The Road (Nick Cave & Warren Ellis)

Children Of Men

Disques • Publié le 06/05/2010 par

The RoadTHE ROAD (2009)
LA ROUTE
Compositeur :
Nick Cave & Warren Ellis
Durée : 46:50 | 17 pistes
Éditeur : Mute

 

3 out of 5 stars

Réalisateur en 2003 d’un court-métrage d’animation intitulé Nick Cave And The Bad Seeds: Babe, I’m On Fire, John Hillcoat a toujours été très proche de Nick Cave, au point de lui confier non seulement les musiques de tous ses films mais également les scénarios de deux de ses précédents opus (Ghosts Of The Living Dead et The Proposition). Les fans du musicien le savent sans doute déjà, mais ceux qui ne connaîtraient que le rocker gagneront à découvrir le reste de ses productions afin de constater à quel point le bonhomme est doué et surtout «multi-talents» ! Entré dans le métier en 1983 en composant pour un film berlinois intitulé Die Stadt, il a depuis régulièrement signé des chansons pour le cinéma. Depuis 2005, il semble avoir rejoint le rang des «vrais» compositeurs de musique de film, écrivant les scores de The Proposition, The Assassination Of Jesse James By The Coward Robert Ford (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) et The Road, tous trois conçus à quatre mains avec le violoniste Warren Ellis. Les deux musiciens ont également œuvré sur deux documentaires, The English Surgeon et The Girls Of Phnom Penh.

 

Dans la lignée des précédentes partitions signées Cave & Ellis, celle de The Road est très intimiste, interprétée par un orchestre encore une fois très réduit : un piano, un violon, quelques cordes, quelques percussions et des bois (ces deux derniers étant utilisés de façon très sporadique), des synthétiseurs, et c’est à peu près tout. Ce choix s’avère totalement adapté à l’aspect dépouillé du film, qui propose une vision de l’humanité ramenée à sa plus simple expression : une musique emphatique sur fond de décors grisâtres et déprimants aurait évidemment été fort déplacée. Home plonge donc immédiatement le spectateur/auditeur dans l’ambiance mélancolique voulue par John Hillcoat grâce à une mélodie délicate et presque enfantine confiée au piano, aux sonorités cristallines d’un glockenspiel (ou d’un célesta ?) et à des bois suspendus sur une même note hypnotique… Ce morceau, tout en restant très sobre, fait preuve d’une délicatesse voire d’une tendresse qu’on retrouvera dans plusieurs autres pistes : Storytime, où le dialogue entre violon et piano prend la forme d’une élégie poignante ; The Mother, marquée par un violoncelle chaleureux ; Memory, qui propose un beau crescendo de cordes dominées par le violon aux consonances très western de Warren Ellis, ou encore The Real Thing, sorte de ballade nostalgique envoûtante.

 

Viggo Mortensen

 

Malgré une dominante atmosphérique et contemplative, les thèmes ne sont pas absents, loin de là : on en trouve deux marquants, le premier dans The Road et dans The Far Road, qui rappelle tantôt le Clavier bien tempéré de Bach tantôt la Sonate au Clair de Lune de Beethoven, et le second dans The Church et dans The Beach, dont le lyrisme teinté d’americana a des accents qui rappellent My Dog Skip (Mon Chien Skip) de William Ross (qui l’eût cru ?!). D’un autre côté, on trouve bien entendu plusieurs morceaux beaucoup plus sombres, certains «simplement» dépressifs (The Boy), d’autres tendus et menaçants voire carrément terrifiants. Des titres comme Water And Ash, qui donne l’impression d’entendre un orchestre s’accorder avant un concert durant une minute trente, The Bath ou encore The Family, pleins de sonorités étranges et planantes parfois très aiguës, étirées jusqu’au point de rupture, distillent un malaise à la fois léger et pénétrant, suggérant que la brève accalmie à laquelle on assiste ne fera que déboucher sur une catastrophe encore pire que la précédente.

 

Le rythme, toujours très lent, ne s’intensifie que lors de The Journey, une piste plus percutante et dramatique dont le piano martelé et les cordes aux accents tragiques rappellent beaucoup le style d’Howard Shore. Les quelques scènes-choc du film (l’attaque des cannibales au début et la découverte de la maison «garde-manger» dont la cave contient des choses sans nom) donnent lieu à des morceaux crispants et agressifs traversés de percussions affolées et saturés de sonorités électroniques tordues et désagréables très proches de celles employées par John Carpenter et Tyler Bates dans les Halloween. Toute l’horreur que suscitent les cannibales est parfaitement restituée ici.

 

Dans ces conditions, on comprendra aisément que la musique n’est pas la plus abordable ni la plus chatoyante qui soit. On se doit d’être prévenu de son extrême sécheresse – pour ne pas dire son austérité – et de sa tonalité souvent désespérée. Cela dit, comme on a pu le constater plus haut, elle n’est pas exempte de lumière et de beauté et possède des qualités largement suffisantes pour trouver sa place chez les amateurs aux côtés de The Assassination Of Jesse James, dont The Road, tout en s’avérant un brin inférieure, est la digne petite sœur.

 

The Road

Gregory Bouak
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