The Entity (Charles Bernstein)

Hardcore

Décryptages Express • Publié le 06/06/2016 par

THE ENTITY (1981)The Entity
Réalisateur : Sidney J. Furie
Compositeur : Charles Bernstein
Séquence décryptée : Bath / Attack (0:36:35 – 0:38:23)
Éditeur : Intrada

 

Depuis une trentaine de minutes, Sidney J .Furie marche sur une corde raide. Entre film dossier documenté « inspiré de faits réels » et pellicule d’exploitation racoleuse au carrefour de The Exorcist et Poltergeist, il n’a pas choisi, et entend bien satisfaire les attentes contradictoires des publics des deux genres. Et il faut dire que l’exercice est tout de même délicat : la progression du film repose sur des scènes de viol répétées qui ponctuent le récit, chaque fois plus intenses, plus spectaculaires, et plus frontales. Par l’implication de Barbara Hershey, Furie est sûr d’émouvoir les spectateurs cherchant l’empathie avec un calvaire féminin sincèrement incarné, et la nature des attaques offre le prétexte parfait pour servir aux amateurs d’exploitation son lot de nudité. Mais il y a le risque de perdre les deux publics : par la nature particulière de l’agresseur, le risque est grand que ces scènes soient risibles. Car l’héroïne, sans que l’on sache vraiment s’il ne s’agit pas d’une affabulation de sa psyché troublée, se voit attaquée par une créature invisible, une entité.

 

Si dans ces moments, le public rit, le cinéaste a perdu, et le film s’écroule, quel que soit l’investissement de Barbara Hershey, la crédibilité des effets, ou l’audace érotique des images. Le ridicule ne tue pas, mais il peut ruiner le film. Tous les moyens sont bons pour l’éviter. Nous émoustiller honteusement, donc, mais aussi, nous dire, par la mise en scène, que ce qui se passe est anormal. Bizarre. Relevant peut-être de la folie d’un personnage schizophrène. Là non plus, Furie n’y va pas avec le dos de la cuillère, multipliant les cadres penchés et les plans sur des miroirs. Enfin, pièce centrale du dispositif, la musique ne va pas nous laisser le choix de notre interprétation.

 

Bath / Attack

 

Les percussions cognent les tympans au rythme des secousses marquant la chair de Carla, surgissant sans prévenir dans la bande-son. Réutilisée à chaque fois que l’entité malmène l’héroïne, la composition dépouillée à l’extrême de Bernstein revient presque à l’identique à chaque reprise – un piano plus ou moins présent distinguant légèrement les versions. Loin d’affaiblir l’impact de la musique, la répétition le décuple : passé l’effet de surprise, saisissant la première fois tant la bande originale malmène les tympans, l’attente, à chaque nouvelle attaque, de l’agression sonore provoque la tension sans que Bernstein ai besoin de construire un quelconque crescendo. Bien au contraire, c’est l’irruption du martèlement sans développement ni progression qui sert le mieux les images : immédiatement à plein régime, il s’arrête tout aussi brusquement. A la fois monotone et crispant, il donne une voix au monstre invisible. Si l’image appartient à Carla et adopte son point de vue, la bande-son est le rugissement mécanique et inflexible du bourreau.

 

Avec des moyens grossiers, Bernstein, parvient à créer le suspense indispensable à la crédibilité des attaques de l’entité. Redoutant l’inévitable matraquage percussif, le spectateur est tendu dès que l’entité semble sur le point de se manifester. Nous savons ce que nous allons entendre, mais sans savoir quand. Une transposition musicale du principe du suspense cher à Hitchcock, au musicien duquel Bernstein emprunte d’ailleurs ici une des compositions les plus emblématiques : le meurtre sous la douche de Psycho, pour lequel Bernard Herrmann réduit la musique à un bruitage, cherchant à donner un équivalent sonore au couteau, tant par la couleur instrumentale que par le rythme, scandant les coups. Chez Bernstein, les coups de batterie sont synchronisés avec les secousses écrasant la chair de Carla, et résonnent comme autant d’intrusions dévastatrices saccageant son intimité.

 

Pour radicale qu’elle soit, la démarche de Bernstein n’en demeure pas moins érudite et réfléchie. Par la brutalité sensorielle de sa musique, il capte l’attention, et non seulement illustre parfaitement les images, mais prive aussi le spectateur de la possibilité de mettre à distance ce qu’il voit, par l’indifférence, ou pire, le rire. Furie a dès lors le champ libre pour développer ses scènes, jusqu’à l’agression finale, aux effets spéciaux plus visibles, aux cadrages plus amples, aux plans plus longs. Mais Bernstein nous a déjà enfoncés si profondément dans nos fauteuils que notre empathie avec Carla ne pourrait être plus complète. Furie, avec son mauvais goût systématique, peut abuser de ses cadrages penchés et de son imagerie de fête foraine : l’ingéniosité de son musicien et l’implication de sa comédienne suffisent à nous faire éprouver pleinement le calvaire de Carla Moran.

 

Pierre Braillon
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