Fabien Guy apprivoise White Tiger
Interviews • Publié le 28/05/2011 par

 

« Obséquieux, haïssant les puissants et méprisant les faibles,

Sans foi, méfiant, cruel et sauvage (…), c’est le tigre blanc dans le cœur de l’escroc ! »

 

C’est par un carton décrivant la psychologie des personnages et ce qui deviendra un moteur dramatique que commence White Tiger. Enfants de l’escroc Mike Donovan, Roy et Sylvia se trouvent séparés lorsque leur père est trahi par Hawkes, son sous-fifre mais aussi indic pour la police. L’un et l’autre se croyant morts, ils grandissent et deviennent à leur tour des acteurs de l’escroquerie et du vol. Mais quand Roy retrouve sa sœur sans la reconnaître, il tombe également sur un Hawkes vieillissant contre qui sa soif de vengeance est intacte. Alors que ces trois personnages s’associent pour voler des bijoux, leur nature soupçonneuse les pousse à saborder leurs plans.

 

Ce film de Tod Browning datant de 1923, inconnu jusqu’alors car retrouvé comme par miracle, est maintenant édité en vidéo dans un coffret hommage au réalisateur proposé par Bach Films et Lobster Films qui ont, à cette occasion, demandé à Fabien Guy de lui créer une bande originale. Le jeune musicien étant à priori étranger à la composition pour l’image puisqu’il s’agit de son tout premier travail pour le cinéma, la démarche des éditeurs ne pouvait aboutir que sur un résultat intéressant, et ceci à plusieurs titres. D’abord parce que la volonté de mettre la musique en avant pour une œuvre aussi importante est plutôt rare en France, mais aussi parce que la musique se révèle étonnamment pertinente de par la sensibilité musicale unique du compositeur. Alors même que les moyens employés sont à des lieues de l’ambition dont bénéficie le projet, c’est avec passion et modestie qu’il nous présente son parcours et son travail.

 

 

Pourriez-vous nous exposer votre parcours musical ?

Je suis né à Marseille où j’ai commencé la guitare en autodidacte, vers 14-15 ans, même si j’écrivais et écoutais déjà énormément de musique avant. C’est une guitare offerte sur un lit d’hôpital qui a changé la donne… Mais il faudrait vraiment que je fasse un très long résumé, des caves où je répétais jusqu’aux premiers concerts… Alors je vais simplement partir de mon arrivée à Paris en 2002 avec beaucoup de textes dans les poches et des démos enregistrées avec un vieil ordi, une vieille batterie, une basse (un « vol emprunté ») et surtout mes premières guitares, à la recherche de musiciens et d’un label. J’ai pris le pseudonyme de Liqueur Brune. J’ai très vite refait de la scène et adopté le « do it yourself » malgré l’intérêt (et l’indécision) des maisons de disques, et j’ai  développé mon répertoire et mes recherches en fonction de mes rencontres et de mes déboires… Chronologiquement, j’ai été repéré en 2003 par les MCM Sessions et l’Opération Paris Jeunes Talents, et j’ai pu réaliser une première auto-production et un premier clip sur MCM pour le single Uphoria, la même année. Puis j’ai enchaîné les concerts et les nuits dans les studios parisiens, en auto-produisant pas mal de démos, en réalisant en 2006 un autre clip / court-métrage sur le morceau Lever l’Ancre sur MTV et MCM, en faisant des premières radios (le Mouv’ et autres). Puis j’ai signé un contrat avec un label indépendant pour enregistrer un premier album officiel sorti en 2008 et qui a eu son petit succès grâce à une reprise de Gainsbourg et d’un clip en 3D… Je le considère aujourd’hui comme un brouillon puisque j’ai beaucoup évolué depuis. Le label ayant été liquidé, une tournée annulée, je me suis à nouveau retrouvé seul et j’ai continué d’écrire et d’enregistrer chez moi plusieurs futurs albums : les deux prochains Liqueur Brune, de la musique instrumentale et psychédélique pour un projet parallèle nommé Los Ojos Carnivoros, des projets rock électro et toujours l’écriture en filigrane.

 

Pouvez-vous nous racontez comment vous avez fait cette incursion dans la musique de film ?

Grâce à Patrice Verry, de l’éditeur indépendant Bach Films, qui connait bien Liqueur Brune et qui a déjà eu l’occasion d’écouter ce que j’enregistre et cache chez moi. Il a été le détonateur. Olivier Bach et lui cherchaient quelque chose d’original pour White Tiger, cette œuvre rare de Tod Browning. Patrice a toujours vu des images dans ma musique. Avant lui, plusieurs personnes m’avaient déjà fait la remarque. Ma musique est assez progressive et, en ce sens, elle cherche l’émotion jusqu’à la (re)trouver, l’aimer, la piéger, la violenter, la laisser repartir. Cela laisse présager des structures de chansons un peu différentes. Le fait de créer des virages imprévus en se retenant aux branches… quelque chose qui embarque aussi ou qui happe. Cela semblait naturel de passer à la composition d’une BO.

 

Etiez-vous déjà intéressé par cet exercice qui consiste à (re)créer une bande originale ?

Oui, toujours. J’ai enregistré des introductions, des thèmes et des interludes pour mes albums rock et des tas de morceaux instrumentaux. Par exemple : Untel Project, un voyage sonore de quinze minutes entièrement fait avec un vieux synthé Korg et une boîte à rythme (et mon éternelle guitare), une musique pour le court-métrage Nature Morte, assez agressive et calée sur les coups de pinceaux d’un peintre, inspirée par le groupe de métal mélodique suédois Opeth, ou encore beaucoup de thèmes au piano également. Tout ceci dort dans mes disques durs et revient coucher de temps en temps avec mes neurones… Il m’arrive d’aller puiser encore aujourd’hui dans des maquettes vieilles de dix ans.

 

Quels sont vos goûts musicaux et vos influences ?

Ils sont très variés, même si la couleur rock reste la principale. Je n’ai pas une grande culture de la musique de film : j’ai pu aimer des centaines de thèmes – sans forcément noter le nom des compositeurs – comme les génériques funk des vieilles séries ou la pop esthétique d’un John Barry (comme le générique d’Amicalement Vôtre), les compositeurs japonais comme Joe Hisaishi ou les premières BO de Danny Elfman. J’ai un petit faible historique pour Eric Serra et Le Grand Bleu… Récemment, j’ai bien aimé ce qu’a pu faire Sonic Youth pour Simon Werner a Disparu. Je suis autant influencé par certaines musiques de film (celles de Lynch, Kenji Kawai, les compilations) que par le rock au sens très large, avec donc énormément d’influences et de mélanges. J’aime d’ailleurs confondre les époques, notamment dans l’approche du son et du songwriting. Je dirais que mes influences vont d’Arthur Rimbaud à The Mars Volta, de Nick Drake à Tool, de Léo Ferré à Sigur Rós ou encore de Satie à Massive Attack… pour ne citer que des noms connus bien sûr. J’aime aussi les bruits et les voix, leurs enchaînements incessants dans ma tête.

 

Justement, l’univers musical de David Lynch se fonde en partie sur l’ambiance…

En effet. Difficile de ne pas évoquer Lynch quant il s’agit d’univers pesant et halluciné. Je n’apprendrai rien à personne sur Lynch, son cinéma est unique, surréaliste, dérangeant, onirique et l’on pourrait appliquer ces mêmes adjectifs à leurs bandes originales : les sons torturés et méticuleusement élaborés pour tracer un calque de la réalité, une autre vision, plusieurs faces du monde et des humains. Tout cela avec une esthétique glaçante. Et puis c’est un vrai mélomane. Il a d’ailleurs toujours considéré la musique autant que l’image et les textures, choisi des playlists fabuleuses, des invités éclectiques… Il y a toujours mis d’importants moyens. C’est une grande différence avec le cinéma français où la musique originale vient souvent avec ce qu’il reste du budget. Pour White Tiger, je ne me suis pas vraiment inspiré de ses BOs mais j’ai quand même pensé à lui quand Roy, enfant, se retourne au début pour menacer Hawkes ou quand les personnages sont tentés par le poison… Je sais que Lynch a créé un label et a sorti des titres électro l’année dernière mais je ne les ai pas encore écoutés. Je rêverai évidemment de travailler avec lui… Aux dernières nouvelles, la BO lui a été remise en main propre lors de son passage à la Cinémathèque. Illusion zéro mais…

 

Avez-vous eu des instructions pour travailler sur White Tiger ?

Aucune. Ce fut la grande liberté mais aussi la grande peur ! Olivier Bach et Patrice Verry m’ont donné carte blanche : ils ont mis le film sur un serveur et m’ont dit que j’avais trois semaines. Je me suis donné une soirée pour voir si j’allais trouver le thème d’ouverture et avoir des idées de développement par rapport à la structure du film. Pour voir aussi si j’allais être à la hauteur de la confiance de Patrice et d’Olivier. J’ai pris la guitare et j’ai commencé à chercher en visionnant le début de film, le milieu et la fin. Je me suis mis beaucoup de pression à essayer de trouver le ou les thèmes qui restent.

 

Que vouliez-vous apporter au film de Tod Browning ?

Même si White Tiger reste, à mon sens, un exercice pour lui, bien avant Freaks ou The Unknown, la tension et le génie sont là. J’ai voulu apporter ce que je fais dans Liqueur Brune, mais avec la chance d’aller plus loin, sans voix ni texte. Il y a en effet des nappes qui s’étirent sur plusieurs minutes, des bandes ralenties à des moments particuliers du film et qui se veulent accompagner la suspicion, le mensonge et le chaos psychologique dans lequel se trouvent les personnages. Il y a de la noirceur, de la lourdeur, des états dans lesquels je me suis souvent retrouvé tard dans la nuit. Je voulais, sans arrogance, quelque chose qui reste même en sachant ce film destiné à un public averti, même destiné à l’oubli comme ses acteurs. Mais j’avais l’ambition de la « première fois », celle que j’alimente dans ce que je fais avec quelques certitudes et aussi beaucoup de vide. Je passais d’un instrument à l’autre, d’un sentiment à l’autre, en essayant de ressentir l’ambiance, plus encore que les images. Je voulais une marque sonore, une empreinte propre à ce film, pour créer une unité. Concevoir la BO comme une histoire dans l’histoire qui se laisse entrevoir si le spectateur le souhaite, car le film reste prioritaire, mais qui pourrait s’imposer par moment à l’auditeur. Le montage et le rythme anarchique de White Tiger m’ont permis d’improviser quelques fois autour d’« accidents » et d’envisager la BO comme un album de Liqueur Brune.

 

Je dois avouer que j’étais aussi dans une bulle, une future paternité apprise quelques jours avant que ce projet me soit proposé, plus beaucoup d’argent, une proposition déchirante de boulot la journée… J’ai passé mes nuits à converser à ma manière avec Browning. Et cette musique est devenue bien plus pour moi qu’une simple bande son puisque j’y ai mis autant de ma vie que ce que j’ai pu voir à l’image. A la fin, je me suis dit qu’il y aurait des critiques sévères, que beaucoup verraient cela d’un mauvais œil, une musique moderne sur une perle du cinéma muet. Mais c’était le défi et cela se passe plutôt bien. France Culture l’a diffusée et des cinéphiles comme François Angelier dans l’émission Mauvais Genres ne l’ont pas massacrée, au contraire ! Les magazines Brazil et Obsküre, que je connaissais très peu jusqu’à aujourd’hui, en font un très bon écho quand j’ai décidé de la sortir en parallèle du DVD. Ce n’était pas le but mais cela est encourageant pour la suite et permet aussi de faire un clin d’œil à Bach Films ainsi qu’à Serge Bromberg de Lobster Films, très enthousiaste du résultat.

 

Quelles étaient les difficultés narratives par rapport à un film muet ? Sur le ton à adopter et l’intensité dramatique ?

Le ton adopté s’entend, j’espère, dès l’introduction avec sa tension et l’évènement fondateur de la vengeance. Il fallait que cela soit noir, cela va sans dire. Mais il y a bien une palette du noir. Et des surprises. Ma difficulté première a été de me situer par rapport à un film muet. Plus tard, de situer ce film dans l’œuvre de Browning. White Tiger présente une histoire de machination et de vengeance, thèmes classiques mais avec un traitement moderne assez étonnant. J’ai suivi mon instinct et j’ai insisté sur certains passages qui me paraissaient être les moments clefs, tout en prenant le temps de tisser un son propre à la relation particulière qu’entretiennent Roy et Sylvia.

 

Je crois bien n’avoir jamais vu le film d’une seule traite. Je l’ai pris dans tous les sens, par tous les bouts. J’allais de l’introduction pour garder la tension du thème d’ouverture à la feuille blanche d’une scénette qui n’aurait pas forcément d’écho dans la suite de l’histoire. Mais là où Browning est fort, c’est que tout a un écho, une incidence sur le comportement des personnages… Cela allait dans le sens de ce que je voulais bâtir pour White Tiger, une architecture d’une heure. Ainsi, après les premières minutes, l’idée me plaisait que le spectateur soit happé et ne puisse se douter du développement de la musique, comme du scénario.

 

 

Aviez-vous des musiciens pour enregistrer avec vous ?

Non. J’ai joué tous les instruments, sauf la batterie qui m’a valu quelques nuits de programmation ! De toute manière, même si je suis avant tout guitariste et chanteur, quand je compose, je joue tous les instruments. Par ailleurs, j’ai des musiciens pour la mouture live de Liqueur Brune et les phases d’enregistrements en studio. Notamment le phénomène français de la basse, Pascal Blanc.

 

Au fur et à mesure du récit, on se rend compte que votre musique colle vraiment aux émotions des personnages. Par quels procédés et quels instruments y êtes-vous parvenu ?

Merci, je suis content que ça se ressente, c’était le but. J’ai beaucoup avancé au feeling, donc parfois à l’aveuglette. Le feeling est la seule réponse que je peux donner. Le feeling n’est pas que dans l’exécution, c’est aussi du silence et des doutes mêlés qui doivent absolument jaillir par les notes. Le matériel utilisé a été très très sommaire. Pas de Pro Tools et de grands studios. Juste une guitare et mes pédales, une basse, un PC et mon clavier Korg avec un vieil expandeur pour le piano, les cordes, l’orgue… Pour les prises, un petit 8 pistes Mackie acheté avec un premier salaire ! Pour le mixage et le mastering, beaucoup d’oreille et d’essais.

 

On trouve de nombreux thèmes musicaux dans votre travail. Etait-ce un objectif prioritaire ?

Il y a en effet le White Tiger Theme, le Chess Player Theme ou encore l’Organ Drama Theme, pour ne citer qu’eux. Mais ils ne sont jamais vraiment les mêmes, ils sont évolutifs. Il y a toujours plusieurs arrangements différents, un développement intime en fonction du moment que j’ai choisi pour les utiliser. Grâce à la complexité des personnages, les thèmes peuvent évoluer. Mais je ne suis pas non plus dans la déclinaison systématique. Le White Tiger Theme varie peu car il a été envisagé comme un socle, comme la marque musicale de White Tiger. Je crois qu’un film se doit d’avoir un thème très fort et unique mais que si l’histoire le permet, notamment ici les relations entre les personnages dès lors qu’ils ont un passé ou un développement, d’autres peuvent surgir et sinuer jusqu’à un certain moment, au-delà d’un simple accompagnement. J’imagine que les bons films guident vers cet objectif. Après, il faut aussi choisir de ne pas faire dix bandes originales en une. Ici, j’ai ressenti le besoin de composer, c’est vrai, plusieurs thèmes et sous-thèmes différents.

 

Dès la première scène, on sent l’ambiance poisseuse de l’univers de Mike Donovan. Comment avez-vous reproduit cela ?

En jouant avec une boîte à musique et une vieille percussion rendue lugubre. La boîte à musique revient souvent entre Roy et Sylvia, quand ils sont enfants puis adultes, jusqu’à disparaître à la moitié du film. Après, d’autres évènements et donc d’autres textures sonores enfoncent encore plus l’ambiance. Il ne faut pas trop dévoiler comment.

 

 

On comprend le caractère fataliste de la guitare par rapport au destin de Roy et Sylvia.

Je pense qu’elle est « presque » fataliste, presque… Je l’ai surtout envisagée comme un dernier cri pour les rappeler l’un à l’autre. Je me souviens – il n’aimerait peut-être pas que je le dise ! –  que Patrice Verry avait versé une petite larme quand il l’a entendu la première fois, sans savoir qu’il avait été écrit pour cette séquence du film. Alors que, finalement, il correspond à une émotion proche du soulagement à l’image. Mais lequel…?

 

Mais la guitare se fait plus légère quand Roy et Sylvie flirtent sans savoir qui ils sont l’un pour l’autre.

Il y a plusieurs guitares qui se répondent alors que le solo de Please Don’t Die que j’ai évoqué est le seul en distorsion ; ce cri donc, réunissant les personnages dans la souffrance voire la délivrance. J’ai pris le parti de ne pas utiliser de son clair pour les guitares, même dans les moments calmes. J’ai toujours gardé ce son crunch, qui peut répondre fort quand on attaque les cordes et qui peut aussi être utilisé avec retenue tout en laissant une trace sale. Comme cet éternel suspens que Browning insuffle tout au long de White Tiger et qu’il faut absolument tenir. Comme flirter avec l’étouffement. Ce flirt, justement, est malsain. La guitare ne pouvait qu’être ambivalente et brouiller les pistes.

 

Le thème du joueur d’échecs est facétieux…

Ah Oui ?! Le Chess Player Theme semble plus léger par sa batterie groovy et balayée, des guitares et de la whammy, un solo barré improvisé sur les expressions de Roy et la vitesse des images, une basse pop et ronde lorsqu’il est caché à l’intérieur de ce faux automate joueur d’échec… Ce sont les mécanismes de l’automate, dans lequel il se glisse, qui m’ont inspiré ces arpèges avec l’utilisation de la pédale d’effet whammy. Facétieux, oui cela ne lui va pas mal !

 

Comment avez-vous traduit la suspicion (de la police et du trio d’escrocs) ?

S’agissant des brefs passages avec la police : avec des sons inattendus après les guitares, piano, etc. S’agissant du trio, nous sommes plus dans l’utilisation de bandes sonores ralenties mais je ne dévoilerai rien d’autre : il y a des choses très bizarres que j’ai enregistrées, des bruits de corps…

 

La dernière partie, après le vol de bijoux, est le moment où la recherche sonore se fait le plus remarquer. Pourquoi ?

Car c’est le huis clos de White Tiger, un changement radical dans la narration ouvrant sur la seconde partie du film. Il était temps de prendre encore plus de risque par rapport au muet et d’entrer dans l’expérimental.

 

 

Quel est le rôle de l’orgue ?

J’ai utilisé un vieil expandeur de la fin des années 80 pour ce son. Il m’a aidé à me mettre du coté des juges et des traîtres, à me donner quelque chose de sentencieux. Il faut aussi entendre la basse et les autres instruments mélangés à cet orgue. Ensemble, ils accentuent les coups…

 

Son thème revient avec des voix synthétiques quand Roy agonise, comme pour souligner l’horreur de l’histoire…

Cela l’accentue encore plus, en effet. Ces vieilles voix synthétiques font partie de mon son depuis quelques années maintenant, avec les motifs et arrangements de piano et ce son vintage dramatique.

 

Sans dialogue ni bruitage, vous aviez toute latitude pour composer. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Au-delà du fait d’avoir affaire à l’un des plus grands précurseurs et réalisateurs du cinéma de genre, je retiendrai celui d’avoir essayé de tenir la distance en créant sur une heure, presque non stop, et d’avoir enregistré en très peu de prises. En effet, la BO est une seule et même plage, tout s’enchaine. J’ai du élaguer et créer des pistes séparées pour la version album. Dès que je ressentais, j’enregistrais. Après je passais 80% de mon temps à chiader le son et à galérer avec les logiciels. Je ne suis pas diplômé en MAO (musique assistée par ordinateur, NDLR) mais la réalisation me passionne.

 

Par ailleurs, j’avais une vague idée du muet. Ici, les acteurs sont prodigieux. J’ai cherché leurs biographies après avoir fini la musique et ils étaient visiblement les grands talents de l’époque. Browning avait aussi le génie du casting. Le film aurait presque pu être entièrement silencieux, tant ils sont bons. Mais l’on m’a invité à y mettre des ondes durant 60 minutes sur 62. Je n’aurais jamais l’avis de Tod Browning mais j’ai énormément pensé à lui. 87 ans séparent ce film de cette musique, moi de cet immense réalisateur profondément attaché aux différences, aussi monstrueuses soient elles. C’était un poète de la noirceur. Je m’y suis risqué, j’ai aimé cela. Mon travail existe. Les gens tomberont peut-être dessus plus tard.

 

Avez-vous des projets filmiques, souhaiteriez-vous en avoir et pour quel style de film ?

Le travail sur les albums de Liqueur Brune et l’écriture des paroles me prennent beaucoup de temps, ainsi que les démarches auprès des médias et des labels. Mais plus j’ai de projets, plus je produis. J’espère donc continuer aussi dans la musique de film, sans style définitif. Il y a des projets, oui, mais c’est encore vague. Je suis prêt à relever d’autres défis. A faire les rencontres d’un autre type…

 

httpvh://www.youtube.com/watch?v=mCT8cB4mlGo

 

Pour en savoir plus : le Myspace de Liqueur Brune et disponibilité de l’album

A lire : la chronique du disque

 


Entretien réalisé en mai 2011 par Sébastien Faelens

Transcription : Sébastien Faelens

Photographies : Isabelle Juanco & Frank Blanquin

Remerciements à Fabien Guy pour sa disponibilité et son talent

Sébastien Faelens