Entretien avec Julien Jaouen

De la suite dans les idées

Interviews • Publié le 26/06/2020 par

Lorsqu’en mars 2019, je découvre qu’un certain Julien Jaouen figure à l’affiche du long-métrage animalier Aïlo, une Odyssée en Laponie, ce nom ne m’est pas totalement inconnu mais un rapide coup d’œil sur sa filmographie ne m’éclaire pas réellement : deux comédies de Dominique Farrugia certes, Bis et Sous le Même Toit, ainsi qu’une poignée d’excellents documentaires, en particulier Qui a Tué Néandertal ? et 700 Requins dans la Nuit, dont les sujets avaient récemment retenu mon attention… Et d’un coup, le flash : ce compositeur, dont j’avais en fait déjà croisé le nom bien avant au gré d’un article d’un quotidien régional, réside dans une ville à laquelle je reste intimement attaché, celle des dix-huit premières années de ma vie. L’affaire prend vite une tournure encore plus personnelle lorsque, une fois le contact établi, Julien réalise lui-même de son côté que nos pères respectifs se sont connus, et mieux encore, que le mien, clarinettiste à l’école de musique locale, a été son tout premier professeur de musique ! La coïncidence est heureuse et le monde décidément bien petit. Dès lors inévitable, notre rencontre prendra la forme d’une conversation passionnée, souriante et décontractée, l’occasion d’en apprendre plus sur son parcours, son processus créatif et ses collaborations, en particulier avec le réalisateur Guillaume Maidatchevsky.

 

Florent Groult

Peux-tu d’abord nous parler de tes débuts ?

Ma mère est comédienne, mon père est aujourd’hui vendeur et accordeur de piano, mais il a eu avant cela une vie de créateur et composait beaucoup de musiques pour le théâtre. Nous avions un petit studio à la maison avec des synthétiseurs du type Roland D50 et Yamaha DX7 reliés à un Atari 1040 ST. Ma chance réside dans le fait qu’il m’en a laissé l’accès, je passais cent fois plus de temps dans ce studio qu’ailleurs. A douze ans je savais également que je souhaitais travailler dans le milieu du cinéma : ce que je voulais c’était comprendre pourquoi un film me faisait pleurer, pourquoi il me faisait rire. Je me suis d’abord rendu compte que je ne pourrai pas être réalisateur car il faut un sacré talent pour ça : c’est mille métiers en un seul et je ne comprends même pas comment un réalisateur peut supporter toute la pression de la création d’un film, surtout quand c’est lui qui a écrit le scénario, qu’il s’est battu pour le financer…

 

Et puis je me suis aperçu que le musicien est l’autre auteur important d’un film, et ce domaine-là était beaucoup plus accessible pour moi. Très vite j’ai su que je voulais faire de la musique de film. Je me suis passionné jusqu’à ne plus penser qu’à ça, ce qui n’a d’ailleurs pas été sans problème d’un point de vue scolaire. Et un jour, en 1989, mon père me ramène à la maison un baladeur CD et deux disques : un aria de Bach ou un truc du genre qui typiquement ne m’intéresse alors pas du tout (rires), et l’album Passion de Peter Gabriel qui est la musique du film de Martin Scorsese The Last Temptation Of The Christ (La Dernière Tentation du Christ). Il me le fait écouter et je trouve ça mortel au point que je vole la cassette du film au vidéoclub du coin ! Evidemment je me fais attraper par mon père qui m’oblige à la rendre le lendemain, mais entretemps j’ai quand même pu voir le film. Et pour moi, c’est avant tout la musique de Peter Gabriel qui tient le truc : ce qu’il a fait est tellement atypique pour l’époque. Ce jour-là je me suis dit que c’était ça que je voulais faire, sans avoir vraiment de bases musicales…

 

Julien Jaouen

 

Mais tu étudiais pourtant déjà la clarinette ?

Oui, mais la pratique instrumentale ne m’intéressait pas en elle-même, et je n’ai jamais su vraiment lire la musique correctement. Du coup, juste à l’oreille, je voulais trouver des systèmes un peu mathématiques, des notes qui vont bien ensemble et qui créent tel ou tel sentiment… Très vite je me suis aperçu que l’important n’est pas la note ou l’accord en lui-même mais leur enchaînement, et ainsi de suite. Cela paraît intelligent dit comme ça, mais il ne s’agissait pas du tout d’une démarche pensée, plutôt d’astuces qui forment une espèce d’apprentissage qui part dans tous les sens, faute d’un vrai cadre. Mon idée était d’imiter, d’apprendre à faire comme Zimmer, comme Elfman… Pas à leur niveau bien entendu, mais comme si un jour quelqu’un allait me demander d’écrire « à la manière de », de reproduire sans une once de créativité. Au bout d’un moment tout cela a créé une espèce de pot-pourri qui m’a donné un certain goût pour le thème, l’arrangement étant un peu secondaire dans un premier temps pour moi. Ensuite la production proprement dite est arrivée, les machines ont commencé à évoluer, le virtuel arrive à partir de 1995… Et là, je prends 20 kilos et je reste dans mon studio toute la journée ! (rires)

 

Tu as tout de même suivi une formation de jazz…

Au CIM (Conservatoire International de Musique de Paris, NDLR) en 1999, mais c’était surtout une excuse, pour le mettre sur le papier. Et puis en un sens l’apprentissage du jazz expliquait mathématiquement ce que je voulais comprendre. Comme je n’avais pas le bagage classique pour le faire, je me suis dit qu’il existait peut-être une autre méthode. Je découvre le jazz vers l’âge de seize ans, lorsqu’on m’emmène pour la première fois à Marciac, et j’adore ça. Et là aussi je me dis que j’aimerais savoir faire « comme ». Du coup, je commence à essayer de comprendre comment ça fonctionne, à partir de quels accords, quelles structures harmoniques… Etant donné que j’ai aussi envie de partir d’Alençon, où mes parents résident, je fais un truc fou, un emprunt de quatre mille euros que je vais bien mettre dix ans à rembourser. La passion fait vraiment faire des bêtises… Mais c’était plus fort que moi : il fallait que je le fasse, que j’aille à Paris, et malgré d’énormes difficultés dans ma vie de tous les jours, le CIM a été pour moi un pari formidable où j’ai pu côtoyer le guitariste Sylvain Luc, suivre les cours de Tito Puente…

 

Julien Jaouen

 

Mais finalement tu quittes Paris. Pourquoi ?

Parce qu’après avoir rêvé de la capitale, comme tant d’autres, je réalise que c’est trop dur. En tout cas, c’est ce que je ressens à ce moment-là. Toujours aujourd’hui, Paris symbolise à mes yeux à la fois la lumière et l’obscurité totale. Il y a tout ce que tu imagines de merveilleux mais aussi énormément de détresse parce qu’il n’y a rien de plus difficile psychologiquement que de se voir refuser son travail quand on y a mis tout ce que qu’on savait faire et tout son cœur. Tu dois alors admettre que tu n’as pas été à la hauteur, et entre ça et te dire que tu n’es qu’un moins que rien, il n’y a au fond qu’une toute petite marge… Je rentre à Alençon, et un jour je vais à l’Ecole Nationale de Musique d’Alençon demander si quelqu’un comme moi, qui a fait un peu de jazz, peut les intéresser. Je crée alors un département des musiques actuelles avec l’équipe d’une salle-antenne d’un quartier populaire de la ville, et ça cartonne ! Il y a plein d’élèves, ça se passe vraiment très bien pendant trois ans, où j’occupe un emploi-jeune puisque n’étant pas diplômé d’Etat je ne peux pas être professeur. Et puis un jour je fais une demande de 1500 euros pour une enceinte, on me la refuse, et j’apprends six mois plus tard que le clavecin utilisé par trois élèves est restauré pour 70 000 euros ! Alors je décide de démissionner en leur reprochant de n’avoir en fait rien compris. C’est une réaction de gamin, bien sûr, je sais que l’obtention d’un budget est quelque chose de compliqué, mais voilà…

 

Et ensuite ?

Ensuite c’est une fois de plus une période de doute et d’insistance durant dix ans. Mais je veux pouvoir vivre de ma musique ! Je m’installe en Bretagne, je donne des cours particuliers, je travaille sur des publicités locales, quelques courts-métrages ou encore des pièces de théâtre. Mais tel un gamin qui ne se satisfait jamais de ce qu’il a, je ne parviens jamais à m’en rassasier. Et comme je veux absolument continuer à faire des allers-retours vers Paris le plus souvent possible, il faut trouver le moyen de financer ces voyages onéreux et terriblement longs… Ceux qui réalisent ce genre de trajet régulièrement entre le Grand Ouest et la capitale savent de quoi je parle ! Je crée donc l’Oreille à Coulisse à Trébeurden, un café-concert qui rencontre un super succès en invitant bon nombre de grands noms du jazz, de la musique du monde et de la chanson comme Dominique A, Sergent Garcia, les survivants des Pogues, tout cela dans 100 m2 face à la mer. Dans un premier temps c’est une vraie bouffée d’air frais, une petite revanche…

 

Et j’ai aussi droit à quelques victoires qui tiennent mes ambitions à flots, en particulier les deux premiers prix du concours RealWorld que je reçois deux années de suite en 2006 et 2007, et la chance de voir ma musique éditée par le célèbre studio de Peter Gabriel. Cela m’a rassuré sur le fait que je ne devais pas être si mauvais que cela… Ça paraît peut-être idiot de douter ainsi en permanence, mais sans ça, ce métier serait un job comme tous les autres. Mais quand la passion est maladive, la névrose se cache, reste tapie dans un coin du cerveau et se manifeste régulièrement et douloureusement : il fallait que je fasse la musique d’un long métrage ! C’est exactement le contexte de la chanson La Vie d’Artiste de Léo Ferré : « et mon succès qui ne vient pas… » C’est une torture, de façon mesurée bien sûr, mais une torture quand même…

 

Julien Jaouen

 

Mais à ce moment-là, la musique de film a quand même un peu disparu de mon horizon parce que j’ai toujours en tête cette claque à Paris où j’ai réalisé qu’il y a en fait plein de musiciens talentueux et que même eux n’y arrivent pas. C’est triste mais il faut reconnaître qu’il y a une vraie part de chance dans un métier comme celui-là. Alors évidemment tout le monde te dit tout le temps que la chance, ça se crée… Mouais… Tu as le droit d’être opiniâtre, d’insister, et de le dire comme je suis en train de le faire, mais on sait tous qu’un jour c’est le coup de bol : tu es au bon endroit au bon moment, tu rencontres la bonne personne qui elle-même va t’emmener vers une autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que tu tombes sur quelqu’un qui va être séduit par celui que tu es à cet instant précis. Et alors, selon moi, la sincérité est la meilleure arme : si tu te travestis un peu en affirmant par exemple que tu peux tout faire, tu t’aperçois très vite que tu ne vas tenir sur la longueur. Alors que si tu présentes clairement les choses, en reconnaissant qu’il y a sans doute des idées pour lesquelles tu n’as pas le niveau mais que tu peux t’entourer de gens qui t’aideront à les réaliser, là tu es cent fois plus crédible.

 

Tu te considères donc toujours malgré tout comme un pur autodidacte ?

Complètement. Et je ne lis toujours pas une partition, je n’y arrive pas. Si je travaille sur une importante bande originale avec orchestre, j’ai toujours un copiste avec moi, et je ne saurais pas diriger. Quand je fais faire mes partitions et qu’on me les envoie, je leur fais entièrement confiance, je ne vais pas les vérifier, j’en suis incapable. Cela m’a aussi appris à bien m’entourer. Et lorsque je recours à un orchestrateur, je lui détaille ce que j’aimerais obtenir comme résultat, mais jamais je n’irais lui expliquer son métier parce qu’il possède une science que je n’ai pas, et que je n’ai plus vraiment le temps aujourd’hui d’acquérir.

 

Et tu dirais donc que cela a été un vrai frein à ta carrière ?

Ah oui, clairement ! Ma carrière a d’ailleurs finalement commencé très tard et elle est complètement atypique. Je n’ai jusqu’ici rencontré personne qui ait vécu la même chose que moi. Je travaillais sur les musiques du Conseil Général des Côtes-d’Armor et, deux semaines après, on me proposait une comédie produite par Luc Besson ! Mais il y a peut-être un truc que j’ai eu plus que certains, c’est le culot. Je n’ai pas hésité à frapper à toutes les portes, je me suis ruiné à faire ces allers-retours à Paris pour essayer de rencontrer des gens, tout simplement parce que j’ai compris qu’avoir un réseau était important. Je saisis la moindre excuse pour aller au-devant de telle ou telle personne du milieu du cinéma.

 

Tout cela a été un peu compliqué pour moi d’ailleurs, parce que je suis loin d’être un monstre social, j’aime bien être chez moi, dans ma grotte, je dois me faire violence pour démarcher les autres. Certains de mes collègues sont très à l’aise dans ce domaine mais je n’y arrive pas comme eux. Du coup, j’essaie d’être le plus honnête possible. Quand je suis allé chez EuropaCorp, j’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Mahout (alors directeur du département musique) et Barbara Bright (leur superviseur musical). Je leur ai donné une clé USB en disant : « Voilà, je sais faire des trucs à la manière de ». Et ils ont décidé de me faire confiance. Et quand à l’époque j’écoute des compositeurs comme Nathaniel Méchaly ou Alexandre Azaria, je me dis que c’est hors d’atteinte pour moi. Mais mon objectif alors consistait juste à composer la musique d’un film : s’il fallait après ça retourner travailler dans un bureau ou être pompiste, comme je l’ai été pour payer mes études, ça m’allait très bien !

 

Bis (Dominique Farrugia - 2014)

 

Bis sera donc ce film…

Oui. Je rencontre Dominique Farrugia, et je tombe face à quelqu’un que j’adore depuis que je suis gamin parce que je suis un enfant des Nuls, évidemment. Et là je me bat contre une irrésistible envie de ressortir toutes les vannes que je connais, d’autant que j’imagine qu’il doit en avoir marre ! (rires) Bon, j’ai bien dû lui en sortir une ou deux, mais il se trouve surtout qu’on connaissait tous deux la même formule de Steven Spielberg à propos de la musique, et c’est venu naturellement dans la conversation. Comme il m’explique d’abord que ce qu’il veut pour son film consiste juste à marquer les émotions, je lui suggère que l’idée sonne très Spielberg ou Zemeckis, et il me dit : « Oui, exactement, et tu sais, Spielberg dit que son métier consiste à faire monter la larme à l’œil… », et là je lui répond du tac au tac « et celui de John Williams est de la faire tomber » ! Ça a fait « tilt » et on a immédiatement su ce qu’on voulait sans vraiment parler de musique. Je rentre chez moi, je lis le scénario et j’envoie un thème dès le lendemain… J’ai cette volonté de leur montrer que je la veux vraiment, cette bande originale. Et je suis pris ! Mais même à ce moment-là je suis convaincu qu’il s’agit d’une heureuse erreur, que tous ces gens se sont plantés mais que, finalement, ce n’est pas si grave puisque que le contrat est signé ! (rires) En tout cas je m’investis à fond dans le projet, je veux absolument bien faire et aller jusqu’au bout tant, sur le moment, je souhaite que ce soit la plus belle bande originale que je puisse faire. Et il se trouve que le résultat leur a plu. Ils m’ont donc rappelé pour me présenter d’autres personnes, et voilà…

 

C’est presque une espèce d’accident finalement ?

En quelque sorte, alors qu’il faut bien avoir en tête qu’avant cela j’avais tenté non-stop de rencontrer tous ces gens-là ! Mais par contre je tiens à dire que ce n’est pas un coup de bluff parce que j’ai bossé dur pour en arriver là. Les gens ne se rendent pas compte mais quand tu dis pendant des années que c’est ton métier, que tu travailles douze heures par jour mais que cela ne te ramène pas un rond, il est difficile de se justifier auprès de ton entourage qui te réplique que, non, s’il n’y a pas d’argent à la clef, ce n’est finalement qu’une passion. Et toi tu es persuadé qu’un jour ça va payer ! J’ai de la chance d’avoir été soutenu par ma femme parce que la situation n’a pas non plus été simple pour elle.

 

Et en fait Bis devient un beau succès en salle…

On ne s’y attendait pas du tout ! La production misait sur quelque chose comme 400 000 entrées, ce qui veut dire qu’avec 200 000 elle était déjà contente. Et on a fait un million 800 000 ! Mon premier film ! Il y a des compositeurs qui ont fait quarante bandes originales et qui n’ont jamais obtenu ça. J’avais vraiment l’impression qu’un rayon de lumière était tombé sur moi ! (rires) C’était très étonnant après quinze années de vraie galère…

 

Sous le Même Toit (Dominique Farrugia - 2017)

 

En tout cas, désormais, ta carrière est définitivement lancée…

La même année, je rencontre mon agent et tout va très vite à partir de là. Je suis alors déjà revenu dans ma Normandie natale, pour alléger mes déplacements professionnels, et puis aussi parce que la famille me manque trop, et sans elle rien n’a de sens… C’est à ce moment-là également que je m’aperçois qu’il y a tellement de fantasmes sur le monde du cinéma, les méchants gros producteurs qui veulent juste t’essorer et faire de l’argent avec toi sans rien te donner, ce genre de clichés… En fait je suis tombé sur des gosses à qui on a donné des millions pour faire des films ! Il m’arrive d’avoir des divergences artistiques, mais humainement, je n’ai jamais rencontré un seul imbécile, ou même une personne avec qui je me sois engueulé. On a tous le même objectif : aller au bout du projet sur lequel on travaille, et vu le contexte actuel ce n’est pas simple. Quel que soit le métier, tout le monde passe par cette case où l’on sait qu’il faut travailler sans avoir la certitude d’obtenir quelque chose en retour. Selon moi, choisir cette voie-là demande de l’abnégation, il y a presque un côté religieux là-dedans car tu crois en quelque chose que tu n’as pas vu ! Et je suis athée, plutôt pragmatique, ce que je dis ne me ressemble absolument pas au fond, mais c’est sans doute là où le mot passion prend son véritable sens, quitte à ce que la relation devienne carrément passionnelle au sens négatif du terme, jusqu’à l’obsession.

 

Depuis tu as notamment travaillé sur pas mal de documentaires…

J’ai de la chance parce que ce sont toutes de très belles productions. Les documentaires sur lesquels j’accepte de travailler ont une vraie identité. Ceux de Guillaume Maidatchevsky sont de véritables films : tout ce qui est montré et dit est scientifiquement vrai, d’autant que Guillaume est biologiste à la base, mais il y a un truc en plus. Et d’un point de vue musical c’est très stimulant. Je pense sincèrement que si Vivre avec les Loups a autant marché, c’est en grande partie grâce à ça.

 

Wild Farming (Guillaume Maidatchevsky - 2016)

 

Justement, peux-tu nous parler de ta rencontre avec Guillaume Maidatchevsky ?

Elle s’est faite grâce à une série documentaire sur le parc zoologique de Paris, pour France 2 (Un Zoo à Paris, NDLR). Un ami qui s’occupe des musiques pour la société Gédéon Programmes m’invite alors à travailler dessus en qualité de co-compositeur. J’y vais et je découvre qu’il s’agit de mini-films qui durent chacun 26 minutes, conçus par différentes personnes. On décide donc de se répartir les réalisateurs et je travaille pour Guillaume, mais nous ne nous croisons jamais pendant la production : je lui envoie simplement les musiques, à chaque fois il me les valide en disant qu’il adore et c’est tout. Et au lancement de la série, le genre de soirée où je ne vais pourtant jamais d’habitude, je remarque un mec tout seul qui a l’air de s’ennuyer autant que moi. On finit par me le présenter et il se trouve qu’il s’agit de Guillaume ! Nous avons passé la soirée dehors à discuter de tout et de rien, sauf de boulot, et nous nous découvrons plein de points communs. Ça accroche d’emblée entre nous et donc on se dit qu’il faut absolument qu’on bosse ensemble à nouveau.

 

Ensuite il intègre Multimédia France Productions (devenue aujourd’hui France-TV Studio, NDLR) pour s’occuper d’une autre série, Wild Farming, qui montre comment des fermes sauvages cohabitent avec la faune des alentours, en particuliers les lynx, les renards… Là, on ne se situe déjà plus vraiment dans le documentaire au sens strict, plutôt dans le docu-fiction. Guillaume me demande si le sujet me branche, et on s’éclate, il m’invite sur le tournage. Et comme le film plaît énormément, on nous reprend pour une autre production qui s’appelle Vivre avec les Loups. A ce moment, on éprouve tous deux une certaine lassitude vis à vis des documentaires traditionnels, on décide donc de réaliser un vrai film. Vu que l’action se passe dans les Carpates en Roumanie, Guillaume veut une ambiance très sombre, un peu angoissante, avec de la brume partout et un genre d’effet cyan sur l’image. Il arrive à vendre cette idée à la production, ce qui n’a pas été facile, et moi je tombe littéralement amoureux de ces images. Il s’agit probablement de la première bande originale dont je suis réellement très fier, et tout le monde l’adore… Les gens de la production ont bien quelques réticences devant le côté sombre de l’approche, vis à vis du jeune public notamment, mais Guillaume soutient ce choix et ils décident de me faire confiance, ce qui est formidable pour moi.

 

Finalement le film sort, cartonne et remporte des prix partout. Et surtout la musique gagne le prix CSDEM (Chambre Syndicale de l’Édition Musicale, NDLR) face à des gens comme Nathaniel Méchaly, Bruno Coulais ou Yann Tiersen. Je n’en revenais pas ! Guillaume vient à la cérémonie pour me soutenir, on passe la soirée ensemble, on reste dehors jusqu’à cinq heures du matin à regarder Paris de nuit, et je crois que ça scelle un truc entre nous, d’autant qu’on avait déjà envie de former une espèce de duo réalisateur/compositeur. Je fais maintenant la musique de tous ses films. Travailler sur Aïlo, par exemple, était donc une évidence…

 

Vivre avec les Loups (Guillaume Maidatchevsky - 2017)

 

Justement, parlons d’Aïlo : comment as-tu travaillé avec Guillaume sur ce film ?

D’abord, j’ai pris un énorme risque parce que j’ai décidé de travailler dessus pendant neuf mois, ce qui est franchement long pour une seule bande originale. Il a fallu que je refuse d’autres projets, mais ça valait le coup. Dès le début on souhaitait avec Guillaume aller vers quelque chose d’un peu particulier. On en parle en amont, il écrit le scénario puis me l’envoie, et là où cela devient intéressant, c’est qu’il aime que je commence à composer avant le tournage. Il valide deux ou trois thèmes qu’il emmène avec lui et qu’il écoute en boucle pendant qu’il filme. Il a expliqué plus tard que pour lui, la musique est le prolongement de sa caméra, qu’elle l’aide à cadrer… C’est fantastique ! Et puis ensuite il y a tout le travail d’adaptation parce qu’évidemment, une fois sur place, les animaux ne font jamais exactement ce qui est prévu. Il faut donc toujours remanier plus ou moins le scénario en fonction de ça, d’autant que Guillaume a une obsession qui consiste justement à laisser les animaux évoluer exactement comme ils le veulent, sans jamais les forcer à aller dans une direction ou dans une autre.

 

Pour la scène hilarante de l’hermine blanche, il est resté une semaine planqué dans son abri sans pouvoir la voir alors qu’il savait qu’elle était là, pas loin, puisqu’il y avait des traces dans la neige. Et à la minute où il décide de renoncer à la scène et de s’en aller, l’hermine arrive tout d’un coup et il filme toute la séquence en une seule prise, en réalisant qu’il n’arrive pas totalement à la suivre parce qu’elle est trop rapide. Il a même eu peur que ce soit une prise ratée tant tout cela était précipité, mais l’animal lui fait le show en essayant d’attraper un œuf, tel un vrai personnage à la Pixar ! A chaque fois, il suit sa logique qui veut que l’humain s’adapte à la Nature, et non l’inverse. Sauf que moi aussi je dois m’adapter après ça ! On reprend donc l’ensemble à son retour, et je refais tout. Pour Aïlo, j’ai dû écrire en tout trois heures de musique environ pour un résultat d’une durée de quatre-vingt-cinq minutes au final.

 

Aïlo, une Odyssée en Laponie (Guillaume Maidatchevsky - 2019)

 

Vous étiez tout de suite partis sur ce genre d’ampleur d’un point de vue musical ?

Oui, on savait que ce serait une grande partition orchestrale, quitte à ce que ce soit compliqué parce que, évidemment, il y a avait très peu de budget pour la musique : le truc classique ! Et puis le film était une coproduction européenne, et la production musicale proprement dite devait absolument être effectuée en Finlande, ce qui revenait aussi à devoir faire confiance à des gens qu’on ne connaissait pas du tout. Mais on a eu de la chance de pouvoir travailler avec le premier violoncelle de l’Opéra de Helsinki, Jussi Vähälä, l’un des dix meilleurs au monde : il nous a fait pleurer, c’était juste parfait.

 

Et je voulais aussi une voix qui dénote un peu, ma Lisa Gerrard à moi en quelque sorte, mais une voix qui ne soit par contre pas trop proche de la sienne parce qu’on l’a tellement entendue… J’ai donc écouté beaucoup de musiques traditionnelles finlandaises, celles de Laponie en particulier évidemment. Hilda Länsman, la chanteuse avec laquelle on a travaillé, est une représentante du peuple Sami, avec une voix formidable qui donne un vrai cachet à la bande originale. Je suis très content du résultat. La guimbarde est un instrument national là-bas, mais ils ne l’utilisent pas du tout comme nous : ça a apporté un côté tribal qui me plaît beaucoup. Et pour le reste, Guillaume et moi voulions un côté Ice Age (L’Âge de Glace) à la John Powell : pas du point du vue du style orchestral, mais dans la façon de marquer les intentions. C’est mon travail le plus accompli jusqu’ici. Le film n’a pas marché comme on l’avait espéré en France, mais il a eu beaucoup de succès à l’étranger.

 

Et quelle est ta méthode de travail pour composer une partition comme celle-ci ?

En premier lieu, comme je suis un ours, il faut que tout vienne de moi. Et j’aime bien composer à partir du scénario. Ensuite, une fois la musique créée, lorsqu’il y a des choses que je ne sais pas faire, je demande à d’autres personnes de m’aider. Mais je veux absolument pouvoir tout assumer jusqu’au bout afin qu’on ne reproche pas aux gens que j’embauche de ne pas avoir obtenu le résultat qu’il fallait. Je constitue donc une équipe…

 

Aïlo, une Odyssée en Laponie (Guillaume Maidatchevsky - 2019)

 

Ah, tu n’es un ours que jusqu’à un certain point donc !

C’est exactement ça ! (rires) Tu sais, honnêtement, ce travail n’a aucun intérêt si tu n’évolues pas au sein d’un collectif, avec des gens qui partagent une envie commune de fabriquer quelque chose. Aïlo, c’est avant tout une équipe où tout le monde va dans le même sens, ambiance « brainstorming », pour savoir si ce que je veux est possible ou pas selon les moyens qu’on nous a donné. Par exemple, malgré les contraintes de budget, je ne voulais pas enregistrer d’abord douze violons, puis les réenregistrer derrière pour en obtenir vingt-quatre et ainsi de suite, le genre de pratique qui est assez courant aujourd’hui. Mais comme on souhaitait quelque chose d’assez gros en termes de rendu, on avait donc besoin de l’avis de tout le monde. Et si cela n’avait pas été faisable il aurait fallu se contenter de maquettes et se passer de la spatialisation sonore d’un orchestre. J’ai beaucoup de chance, et les personnes qui m’entourent ne sont pas venues pour l’argent, clairement. Mes deux orchestrateurs, Emmanuel d’Orlando et Frédéric Verrières, sont eux-mêmes des compositeurs, nommés aux César, et qui pourtant acceptent de venir me filer un coup de main. Il y a aussi mon arrangeur, Samuel Potin, qui était le monteur musical de Luc Besson. Et Jérôme Devoise, l’ingénieur du son, n’était pas censé travailler pour nous, mais on a dû l’appeler en lui disant qu’on avait besoin de lui dès le lendemain pour mixer quatre-vingt-cinq minutes de musique en une semaine. Et il accepte !

 

On sent que c’est important pour toi, cet aspect équipe…

Tu ne peux rien faire tout seul. Enfin… Moi ça me paraît impossible à mon niveau. Il existe des John Williams qui effectivement sont capables de s’occuper de tout ou presque, mais c’est une autre école, une autre culture musicale : on est dans l’excellence. Ces gens-là sont tellement au-dessus, comme Jerry Goldsmith ou James Newton Howard qui est pour moi l’un des compositeurs les plus expressifs qui soit, le genre de gars qui peut te pondre un truc aussi simple que le thème de Unbreakable (Incassable) que tu chantes direct en ressortant du film. En ce qui me concerne, je sais que je ne peux pas faire du John Williams, j’en suis incapable, je n’ai pas ce niveau de classe. Savoir où on se situe est très important : moi je vais essayer d’apporter la petite idée qui fait que… Le « brammm » d’Inception par exemple, c’est très loin d’être aussi classe que ce que peux faire un Williams, mais je me situe plutôt de ce côté-là.

 

Aïlo, une Odyssée en Laponie (Guillaume Maidatchevsky - 2019)

 

Qu’est-ce que tu entends par là exactement ?

Hans Zimmer n’est pas tant un bon musicien qu’un génie de l’idée, un créateur d’idées sonores. Et des gens comme lui, pour le coup, il n’y en a pas énormément non plus, et la tendance aujourd’hui est surtout de tendre vers ce genre d’approche. Les gens que je fréquente sont tous d’excellents musiciens, bien meilleurs que moi. Par contre, en ce qui concerne de trouver la bonne idée au bon moment, on part sur un pied d’égalité. Voilà encore quelque chose d’injuste au fond : aujourd’hui, c’est à celui qui aura la meilleure idée pour tel ou tel projet, au cinéma, à la télévision, dans la publicité… Et ce qui est intéressant tient dans le fait que, sans être secondaire, la musique est d’abord là pour traduire l’idée. Lorsque tu écoutes les plus grandes bandes originales, tu t’aperçois souvent que tu peux les résumer à cinq secondes.

 

Personnellement, je ne supporte pas la mode actuelle des nappes et des drones qui pourraient autant convenir à un Blade Runner 2019 qu’à un film pseudo-intello français. Ce que j’aime ce sont les idées. Et aussi doué que soit un autre compositeur, peut-être que je peux trouver une idée meilleure que la sienne. Bon, ce n’est jamais arrivé jusqu’ici ! (rires) Le reste est une autre histoire, la production proprement dite, comment tu t’entoures, qui va venir t’aider, à qui tu vas faire confiance… L’idée, c’est le truc à travailler. C’est pour cela qu’il faut bouffer des films. Tu ne peux pas faire ce métier-là si tu n’es pas cinéphile, dans le sens le plus large du terme. Je vois sept films par semaine parce que j’ai besoin de ces histoires, quitte à ce qu’elles soient très mauvaises, copiées sur d’autres… Je me nourris de ça.

 

700 Requins dans la Nuit (Luc Marescot - 2019)

 

Certains compositeurs ne sont pas du tout des cinéphiles et évitent même de voir trop de films…

Je ne comprends pas ça mais c’est juste un point de vue qui n’engage que moi. A mon avis, ça revient à faire ce boulot sans aimer le cinéma. Par contre il ne faut pas pour autant avoir peur de ce qu’on aime et de ce qu’on n’aime pas. Je n’aime pas le cinéma de Pedro Almodovar par exemple, mais je sais distinguer son talent de réalisateur, je comprends pourquoi il existe un certain enthousiasme pour ses films. Et puis il peut tout de même y avoir des idées géniales ! Prends Melinda & Melinda de Woody Allen : tu avances sur deux tableaux en même temps, celui de la comédie et celui du film dramatique, et tu sens l’implication de la musique là-dedans. Je suppose que nous avons tous une espèce de soif de créativité, et forcément plus tu te cultives, plus tu regardes de films, plus tu peux te rendre compte qu’une bonne idée un jour devient une idée un peu basique dix ans plus tard. Quelque part ça t’oblige aussi à te remettre constamment en question.

 

Et puis je suis persuadé qu’il nous faut ressentir des émotions pour pouvoir les transmettre derrière. Pour moi un compositeur qui ne pleure pas n’est pas un bon compositeur pour le cinéma. Si tu n’arrives pas à te faire pleurer ou à te mettre toi-même les poils, c’est que ta musique n’est pas bonne et qu’il faut trouver autre chose. Pas à chaque fois, bien entendu, mais si le thème principal de ton film ne te provoque pas quelque chose, il ne le fera pas non plus au reste du public. Je crois aussi que plus tu essaies de lui en mettre plein les oreilles, plus tu réalises que ça ne marche pas. Si on remarque un peu trop la musique par rapport à l’image, c’est que tu t’es planté… ou que tu es un grand nom et que personne n’a osé te dire de te calmer un peu ! Dunkirk (Dunkerque) est le seul film de Christopher Nolan que je n’ai pas aimé, et même si je tiens Zimmer en haute estime, j’ai détesté ce qu’il a fait. A l’inverse, alors que j’avais écouté celle de The Amazing Spider-Man 2 avant de voir le film et que je m’étais d’abord demandé ce qu’il lui avait pris de faire un truc comme ça, genre orchestral/synthés des années 80 mais moche, j’ai en fait réalisé avec l’image que c’était exactement ce qu’il fallait. On aime ou on n’aime pas, d’accord, mais ça marche, ça fonctionne…

 

Aïlo, une Odyssée en Laponie (Guillaume Maidatchevsky - 2019)

 

Mais une musique qui « fonctionne », ce n’est pas un peu facile ?

Tu veux dire qu’au prix où il est payé, il pourrait au moins pondre un truc qui le fatigue ? (rires) Oui, je suis d’accord, mais même un joueur de foot qu’on paie des millions ne met pas tout le temps des buts ! Je pense que si une musique fonctionne, honnêtement, ce n’est déjà pas si mal. Et pour être clair, moi le premier je reconnais qu’il y a des moments où tu prends une direction parce que tu sais qu’elle va simplement fonctionner, sans plus. Mais parfois aussi, tu arrives à aller plus loin. Sur Aïlo par exemple, la séquence la plus épique du film montre le petit renne poursuivi par la meute de loups : la scène est haletante, et les producteurs me font comprendre que, là, il faut y aller carrément, ce qui sous-entend sans le dire que ça doit être « zimmérien » à mort, en lâchant les percussions, les cors d’harmonie, une vraie chevauchée fantastique ! Je leur fais donc une première proposition, parce que je m’acquitte d’abord toujours de ce qu’on me demande, par politesse, mais j’en fais une autre en leur expliquant que je comprends qu’ils veulent aller dans le sens qu’ils ont choisi mais que j’ai une autre direction intéressante.

 

Il se trouve qu’entretemps, on m’a également prévenu que nous n’aurions pas cinq jours de sessions avec l’orchestre mais seulement quatre, ce qui compromettait l’enregistrement des quatre-vingt-cinq minutes prévues : pas question pour moi d’être obligé de plaquer des maquettes à certains endroits du film ! Il fallait donc trouver une astuce qui permettait de ne pas dénaturer l’approche orchestrale choisie à la base tout en conférant à la scène de poursuite une identité musicale qui ne nécessitait pas d’enregistrer un orchestre. Et j’ai pris la chose complètement à l’opposé, avec une musique très lente, des voix un peu chamaniques, un rythme de bagnards… L’idée était de faire naître une tension avec cette impression que le renne va de toute façon forcément se faire dévorer. Et le résultat sonne cent fois mieux qu’un gros truc à la Zimmer ! Toutes les personnes à qui on a ensuite demandé le titre de la bande originale qu’il préférait ont cité ce morceau-là (La Traque, NDLR). Et pourtant à l’origine, cette musique-là n’est qu’une simple rustine ! C’est là où la petite idée en plus intervient et qu’elle fait la différence. Ça n’a rien de génial au sens « génie » du terme, ça vient juste du fait d’y avoir réfléchi un peu différemment, d’avoir pris un peu de recul en sortant du cadre établi par ailleurs. Le plus compliqué est d’avoir des idées tout le temps ! Ça te tue la tête quand tu ne trouves pas ! Tout le monde va te dire qu’il faut s’aérer, trouver une petite routine comme faire du sport, balader le chien, ou bien partir en week-end… Il n’y en a aucune qui marche ! (rires) Moi j’y pense tout le temps, et il me faut avoir fini un film pour pouvoir décrocher.

 

Guillaume Maidatchevsky, Eric Debègue (Cristal Records), Julien Jaouen & Vivien Kiper (Troisième Auteur)

 

Pour finir, peux-tu nous parler un peu de ton engagement auprès de l’ONG Sea Shepherd ?

Ah, c’est une autre facette qui me tient particulièrement à cœur ! Je n’ai aucunement envie de faire la morale à qui que ce soit, ni de me draper de vertus comme c’est un peu la mode sur ce sujet en ce moment. Mais oui, c’est une organisation que j’apprécie et que je soutiens autant que je le peux, parmi d’autres. J’ai découvert cette ONG il y a environ dix ans, à un moment où les gens qui s’en occupent étaient clairement reconnus comme des « pirates écologiques ». Leur volonté de se confronter directement, en mer, au problème de la sauvegarde des océans et de ses espèces m’a séduit. Je soutenais déjà des organismes comme GreenPeace à l’époque, mais avec la frustration de ne jamais les voir répondre avec la même violence que leurs détracteurs. Sea Shepherd, au contraire, s’opposait aux braconniers par la piraterie. Comment ne pas être ému du sort réservé à toutes ces espèces animales que nous violentons en permanence, et pas seulement en mer ?

 

Je ne suis pas un adorateur fanatique de la défense de la Nature, la radicalité sans vraie raison me fait peur. Mais il faut être totalement abruti et insensible pour ne pas voir l’imbrication évidente entre notre confort et l’état de la faune mondiale. Il ne s’agit pas de « sauver la planète » comme on l’entend trop souvent sur un ton niais, ce qui reviendrait à nous hisser nous-mêmes dans la position d’un dieu tout puissant. Notre planète n’a pas besoin de nous et nous le rappelle douloureusement et régulièrement lorsqu’elle le souhaite. Il s’agit de se battre contre nous-même, contre notre talent évident à tout transformer, casser et se plaindre que le « jouet » ne marche plus aussi bien ensuite. Cela fait de nous une espèce agressive pour notre environnement. Et Sea Shepherd assume sa part pour améliorer tout cela. J’ai le plaisir de faire parfois quelques musiques pour eux, entre autres pour le film SOS (Sound Of Sea) avec Guillaume Néry. Cela me donne probablement bonne conscience et un peu l’illusion de contribuer à leur travail de préservation, même si l’engagement que vivent ces « pirates » reste le véritable pas héroïque vers des océans plus sains. De toute façon, j’ai le mal de mer… (rires).

 

Aïlo, une Odyssée en Laponie

 

Entretien réalisé le 1er juin 2019 à Alençon par Florent Groult.
Transcription : Florent Groult.
Illustrations : Aïlo © Borsalino Productions – Gaumont – MRP Matila Rohr Productions.
Les autres photos ont été fournies par Julien Jaouen.
Remerciements à Julien Jaouen et à sa famille pour leur accueil plus que chaleureux.

Florent Groult
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