Skyfall (Thomas Newman)

Thomas Newman obtient la licence

Disques • Publié le 12/11/2012 par

SkyfallSKYFALL (2012)
SKYFALL
Compositeur :
Thomas Newman
Durée : 77:00 | 30 pistes
Éditeur : Sony

 

3.5 out of 5 stars

S’il en est toujours quelques-uns pour exprimer ouvertement le vieux fantasme de voir un nouveau venu insuffler un vent de fraîcheur musicale sur la franchise 007, la plupart escompte avant toute chose qu’il se glisse sagement dans le moule d’un exercice balisé depuis bien longtemps, quitte à laisser de côté le plus gros de sa personnalité. Ne soyons pas hypocrites : en réalité, tout le monde a encore à l’esprit la douloureuse expérience qu’Eric Serra a connu avec GoldenEye, et même s’il s’en est sorti avec de plus grands honneurs, on ne saurait oublier que Michael Kamen s’y est lui aussi cassé les dents, sa partition pour Licence To Kill (Permis de Tuer) ayant en son temps les allures incongrues de celle d’un Die Hard (Piège de Cristal). Du coup, est-ce un hasard si c’est finalement David Arnold qui, depuis 1997 et Tomorrow Never Dies (Demain ne meurt Jamais), a largement emporté l’adhésion grâce à une approche certes actualisée mais destinée avant tout à payer son tribut aux vieilles et éternelles recettes de John Barry, s’imposant comme son digne héritier pour ne pas dire son fils spirituel ?

 

Aujourd’hui, Thomas Newman reçoit l’insigne privilège de mettre (provisoirement ?) fin aux bons et loyaux services de l’agent Arnold, un «permis de composer» qui s’explique bien entendu par la présence du réalisateur Sam Mendes avec lequel il a travaillé à quatre reprises auparavant. A-t-il eu ne serait-ce que quelques velléités de bouleverser un peu la donne au sein d’une production conservatrice ? Il est probable que non. Aussi n’opère-t-il pas de rupture brutale avec le style de son prédécesseur, d’autant qu’il est lui-même tout à fait à son aise lorsqu’il s’agit de mêler orchestre traditionnel, éléments électroniques et rythmiques contemporaines. A première vue, Newman s’emploie donc à honorer un cahier des charges quasi immuable d’un film à l’autre et à fournir la partition d’action percussive, dynamique et moderne attendue. De plus, le compositeur joue de chaque code propre à la franchise avec une évidente délectation. Tout y est : le thème emblématique de Monty Norman détricoté comme il se doit, la douceur lyrique ponctuelle des cordes, les éclats jouissifs des trompettes, l’évocation triviale de la géographie, les élans cuivrés qui élargissent un cadre parfois étroit, toutes choses que John Barry lui-même avait en son temps instauré et que David Arnold avait ensuite repris à son compte. A chacun dès lors de répondre à cette question : Thomas Newman avait-il d’autres choix que de suivre cette voie toute tracée ?

 

Daniel Craig est James Bond

 

S’arrêter à ce simple bilan d’élève appliqué est toutefois une erreur. Newman est un compositeur créatif et malin et le plus important peut-être dans cette affaire est qu’il parvient à ne jamais se trahir en marquant l’ensemble de la partition de sa griffe, aisément identifiable pour peu que l’on soit disposé à y prêter une réelle attention. Ainsi, là où David Arnold avait facilement une propension naturelle à verser dans la surenchère avec plus ou moins de bonheur, Newman donne à entendre une pâte sonore beaucoup plus savamment équilibrée, parfaitement étudiée pour mettre en valeur ici de beaux unissons de cors, trombones et tubas, là les jolies interventions tour à tour douces ou affûtées d’une flûte, plus loin encore les brumeux échos sonores émanant d’une lande écossaise. Plus encore, il parvient à tisser cette trame délicieuse de cordes métalliques (guitares électriques, dulcimer à cordes frappées) qui lui est singulière et qu’il affectionne particulièrement. Celle-ci fait notamment merveille au sein des plages à suspense et des scènes de filature, accompagnant également l’imagerie technologique avec beaucoup de pertinence : musicalement parlant, le nouveau Q ne dépareillerait pas parmi les robots de Wall-E.

 

Finalement, peut-être le principal handicap du compositeur réside-t-il simplement dans le fait qu’il n’a pas signé la traditionnelle chanson titre. Celle-ci, par ailleurs plutôt réussie et totalement «bondienne», est l’œuvre de la chanteuse Adèle et de son producteur Paul Epworth, et sa mélodie ne surgit au sein de la partition qu’en une seule véritable occasion (l’entrée dans le Club Komodo) dans un bel arrangement dont on parierait volontiers qu’il est plus le fruit de l’orchestrateur J.A.C. Redford, présent quant à lui sur les deux tableaux. Du coup, faute de légitimité sans doute, Thomas Newman ne se l’approprie jamais et doit se contenter de multiplier les fragments mélodiques, ce qui n’empêche pas certains d’entre eux, avouons-le, d’être par endroit carrément galvanisants. Frustrant certes, mais néanmoins logique.

 

Alors ? Si elle n’est bien sûr pas la meilleure qui ait été produite pour un James Bond, pas plus qu’elle n’est la plus honteuse, n’en déplaise aux grincheux, cette partition a indéniablement fait l’objet des meilleures attentions de la part d’un compositeur astucieux qui réussit, malgré les obstacles inhérents à l’exercice, à lui imprimer un peu de son empreinte et, pour tout dire, de sa classe. Au moins ce Skyfall-là ne lui est pas tombé sur la tête…

 

Skyfall

Florent Groult
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