Indiana Jones And The Last Crusade (John Williams)

Missing in Action #6

Disques • Publié le 30/03/2020 par

Elles forment une troupe hétéroclite d’orphelins et de réservistes qui jamais ne furent envoyés au front, claquemurés pour ne pas fragiliser l’équilibre dramatique patiemment édifié à l’écran ou satisfaire les caprices de stars tyranniques et de producteurs dévorés d’acouphènes. UnderScores se propose, montages à l’appui, de donner la parole aux musiques qu’en tous temps, le cinéma rejeta loin des feux de la rampe.

INDIANA JONES AND THE LAST CRUSADE (1989)Indiana Jones And The Last Crusade
INDIANA JONES ET LA DERNIÈRE CROISADE
Réalisateur : Steven Spielberg
Compositeur : John Williams
Séquence décryptée : To The Blimp (1:09:45 – 1:11:30)
Éditeur : Warner Bros. / Concord Records

On s’en souvient, beaucoup doutaient (et continuent d’ailleurs pour certains de douter), à l’époque où Steven Spielberg préparait Schindler’s List (La Liste de Schindler), de ses aptitudes à regarder l’Histoire en face, sans chichis ni fausse pudeur. Ce scepticisme trouvait bien sûr largement sa source dans les aventures d’Indiana Jones, qu’on vit souvent aux prises avec des Nazis de bande dessinée avides de pouvoirs surnaturels. Il n’empêche, même ici, le cinéaste n’avait pas complètement jeté aux orties la question de leur représentation à l’écran, pas toujours aussi fantaisiste qu’il l’est en règle générale admis. Témoin Indiana Jones And The Last Crusade, orchestrant autour d’un autodafé tragique la rencontre d’Indy avec le chef suprême du Troisième Reich. Dans les salles obscures, nombre de gosiers encombrés de pop-corn se contractèrent peut-être en reconnaissant la sinistre moustache taillée au carré, et surplombée d’yeux plus froids que le givre.

 

Autour des deux silhouettes tombées nez à nez, l’heure est à la liesse. Chacun veut livrer aux flammes ces monceaux de livres impies, transformés le temps d’une nuit terrible en projectiles de fête foraine. Loin de partager cette allégresse, John Williams lui-même a imposé silence à son bagout coutumier, laissant à une fanfare intradiégétique la peu enviable besogne d’exalter l’horrible joie qu’un fou parvint jadis à inoculer dans le cœur et l’esprit d’un peuple tout entier… Mais, avant d’abdiquer, le compositeur avait cependant essayé. A Hitler, et par extension à l’Allemagne convulsée de démence, échut d’abord une musique ombrageuse, l’un de ces thèmes et motifs à usage unique, sans lendemain, dont le film, rien que dans sa longue séquence d’ouverture, regorge.

 

Indy vs. Adolf

 

Bien qu’il ne compte aucunement s’éterniser, ce thème n’en néglige point de passer par de subits changements d’humeur, entre bile narquoise et rigidité martiale. Une très courte parenthèse s’ouvre en son sein, à l’occasion d’un insert qui voit la main gantée du dictateur faire l’aumône à notre héros d’un autographe inattendu. Ces quelques secondes, d’allure bien anodine, mais glacées, sans timbre, inhumaines presque, appartiennent en propre à Hitler et se dérobent aux palpitants scintillements de l’écriture d’un Williams ayant une fois de plus endossé sa panoplie de baroudeur de serial. Ainsi en avait décidé celui-ci, empli d’humilité face à la marche inexorable d’un destin que, tous, nous savons fatal. Mais Spielberg ne se rangea pas à ses côtés, fait rarissime et lourd de signification dans la tétralogie de l’homme au fouet, où presque toutes les (très nombreuses) notes couchées par Williams sur le papier à musique trouvèrent confortable accueil à l’image.

 

Jugeait-il peu adéquate cette tentative de dramatisation marmoréenne ? Fut-il envahi de scrupules à l’idée de gratifier d’une « musique de film »  le plus abominable criminel de tous les temps ? In fine, le réalisateur préféra s’en tenir au gentil suspense d’une source music lestée de tambours, comme un moyen raisonnablement sûr de ne pas grimer le Führer en super-vilain de pacotille. Une fois tirés de ce mauvais pas, les Jones père et fils mettent le cap sur un aérodrome où les attend un titanesque zeppelin, ultime espoir pour eux de fuir la frénésie germanique, mais aussi symbole orgueilleux de la puissance des Nazis — non plus Hitler lui-même, mais ses mignons avec leurs pantalons jodhpurs et leurs bottes au cuir luisant, ennemis héréditaires d’Indy que le film, tour à tour, enrobe de menace et couvre de ridicule. Leur rengaine, exemplaire leitmotiv pour méchants de cinéma, lève ici bien haut le menton, tout infatuée qu’elle est de sa majesté redoutable. L’Histoire, en cet instant, vient de taire ses turpitudes. L’aventure avec un grand A peut reprendre son train effréné.

 

 

Benjamin Josse
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