L’Héritier / L’Alpagueur (Michel Colombier)

Riff droite, riff gauche

Disques • Publié le 13/04/2016 par

L'Héritier / L'AlpagueurL’HÉRITIER / LE HASARD ET LA VIOLENCE / L’ALPAGUEUR (1973 / 1974 / 1976)
Compositeur :
Michel Colombier
Durée : 46:38 | 23 pistes
Éditeur : Universal Music – Ecoutez le Cinéma

 

 

4 out of 5 stars

Avant tout reflet d’une époque et oeuvre d’un réalisateur nettement influencé par le polar américain, L’Héritier dresse – autour de l’une des plus grosses vedettes de l’époque, Jean-Paul Belmondo, et de plusieurs seconds rôles chevronnés (Chaumette, Denner, Garrel, Rochefort, Beaune, Desailly…) – le portrait de Bart Cordell, héritier d’un empire financier et politique. Par l’intermédiaire de Jean-Pierre Melville, son mentor de cinéma, pour qui Colombier vient de signer la musique d’Un Flic, Labro entreprend de confier la partition de ce thriller politique au compositeur de L’Arme à Gauche qui est, en 1973, déjà un compositeur-arrangeur confirmé (Le Pacha, Une Souris chez les Hommes, Ce Sacré Grand-Père…)

 

Pour L’Héritier, Colombier compose une musique en totale adéquation avec le personnage de Cordell et le monde industriel et financier qu’il dirige : piano, guitares, batterie, basse électrique et cuivres sont les principaux moteurs mélodiques de cette partition plutôt énergique, mais empreinte d’une mélancolie qui annonce déjà le destin tragique du personnage. Mention particulière au thème principal qui ne peut que nous évoquer l’image d’un Charles Denner désemparé, penché sur le corps de son ami Cordell, lâchement assassiné. Pour obtenir cette efficacité très seventies (guitares scratch, pédale wah-wah, basse soutenue, orgue/moog et interventions de cuivres musclés), le compositeur s’entoure de solistes dont la réputation n’est plus à faire : Jannick Top à la basse, Claude Engel à la guitare et Jean Schulteiss à la batterie. Devenue l’emblème de beaucoup d’afficionados de musiques funky/pop 70’s, la partition de Colombier s’inscrit véritablement dans son époque et suit la veine d’un renouveau musical perpétrant l’image d’un acteur pour qui certains compositeurs surent prendre des risques et sur lequel la musique n’aura que peu de prises avec le temps (De Roubaix pour La Scoumoune et plus tard Sarde avec Flic ou Voyou).

 

Jean-Paul Belmondo et Carla Gravina dans L'Héritier

 

L’Héritier est un succès critique et public pour Belmondo (plus de 2 millions d’entrées en France) mais surtout pour Labro qui, un an plus tard, décide avec son comparse Jacques Lanzmann, de réaliser Le Hasard et la Violence avec Yves Montand et Katharine Ross. Colombier répond à nouveau présent et livre une partition laissant cette fois la place aux cordes, à la dramaturgie et aux vocalises du chanteur Drupi, alors véritable star italienne. Malgré la présence de Montand, le public délaisse le film au profit d’Emmanuelle, de The Exorcist (L’Exorciste) et des Valseuses.

 

« L’alpagueur, c’est un chasseur de têtes, un mercenaire, un marginal. L’alpagueur, c’est l’astuce qu’a trouvé un haut fonctionnaire pour passer au-dessus de la routine policière. Tout à fait illégal mais très efficace. » (Jean Négroni, extrait du dialogue du film). On ne change pas une équipe qui gagne et les retrouvailles de l’acteur et du réalisateur sont prometteuses : l’histoire d’un chasseur de primes qui va s’attaquer à l’ennemi public n°1, avec l’aide d’un de ses anciens complices. Belmondo, sacré champion du box-office avec le récent Peur sur la Ville de Verneuil, s’oppose à Bruno Crémer et, pour ce face à face entre les deux compères du Conservatoire, Colombier compose un thème très puissant pour un film teinté de références à son ami Melville (maison de banlieue à Juvisy, peu de de dialogues, héros cyniques…) et ne laissant la place qu’à un monde d’hommes. Batterie, timbales, cuivres, harmonica dissonant, piano et guitares reflètent un combat acharné entre deux fauves. Un thème assez noir avec ses riffs de guitare entêtants et oppressants qui deviendra en 1976 l’indicatif de la première cérémonie des César. Mais la musique de L’Alpagueur fonctionne surtout avec les images (Suspense 1, 2, 3 et 4) et un montage très vif que l’on doit à Jean Ravel, comme peuvent en témoigner les nombreuses séquences musicales du film dans lesquelles la partition de Colombier opère admirablement. La musique évolue ensuite entre une valse triste pour manèges et souvenirs (Valse de l’Epervier), quelques notes pianistiques mélancoliques (L’Epervier Inquiet et Souvenirs de l’Epervier), une bossa pour détenus carcéraux véreux (Bossa Botola), et autres concertos pour piano et harmonica (L’Alpagueur contre l’Epervier), faisant parfois accéder le récit à une véritable mythologie.

 

L’Alpagueur sera l’ultime collaboration Labro/Colombier, le compositeur s’en allant rejoindre ses camarades Jarre et Delerue outre-Atlantique où il mènera une carrière tout aussi prolifique. Mais ces deux partitions restent comme le témoignage d’une époque où le seul nom d’un acteur rassemblait les foules autour d’une bonne dose d’action, d’humour et de cascades. On ne peut qu’être nostalgique à l’écoute de cet album qui souligne, à travers une fusion pionnière, le talent d’un compositeur polymorphe. Plus qu’un style, un son.

 

Philippe Labro et Michel Colombier

Michael Ponchon
Les derniers articles par Michael Ponchon (tout voir)