans aucun doute. Tiraillée par une angoisse sourde qui ne cesse de croître, elle promène son inquiétude dans les rues jamais éteintes de la mégalopole dont elle est le vigile infatigable pour le compte du gouvernement propriétaire de chaque pièce de son corps. Quant à son âme… Kusanagi commence à douter d’avoir même le fantôme d’une âme. Qu’y a-t-il d’elle dans ce fameux « ghost » tant convoité par le redoutable pirate informatique Puppet Master ? Envahie par un doute existentiel inédit, Kusanagi erre à la recherche d’une réponse, et ne trouve que les reflets de ses questions. Et les échos du chant scandé dans son sillage par Kenji Kawai.
Le compositeur n’hésite pas à traduire les méditations circonvolées de Oshii par des choix musicaux parfois élémentaires. Ici, l’équilibre troublé de Mokoto Kusanagi, angoissée à l’idée d’avoir perdu la trace de son identité humaine, s’illustre par le dialogue d’un chœur féminin aigu et de percussions graves. Un contraste musical sans demi-teinte mais rappelant très justement le conflit travaillant le super-cyborg de la Section 9. Déclinée avec de légères mais essentielles variations à trois moments pivots du récit, cette seconde occurrence du chant, au développement ici inachevé, est complétée en milieu de scène par des passages synthétiques atmosphériques. Ils tissent la trame sonore du paysage cyberpunk contemplé par Motoko, d’une façon conventionnelle mais prenante. Le chant revient ensuite, reprise de la première partie du morceau, en miroir.
Un jeu de reflet qui est aussi le moteur plastique de la scène : Kusanagi aperçoit un visage lui ressemblant trait pour trait, et la caméra s’attarde sur les silhouettes de mannequins rappelant sa silhouette, dressés comme autant de point d’interrogations renforçant les incertitudes de la cyborg. Défilant devant ses yeux, le paysage urbain comme ses habitants partagent l’hiératisme de la femme-robot. C’est d’ailleurs une autre lecture de la dualité instrumentale de la composition : insaisissable dans l’action, Kusanagi peut retrouver en un battement de cils une immobilité de statue. Ou de mannequin… La ville entière semble s’accorder à l’humeur de la cyborg : comme engourdie, tout y bouge au ralenti, voire se fige totalement quand certains plans entièrement statiques donnent à contempler longuement les décors envoûtants brossés par les décorateurs d’Oshii. Accompagnant le lent défilement des images, la musique en prend presque le contrepied. Pour dénuée d’émotion et minérale qu’elle paraisse, Kusanagi est en fait agitée par une violente inquiétude, une angoisse que traduit ce chant féminin parfois proche de la plainte, reposant sur le battement régulier des percussions, rythmique aussi mécanique que celle qui pulse sous la peau artificielle de la cyborg.
Si elle éclate ici avec un grand lyrisme, la musique de Kawai est parcimonieusement utilisée dans le film. Parfois proche du simple accompagnement atmosphérique, elle prend aussi certaines scènes à rebours, comme lorsque Kusanagi affronte un robot possédé par le Puppet Master, combat violent et frénétique, pourtant accompagné de percussions lentes et méditatives. Mais les moments valorisant le mieux la partition de Kawai restent ceux où, comme ici, Oshii nous invite à la contemplation et laisse la musique se déployer sur des images figées. Forcément inopérante lors de l’écoute isolée, cette dynamique prend à l’écran une force rendant la composition entêtante de Kawai inoubliable pour le spectateur le moins attentif. Elle l’est aussi en déjouant, tout comme Oshii le fait dans sa mise en scène, les conventions du genre. Là où l’on attend une aventure cyberpunk high-tech menée tambour battant, Oshii nous ramène à une méditation inquiète et immobile, où à la place des pulsations électro bardées de synthés et de guitares qui devraient nous faire courir, accrochés aux talons du major Kusanagi, sous les néons de la cyber-ville, Kawai fait remonter des profondeurs du temps un chant élémentaire et dépouillé. Il résonne au plus profond de nous en un écho à jamais perdu pour Kusanagi Mokoto et dans lequel s’entend, tout simplement, notre humanité.