The Dark Knight Rises (Hans Zimmer)

Grandeur et décadence

Disques • Publié le 25/07/2012 par

The Dark Knight RisesTHE DARK KNIGHT RISES (2012)
THE DARK KNIGHT RISES
Compositeur :
Hans Zimmer
Durée : 51:20 | 15 pistes
Éditeur : Sony Classical

 

2.5 out of 5 stars

Conclusion très attendue de la trilogie qui a vu Hans Zimmer entamer une étroite collaboration avec le réalisateur Christopher Nolan, The Dark Knight Rises est plus symptomatique encore des dualités, ambiguïtés et autres conflits intérieurs… d’un compositeur de musique de film. Avant Batman Begins, Zimmer n’avait jamais approché un super héros de près, mais il était le dépositaire d’un standard musical à priori plus adapté aux productions Bruckheimer. Outre quelques trouvailles mémorables pour personnifier Batman puis le Joker, il avait malheureusement appliqué cette même recette miracle, au risque de faire éclater au grand jour – si ce n’était déjà fait – les limites d’un schéma reproduit ad nauseam. Mais alors même que Bruce Wayne et son alias doutent plus que jamais et que Bane remet en cause l’ordre établi, Zimmer profite du départ de James Newton Howard pour poursuivre ses recherches, sans pour autant abandonner les travers chéris d’abord par lui-même, par Nolan, par les producteurs… par le monde entier ou presque.

 

Passons rapidement sur le thème au piano de Catwoman – noir, quelque peu vénéneux et séducteur bien qu’innocent en apparence – qui n’apparaît qu’une seule fois dans l’album et semble volontairement occulté jusque la fin. En fin de compte, il n’aura pas participé à l’action, celle-ci étant monopolisée par les thèmes de Batman et de Bane, remixés encore et encore. Peut-être un dommage collatéral du caractère très masculin des films de Nolan… Il faut attendre Selina Kyle (une piste bonus disponible en téléchargement), pour voir le personnage participer à l’action. Malheureusement (ou heureusement, si l’on aime rire), ce morceau s’avère catastrophique, Zimmer s’étant appliqué à faire une version techno du thème de Catwoman, un remix qui inondait déjà les ondes du temps de la dream music et autres sous-genres dérivés de la techno.

 

Les deux notes en forme de sirène qui marquaient la naissance de Batman dans le premier film font évidemment leur retour ici. Cette signature indélébile se module selon une narration basée sur des principes forts, simples mais imposants. Bien heureusement, ce thème de l’émergence – qui n’avait sa pleine justification que lorsque Wayne cherchait encore le chevalier noir qui était en lui – évolue quelque peu dans l’ultime volet, notamment dans On Thin Ice où il acquiert une certaine profondeur psychologique. L’ambiance froide et nostalgique apporte un supplément d’âme au motif qui se voit allongé d’une note descendante. Puis la «sirène» se voit ici perturbée par le chant primal de Bane, autre concept concrétisant moins un personnage que les idées qui le meuvent. Dès Gotham’s Reckoning, la menace pèse par la faute des rythmes imposés et obsédants, du claquement des cuivres et surtout des voix scandées. Bane, ou la thématique de l’opposition : c’est encore l’application d’un concept musical, cette fois sous la forme d’un chant collectif de ralliement au terroriste. Alors que le motif du Joker se positionnait comme le reflet torturé de celui de Batman et jouait tel un miroir déformant, le thème de Bane incarne cette volonté du compositeur de conceptualiser le score, en suivant néanmoins une voie différente : la démarche artistique fait ici partie du sens donné à la musique car Zimmer a demandé l’année dernière aux fans de lui fournir matière à élaborer ce chant de révolte. De cette création collective est né un cri supposé venir des milliers de personnages ralliés à Bane.

 

The Dark Knight Rises

 

Mais finalement, l’intellectualisation plutôt intéressante dont fait preuve Zimmer sur la trilogie ne montre-t-elle pas ses travers à l’écoute des morceaux d’action ? En effet, les motifs des personnages s’y succèdent ou s’y superposent de telle manière qu’ils semblent souvent placardés, avec pour maigre résultat des passages euphorisants ou ennuyeux, c’est selon, qui nuisent au statut que les personnages acquièrent par leur musique. Des morceaux tels que Imagine The Fire sont symptomatiques de cet état de fait, d’autant qu’ils reproduisent les mêmes schémas que dans les deux films précédents : la surenchère en terme de niveau sonore et d’instrumentation – quelque part nécessaire pour que l’auditeur ait quelque chose de nouveau à écouter – met en exergue le fait que cela ressemble plus à des remaniements, voire des remixes. Et la nouveauté se manifeste plutôt dans l’apparition de sons familiers pour qui connait les travaux de Kenji Kawai et de Daft Punk (Imagine The Fire) ou de Cliff Martinez et John Carpenter (Underground Army). Zimmer a certes le droit d’amplifier l’aspect électronique de sa partition pour le film, mais l’astuce se révèle pour le coup un peu trop systématique pour que l’on y croie vraiment… Un systématisme problématique, car l’équation prime sur l’instinct : les ressorts musicaux sont vieux de vingt ans, gros comme le manoir de Bruce Wayne et surtout inadaptés, comme c’était déjà le cas dans Batman Begins et The Dark Knight. L’action, qui a pourtant une part importante dans les trois partitions, marque la trilogie du sceau de la stagnation. Une action en marche arrière, en somme.

 

Alors Hans Zimmer incarne-t-il toujours un certain dynamisme dans la musique de film ? Peut-être, ses idées semblant novatrices et galvanisantes pour le bon public. Sa force étant depuis toujours sa capacité d’adaptation par rapport aux envies du public, il s’assure un succès commercial ad vitam. Mais un compositeur ne se transforme-t-il pas lui-même en produit marketing à force d’anticiper les attentes d’un public peu exigeant ? Et que dire de The Dark Knight Rises au bout du compte ? En lieu et place du chaos que suscite le drame brutal mis en scène par Christopher Nolan, Zimmer guide l’auditeur vers des sensations fortes mais prévisibles. Le Joker avait contaminé de sa folie anarchiste la quasi-intégralité de l’album de The Dark Knight. Ce dernier opus se révèle plus trépidant mais moins engagé. Finalement, l’aventure est sans danger : on évite l’heureux accident et on se rendort gentiment après le dos d’âne.

 

The Dark Knight Rises

Sébastien Faelens