« Bis » : que de mystères retenus captifs à l’intérieur de ces trois insignifiantes lettres ! Que d’imbroglios linguistiques contre lesquels bien des cinéphiles chevronnés se cassèrent les dents, malgré tous leurs efforts pour doter l’étrange terme d’une aire de jeu privilégiée ! Si l’on ne se fie qu’à l’étymologie latine du mot, le bis ne serait qu’un annexe éternellement voué à la seconde place, le cadet sans prestige d’un cinéma « officiel », qu’on préférera toujours claquemurer tout au fond de la cave tandis qu’une réception mondaine bat son plein dans le salon. En voulant à toute force jouer les porte-étendards de ces œuvres dites alternatives, Quentin Tarantino, qui restera à jamais aux yeux du monde un fêlé immature s’empiffrant de nanars jusqu’à l’indisposition gastrique, fit peser d’un poids très lourd cette définition peu amène. Mais ni les querelles de chapelle, ni les encyclopédies aspirant à une impossible exhaustivité, ni même ses thuriféraires maniaques ne purent tracer les linéaments durables d’un bis en constante mutation. Voilà pourquoi votre modeste serviteur ne s’aventurera guère, dans les lignes à venir, à faire résonner plus haut que d’autres son propre son de cloche, encore moins à bâtir au milieu de cette jungle luxuriante des murs identitaires que les enfants dépenaillés du 7ème art franchiraient aussitôt par mille portes dérobées.
UnderScores, quoi qu’il en soit, peut se targuer d’en avoir vu passer pléthore, des musiques vouées corps et âme à l’infamante catégorie. Ce furent dix années pleines à ras bord d’invasion d’outre-espace et de cimetières vomissant leur contenu de chair soudain régénérée, de justiciers nerveux de la gâchette et de gangsters roulant outrancièrement des mécaniques, de super-héros engoncés dans des Babygros délavés et de savants fous ensevelis sous leurs éprouvettes bouillonnantes, de gloumoutes immenses lâchées parmi les gratte-ciel en carton-pâte et de rongeurs assoiffés de sang, de sculpturales gredines perdant leur peu de vêtements comme un arbre ses feuilles mortes et de sinistres boogeymen anxieux d’inculquer à ces malheureuses deux ou trois préceptes élémentaires de chasteté. Une invraisemblable Cour des miracles qu’explorèrent, hardiment dans bien des cas, à tâtons parfois, nos chers compositeurs.
Un coup jouissant des fastes de larges formations orchestrales, aux prises la fois suivante avec un Synclavier plus de la première jeunesse, ils durent en permanence prendre leur parti de fluctuations pécuniaires brutales. Les budgets aux côtes proéminentes sont d’ailleurs un des critères de sélection décisifs pour qui entend apposer la fameuse étiquette « bis ». Mais l’inverse peut s’avérer tout aussi vrai. Instant magique entre tous, quand le bis cesse de n’être qu’une basse réalité économique ou hiérarchique pour se muer en un précieux état d’esprit, s’infiltrant avec une délicieuse perversité où bon lui semble, jusque dans les puissantes sphères hollywoodiennes et les superproductions inflationnistes. Chuck Cirino et Jerry Goldsmith, même combat !
Dix ans après les tours de chauffe d’UnderScores, il paraissait indispensable de revenir sur la tumultueuse épopée discographique d’un cinéma mal-aimé, et rendre hommage, par la même occasion, aux paladins qui furent assez téméraires ou fous pour oser investir une aussi minuscule niche commerciale que celle des aficionados de la musique de film. Entre les vétérans aux reins toujours aussi solides, les glorieux anciens hélas tombés au champ d’honneur (FSM, où que tu sois, sache que l’auteur de ces lignes emportera même dans la tombe ton souvenir) et les jeunes loups résolus à se faire une place au soleil, il y a du beau monde à saluer – non par le truchement d’un best of saturé de cadors ou d’une pointilleuse radiographie, mais plutôt en déambulant sans le moindre souci d’impartialité au milieu des pochettes de disque peinturlurées, piochant les titres élus en accord avec une fantaisie vagabonde.
Voici donc, destinés à nul autre que toi, ami lecteur, 60 albums éparpillés en toute anarchie à l’échelle d’une décennie entière. Certains marquèrent le Landerneau béophile, d’autres disparurent des étals et des mémoires sans y déposer une seule empreinte… Mais tous, une fois mis bout à bout, contribuent à modeler un paysage fascinant, tant pour les yeux du cinéphile avide d’expériences que pour les oreilles frémissantes du mélomane un peu baroudeur. L’orée de cette enchanteresse contrée n’est qu’à deux pas. Franchissons-là donc d’un pas allègre !