Rambo III (Jerry Goldsmith)

Missing in Action #5

Disques • Publié le 02/03/2020 par

Elles forment une troupe hétéroclite d’orphelins et de réservistes qui jamais ne furent envoyés au front, claquemurés pour ne pas fragiliser l’équilibre dramatique patiemment édifié à l’écran ou satisfaire les caprices de stars tyranniques et de producteurs dévorés d’acouphènes. UnderScores se propose, montages à l’appui, de donner la parole aux musiques qu’en tous temps, le cinéma rejeta loin des feux de la rampe.

RAMBO III (1988)Rambo III
RAMBO III
Réalisateur : Peter MacDonald
Compositeur : Jerry Goldsmith
Séquence décryptée : Final Battle (1:29:20 – 1:33:40)
Éditeur : Intrada

A deux contre cent, le combat paraît légèrement inégal. Mais les troupes soviétiques hérissées de canons ne sont bien entendu pas de taille à doucher l’ardeur guerrière de Rambo : un trait d’humour (une fois n’est pas coutume) et un juron méprisant plus tard, notre bête de guerre favorite se retrouve à canarder dans le tas. Sous son feu destructeur, tout y passe inéluctablement, infanterie, tanks, hélicoptère monstrueux au mufle de béhémoth… et jusqu’à la musique, victime hautement dommageable, celle-ci. Pour ses adieux au super-soldat, qu’il cornaquait depuis ses premiers déboires à l’écran, Goldsmith s’était pourtant fendu d’un spectaculaire baroud d’honneur. Hélas, aussi belliqueux, féroce et musclé que soit Final Battle, il ne servit que le temps d’une brassée de décibels en salle de montage, où lui fut préférée pour large part une reprise pas forcément débordante d’à-propos d’Escape From Torture, l’emblématique clou de Rambo: First Blood Part II.

 

Pour les oreilles dissipées, il n’y a peut-être pas de quoi fouetter un chat. En effet, hormis l’orgueilleux motif des mujahidin, les fils indomptables de la steppe, qui annonce à nos héros en mauvaise posture l’arrivée salvatrice de la cavalerie, les quatre notes familièrement associées à Rambo lorsqu’il déchaîne les enfers cannibalisent l’un et l’autre des morceaux concurrents avec une égale fureur. Même galop trépidant, même orgie de destruction, avec en prime le thème de la menace rouge, écrit pour le second volet et recyclable a priori sans trop de mal sur les images du troisième. Mais avec Goldsmith, saint patron de la double croche, les choses sont rarement aussi schématiques qu’elles peuvent l’être chez nombre de ses confrères moins scrupuleux. Bâti sur une succession ininterrompue de rythmes changeants et d’accélérations vertigineuses, Escape From Torture donne de bout en bout le sentiment d’une haletante course d’obstacles, quand l’implacable montée en puissance de Final Battle fait surgir l’image de moellons colossaux, qui s’écrasent au sol l’un après l’autre.

 

Rambo III Photo 01

 

Une autre différence de taille existe : fort de ses multiples soubresauts, le morceau de bravoure du numéro deux abonde en « points de passage » par lesquels s’engouffre Goldsmith, en parfaite symbiose avec les escarmouches qui s’égrènent à l’écran, comme s’il matérialisait dans un déluge de lignes brisées l’adrénaline inondant les veines du héros. D’aspect plus uni, bien moins fertile en cassures virtuoses de tempo, le climax du trois gronde sa rage synthético-symphonique en faisant l’économie d’ostentatoires balises. Lesquelles auraient sans doute facilité l’existence de votre dévoué serviteur lorsqu’il se mit en tête de recréer cette scène telle que le compositeur l’illustra initialement. Sans borne plus révélatrice que l’irruption des mujahidin et la paroxystique collision des auto-tamponneuses, encombré par surcroît de plusieurs dizaines de secondes débordant du cadre de la séquence et dont il fallut bien expurger la musique (que Jerry, où qu’il soit, ait la mansuétude d’absoudre cet ignominieux vandalisme !), l’exercice fut semé d’embûches. Et le résultat, très imparfait, achoppe sur un montage peut-être pas épargné par d’ultimes coups de burin après que Goldsmith eut rendu sa copie.

 

Ainsi s’acheva le périple bras dessus bras dessous de John Rambo et son Amphion de légende, par une note discordante due aux impérities de la production — ceci sans même parler du générique de fin, qui défenestre la superbe pièce ouvragée par le compositeur pour favoriser une aimable guimauve pop. Mais les mésaventures musicales de l’Ultimate Warrior ne devaient pas s’arrêter là. Vingt ans plus tard, en l’absence de Jerry Goldsmith terrassé par la maladie, Brian Tyler récupéra l’étendard de bataille qu’il exhiba à gros étalage de la proverbiale finesse de ses vociférations. Prouvant par là même, tout du long de ce quatrième épisode tardif, et plus tard encore avec un Rambo: Last Blood sillonné de veines également proéminentes, qu’il y a bel et bien bourriner… et bourriner.

 

Benjamin Josse
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