ParaNorman (Jon Brion)

I see dead people

Décryptages Express • Publié le 25/07/2016 par

PARANORMAN (2012)ParaNorman
Réalisateurs : Chris Butler & Sam Fell
Compositeur : Jon Brion
Séquence décryptée : Norman’s Walk (0:04:55 – 0:07:54)
Éditeur : Relativity Music Group

 

Des inadaptés, des outsiders, des freaks marginaux, nous en suivons très régulièrement dans le cinéma d’animation. Révoltés, introvertis, défaitistes ou souffrant d’un sévère complexe d’infériorité, rares sont, malgré tout, les mélancoliques. Ce qui rend d’autant plus précieux l’attachant Norman, garçonnet à la sensibilité à fleur de peau animé par les passionnés du studio Laika. Elevé par une famille on ne peut plus normale, dans une ville des plus ordinaires, Norman devrait être d’un ennui parfait tant sa vie est banale. Mais voilà : Norman voit et entend ce que les autres ne voient pas, il est extra-lucide. Il voit les morts. Et ça le rend extra-sensible. Broder sur un canevas si usé qu’il frôle la parodie est le fond de commerce du studio Laïka. Tout est affaire, chez eux, de reprise. Ici, il faut faire comprendre au spectateur, très vite, par quel prisme va être vue l’invasion de mort-vivants subie par la petite ville provinciale de Blithe Hollow. Quand on manipule les codes du genre, la musique étant aussi importante que l’image pour véhiculer le cliché, le rôle du compositeur Jon Brion s’avère essentiel pour démarquer l’identité particulière du projet.

 

A une première séquence récapitulant les caractéristiques du zombie classique – vitesse d’escargot, démarche hésitante et appétit insatiable pour les cerveaux – le compositeur a écrit une musique à l’unisson de l’image : sincère et rendant hommage au cinéma d’horreur des années 80 via une basse omniprésente et mécanique et un synthé fier de l’être. On frôle la parodie, même si l’attachement aux clichés repris ici est sincère. Quoi qu’il en soit, le message est passé : même pour rire, les zombies sont une menace. Mais lorsqu’il s’agit de nous présenter leur place dans le quotidien de Norman, les morts-vivants vont bénéficier d’un tout autre traitement musical, par la grâce du regard que le garçon porte sur eux. Développé tout au long de la séquence, la musique ne marque pas de rupture lorsque les fantômes apparaissent. Au contraire : construit en un crescendo très prenant, le morceau culmine naturellement avec l’apparition des morts-vivants.

 

Norman's Walk

 

Jusque-là, la mise en scène a fait preuve d’une certaine retenue : plan fixes, brefs mouvements de grue, courts travellings. Puis, alors que la batterie monte, la caméra entame un mouvement complexe embrassant le décor et tournant autour de la tête de Norman pour nous révéler le contrechamp de ce qu’il voit, sans user d’une coupe dans le montage. C’est le manifeste du film pour son personnage : le respect de la tradition aurait pu commander de faire surgir les fantômes à la faveur d’une rupture de montage, et d’appuyer l’effet par un jump scare musical. C’est pourtant le contraire qui se produit, et Brion choisit d’envoyer les violons et emporte notre sympathie pour Norman avec la révélation de ce qu’il vit : la présence ininterrompue de tous les morts de la ville, avec lesquels il a décidé de se lier d’amitié, qu’il comprend et réconforte.

 

Venu de la scène rock indépendante, Jon Brion rêvait depuis longtemps d’illustrer un film d’animation, mais attendait le bon projet. C’est sans aucun doute la sensibilité assez particulière de ParaNorman qui le séduit, et la possibilité d’exprimer la sienne. A y regarder de plus près, la musique du compositeur pour la séquence-clé du film est tout de même assez osée. Profondément triste, mais douce, à aucun moment elle ne convoque le moindre gimmick musical rappelant le cinéma d’horreur, mais va chercher son inspiration du côté de la pop mélancolique des années 60, entre Scott Walker et Lee Hazelwood. Démarrant sur les images du quotidien de Norman, elle est une expression idéale du vague à l’âme du garçon, que les images, pour inadapté qu’il nous apparaisse, ne nous laissent pas deviner. Dans un registre souvent dominé par une tradition symphonique étonnamment endurante, et une approche de la composition plus proche de l‘underscore, Norman bénéficie d’un traitement musical unique, qui lui donne une nuance délicate bienvenue, dans un film par ailleurs si respectueux de son genre qu’il en devient parfois guindé et prévisible. Brion nous balade loin des orages gothiques, mais la mélancolie dont il nous rince, pour chaude et fine qu’elle soit, ne nous trempe pas moins. Jusqu’aux os.

 

Pierre Braillon
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