Jacques Loussier (1934-2019)

La carrière pour l’image d’un génial touche-à-tout

Portraits • Publié le 21/03/2019 par

A défaut de trouver la case idéale pour enfermer un musicien, il est de bon ton de le juger « inclassable ». Angevin né le 26 octobre 1934, Jacques Loussier est de ceux-là. Bien entendu, on ne peut que constater qu’il doit en premier lieu sa notoriété internationale à ses fameuses adaptations jazz d’œuvres classiques, celles de Jean-Sébastien Bach, en particulier dès la fin des années 50 avec le trio Play-Bach formé avec le contrebassiste Pierre Michelot et le batteur Christian Garros. Néanmoins sa carrière s’avère, pour peu qu’on s’y plonge, ô combien protéiforme : élève d’Yves Nat pendant quatre ans au Conservatoire de Paris, il baroude au Moyen-Orient, en Amérique de Sud et surtout à Cuba avant de revenir en France pour devenir musicien de jazz, arrangeur et improvisateur virtuose, accompagnateur de grands noms (Charles Aznavour, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Franck Alamo…), compositeur expérimental, fondateur du célèbre studio d’enregistrement Miraval qui, sous sa coupe, verra passer des pointures telles que Pink Floyd, AC/DC, The Cure, The Cranberries, Judas Priest ou encore Sting et Chris Rea, parmi bien d’autres. C’est dire s’il est toujours tentant aujourd’hui pour certains de réduire l’aventure télévisuelle et cinématographique d’un tel musicien aussi touche-à-tout à une simple série de parenthèses plus ou moins régulières, avec ses succès publics certes mais lesquels ne seraient artistiquement qu’accessoires voire tout bonnement alimentaires. Il n’en est rien : « Selon moi, la musique pour l’image est une forme d’expression riche en enseignements » expliquait au contraire Jacques Loussier : « On apprend à faire fonctionner son imagination pour trouver des thèmes, des timbres, des formules orchestrales qui, avant tout, doivent servir l’intérêt du film. Il ne s’agit pas de composer sa musique mais d’apporter sa sensibilité pour contribuer, avec le metteur en scène, au sens d’une œuvre commune. En plus, je m’aperçois que la musique de film m’a sorti des voies du classique et du jazz en me donnant l’occasion d’aborder des styles très divers. Pour un compositeur, ce sont comme des marches à gravir pour essayer d’aller plus loin. »

 

Jacques Loussier

 

Dès 1957, Jacques Loussier est pianiste sur la bande-son du film d’André Hunebelle Les Collégiennes, puis compose ses premières séquences pour des courts métrages parmi lesquels on notera, en 1963, A… Is For Apple d’un certain Hugh Hudson, le futur réalisateur oscarisé de Chariots Of Fire (Les Chariots de Feu). Entretemps, il compose des musiques additionnelles sur des projets de quelques-uns de ses aînés tels que Mikis Theodorakis pour Le Couteau dans la Plaie d’Anatole Litvak, Paul Misraki pour Le Doulos de Jean-Pierre Melville ou encore Georges Van Parys pour Pas si Folles les Guêpes de Jacqueline Audry, laquelle le rappelle très vite pour une autre comédie, Cadavres en Vacances. Le cinéma lui offre par la suite de très belles rencontres avec Jacques Robin pour Les Pas Perdus, Alain Jessua pour La Vie à l’Envers et Jeu de Massacre, Yves Ciampi pour Le Ciel sur la Tête, Jean Becker pour Pas de Caviar pour Tante Olga, Christian-Jaque pour La Seconde Vérité, Jean-Claude Roy pour Dossier Prostitution, Michel Audiard pour Une Veuve en Or, Pierre Gaspard-Huit pour A Belles Dents, Dirk Sanders pour Tu Seras Terriblement Gentille ou encore Pierre Badel qui met en scène en 1971 un film écrit et interprété par le duo Guy Bedos et Sophie Daumier, Pouce. S’il est appelé en 1972 à travailler pour un singulier projet américain mettant en scène le champion de ski Jean-Claude Killy, Snow Job (28 Secondes pour un Hold-Up), son fait d’armes le plus connu des passionnés à l’étranger reste néanmoins en 1968 l’excellent The Mercenaries, plus connu sous le titre Dark Of The Sun (Le Dernier Train du Katanga), signé du réalisateur et chef opérateur Jack Cardiff, qu’il rencontre lors d’une tournée du Play-Bach Trio.

 

Jacques Loussier

 

Malgré tout, le septième art ne sera jamais le terrain de jeu privilégié de Jacques Loussier : c’est la télévision qui lui apporte ses plus grands succès publics, et peut-être ses plus grandes joies. Dès 1962, il compose la partition d’un téléfilm de Robert Valey, Un Château en Espagne, avant d’enchaîner plusieurs séries restées fameuses dans le paysage télévisuel français et d’offrir à la mémoire collective quelques thèmes immortels. Il travaille notoirement avec les réalisateurs Jean-Pierre Decourt pour les épisodes de Rocambole et Lagardère, Jean-Pierre Desagnat pour ceux de Chambre à Louer, Joseph Drimal pour Les Jeunes Années ainsi que Robert Guez pour Foncouverte et, surtout, le légendaire Thierry la Fronde dont le générique rythme l’imaginaire de bien des têtes blondes à l’époque. En 1966, il entame à l’occasion d’un des trois épisodes de Rouletabille une longue collaboration et une amitié indéfectible avec Robert Mazoyer qui le mènera dans les trente années suivantes à d’autres mini-séries telles que Les Charmes de l’Été, Le Cœur au Ventre, Les Poneys Sauvages et Un Château au Soleil, jusqu’aux téléfilms Jeanne et Un Homme, respectivement en 1994 et 1997. Dans l’intervalle, ses contributions pour l’image s’espacent peu à peu : outre quelques habillages pour le troisième chaîne de l’ORTF en 1972, on retiendra principalement les six épisodes des Nouvelles Aventures de Vidocq de Marcel Bluwal en 1971, plusieurs projets de Jean Delannoy tels que Le Jeune Homme et le Lion (1976), L’Été Indien (1980), Frère Martin (1981) et Tout est dans la Fin (1987), d’autres pour Marcel Camus, Ce Diable d’Homme (1978) et Le Féminin Pluriel (1982), ainsi que les contributions synthétiques remarquées pour Boulevard des Assassins de Boramy Tioulong (1982) et pour le documentaire animalier Le Peuple Singe de Gérard Vienne (1989).

 

Jacques Loussier nous a quittés le 5 mars dernier, à l’âge de 84 ans.

 

Jacques Loussier

Florent Groult
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