The Scarlet Letter (John Barry / Elmer Bernstein)

Missing in Action #2

Disques • Publié le 14/10/2019 par

Elles forment une troupe hétéroclite d’orphelins et de réservistes qui jamais ne furent envoyés au front, claquemurés pour ne pas fragiliser l’équilibre dramatique patiemment édifié à l’écran ou satisfaire les caprices de stars tyranniques et de producteurs dévorés d’acouphènes. UnderScores se propose, montages à l’appui, de donner la parole aux musiques qu’en tous temps, le cinéma rejeta loin des feux de la rampe.

The Scarlet LetterTHE SCARLET LETTER (1995)
LES AMANTS DU NOUVEAU MONDE
Réalisateur : Roland Joffé
Compositeurs : John Barry / Elmer Bernstein
Séquences : Love Scene (0:47:22-0:53:11) / Indians Attack (2:04:41-2:07:34)
Éditeur : Epic Soundtrax

Pareille affiche, au mitan des 90’s, n’eût peut-être pas suffi à remplir de lave en fusion le ventre du Madison Square Garden. Mais elle aurait à coup sûr exercé une formidable attraction sur les zélateurs de longue date des deux vétérans venus en découdre. Dans le coin gauche du ring, Elmer Bernstein, vénérable relique du western (plus ou moins) classique, encore vigoureux dans les turbulentes 80’s au sein desquelles il sut admirablement se couler, mais qu’Hollywood, peu à peu, bannissait de ses tablettes. A droite, John Barry, son blason, bien que redoré cinq ans plus tôt par le triomphe de Dances With Wolves, voyant la poussière le moucheter à nouveau de tâches grises, et cette fois sans aucun espoir de connaître un second souffle. Mais il n’y eut entre les vieux maîtres aucune empoignade de titans autour de laquelle auraient crépité les flashs. L’algarade ne fit rage que sur les tables de mixage, au cours d’une production émaillée de caprices dont celui, notoirement, de Demi Moore, ne fut pas le moins gros de conséquences.

 

Pour l’anecdote, il fut envisagé un court laps de temps que grimpât à bord du navire (ou plutôt de la galère) une autre légende vivante, nul autre qu’Ennio Morricone. Du combat de boxe évoqué ci-avant, The Scarlet Letter serait devenu l’écarlate théâtre d’une véritable Battle Royale ! Mais le refus du Maestro allégea une équation que la star féminine du film trancha finalement en défaveur de Bernstein, bien qu’il eût abattu le premier un généreux et magnifique ouvrage. Faut-il jeter la pierre à Demi Moore ? L’accabler d’invectives à base d’otite suppurante ? On hésite à passer à l’acte, tant son geste peut apparaître comme un gage de fidélité, ou mieux encore, un acte de foi envers un compositeur ayant su la charmer auparavant grâce à Indecent Proposal (Proposition Indécente). N’empêche, si l’on tient à filer encore un peu la métaphore pugilistique, il ne fait pas grand doute que Bernstein aurait allongé Barry dès le premier round. Quand l’un ne savait plus que faire rimer avec un engourdissement torpide ses mélodies lancinantes et plaintives, l’autre donnait libre cours à toute son impétuosité romanesque et livrait l’un des derniers Everest de sa carrière.

 

 

Dans l’embrasement des sens comme dans le tumulte de la bataille, sa musique réfute absolument la prudente frilosité qui n’eût été pour elle que le pire des tue-l’amour, et, ainsi débarrassée, la voici se roulant dans une débauche d’excès. L’étreinte des amants, par la grâce d’un Lovemaking décollant jusqu’au ciel, déborde d’une irrésistible passion, et même l’usage peu orthodoxe qu’une houri à la peau d’ébène fait d’une chandelle, qu’en temps ordinaire nous réprouverions avec vigueur, exhale via la suave persuasion des cordes un charme torride. Même méthodologie orgiaque, même emportement musical lorsque les armes prennent la parole. A l’unisson de la première flèche décochée et du premier sang versé, l’orchestre explose soudain en un tonnerre belliqueux, vrai maelström de percussions folles furieuses et de cuivres semblablement enragés, auquel le Love Theme ne parvient que dans la souffrance à extorquer des notes fugaces.

 

La méthode Barry, incroyablement pudibonde en comparaison, semble quasiment le négatif de la puissance de feu de Bernstein qui dut, victime de son ardeur, aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte. Voici d’ailleurs bel et bien ce qu’il fit, non sans avoir adressé à Demi Moore une lettre qu’on imagine ruisselante d’ironie, où il la remerciait de l’avoir congédié. Ainsi pourrait-il gratifier son splendide labeur d’un plus digne écrin de pellicule que celui ouvragé sans trop de conviction par Roland Joffé — le croyait-il, tout du moins, à l’heure de rejoindre Martin Scorsese sur Gangs Of New York. Mais l’italianamerican le détrompa cruellement à son tour. Décidément, quand ça ne veut pas…

 

Benjamin Josse
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