Portrait de Mike Patton

Mike Patton et la musique de film : a love story

Portraits • Publié le 09/04/2013 par

S’il faut rappeler dans l’actualité toujours foisonnante de Mike Patton – y compris et surtout dans des domaines musicaux inattendus, la sortie chez Milan de sa musique originale pour A Place Beyond The Pines, l’on savait le bonhomme béophile de longue date : il se plaît à programmer avant ses concerts quelques morceaux de ses musiques de films préférées (quelle surprise d’entendre Enter The Dragon de Lalo Schifrin avant la prestation de Tomahawk à l’Elysée Montmartre en 2001 !) et devint lui-même compositeur pour l’image. Avant le savamment barré et totalement jouissif Crank: High Voltage en 2009, Patton avait déjà travaillé sur A Perfect Place, court-métrage rigolo dans lequel deux types un peu paumés cherchent à cacher le corps d’un troisième paumé tué plus par inadvertance qu’autre chose.

 

Alors que l’édition du deuxième Crank avait été assurée par Lakeshore Records, le leader de Fantômas savait que l’on n’était jamais mieux servi que par soi-même. Dès 1999, Patton créée avec Greg Werckman son propre label, qui a d’abord vocation à éditer les albums du groupe dont le nom est inspiré du personnage centenaire créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain (même si celui qui figure sur la pochette de Fantômas amenaza al Mundo a les traits de Jean Marais) : Ipecac Recordings est né, ses créateurs rendant au passage un hommage ému au sirop vomitif qui a nettoyé plus d’un estomac et y associant un slogan de leur cru, «Making people sick since 1999».

 

Mais quel lien avec ce nouveau label à vomir par terre et l’objet de notre passion ? Il devient évident en 2001 à la sortie du deuxième album de Fantômas, The Director’s Cut, recueil de reprises ultra personnelles mais respectueuses de musiques de films. En chantant la comptine de Rosemary’s Baby et le Ave Satani de The Omen, Patton se rapproche en crabe de la musique pour l’écran, conservant évidemment la Fantômas’ touch aux tendances expérimentales inspirées de certains éléments vocaux et instrumentaux du grindcore. Mais alors qu’Ipecac Recordings revendique sa fibre «indépendante» orientée vers le métal et la musique électronique (Patton travaille parfois directement avec les Melvins ou John Erik Kaada – à écouter les superbes Thank You For Giving Me Your Valuable Time et Music For Moviebikers, sortes de musiques atmosphériques de films fictifs), il y a un nom dans la liste des artistes édités par le label qui interpellera sans aucun doute la plupart des cinémélomanes : Ennio Morricone. Mythique !

 

Car comme beaucoup de béophiles, Patton accorde une haute estime au maestro italien, appréciant la pertinence de sa musique mais également l’éventail on ne peut plus large des genres musicaux qu’il maîtrise. C’est d’ailleurs un Morricone carrément expérimental qu’Ipecac a choisi de compiler en 2005 dans Crime & Dissonance, loin de Sergio Leone, de Mission et de la pub pour Royal Canin. Au vu des dizaines de compilations fourre-tout qui encombrent les rayons des grands distributeurs, on serait tenté de croire que Patton voulait juste ne pas faire comme tout le monde : le tracklisting met en avant des films obscurs – le plus connu, peut-être le seul à vrai dire, étant L’Uccello dalle Piume di Cristallo (L’Oiseau au Plumage de Cristal) – pour une sélection musicale à l’opposé des vulgarisations destinées au grand public. Morricone ayant œuvré dans le freejazz, le rock progressif, la musique électronique ou d’avant-garde, c’est ce pan méconnu et moins accessible que Patton a choisi de mettre au jour avec ce recueil cohérent et thématique, partageant de toute évidence ces affinités expérimentales et livrant au passage un réel point de vue artistique et éditorial sur la versatilité du compositeur.

 

Et l’on en revient à A Perfect Place, première bande originale composée, interprétée et produite par Mike Patton, qui prend donc le chemin de l’édition via Ipecac. Car en plus d’occuper toute la chaîne de fabrication de la musique (ce qui sera la marque de fabrique dans sa filmographie), le musicien tient à faire les choses comme il faut en collaborant jusqu’au bout avec Derrick Scocchera, réalisateur et producteur du film. La boîte de production Fantoma et Ipecac ont donc accouché d’une édition unique du film en DVD et de sa BO en CD, cette dernière étant présentée dans son intégralité, musique de source originale comprise. Après avoir concocté avec amour la compilation Crime & Dissonance, Patton adopte la méthode de Morricone en basant sa musique sur un thème qu’il déclinera dans plusieurs styles.

 

Ipecac remet le couvert fin 2011 avec La Solitudine dei Numeri Primi (La Solitude des Nombres Premiers), musique originale écrite pour le film de Saverio Cotanzo et inspirée du livre de Paolo Giordano. L’édition propose l’intégralité du score que Patton a écrit suite à la lecture du script et du roman et que le réalisateur n’a utilisé que partiellement. Détail rigolo : il y a 53 pistes sur le disque mais celles dont le numéro ne correspond pas à un nombre premier s’arrêtent au bout de deux secondes de silence.

 

La dernière actualité du label concernant l’édition d’une bande originale est étonnante puisqu’elle concerne la sortie fin 2012 de l’intégralité de la musique de Mike Morasky pour le jeu Portal 2 sur trois disques, alors qu’elle est disponible depuis plusieurs mois en téléchargement gratuit (sonneries de téléphones portables comprises) sur le site de Valve, l’éditeur du jeu. Mais quelle moustique a piqué Mike Patton et Greg Werckman pour qu’ils se lancent dans l’édition physique d’une musique que seuls écouteront les hardcore gamers de l’univers Portal ? Le goût du risque peut-être, mais d’abord la fièvre du jeu vidéo, les deux compères ayant passé d’innombrables heures à jouer ensemble avant le lancement d’Ipecac Recordings, et ensuite parce que Patton a prêté sa voix (gare à ne pas mettre le son trop fort) à Anger, un des rejetons sphériques de GLaDOS, l’intelligence artificielle devenue folle qu’il faut détruire en fin de jeu. Ses relations avec Valve Software étaient cordiales : quand il s’est agit de lancer le projet de Portal 2 : Songs To Test By Collectors Edition, le vocaliste a dit oui simplement parce qu’il en avait envie et qu’il le pouvait. Et ce fut tellement le cas que le boitier comporte non pas trois mais quatre disques, le quatrième présentant pour la première fois la musique de Kelly Bailey pour le premier Portal, ainsi qu’une mini bande-dessinée inspirée de l’univers des jeux. Et oui, ils sont sympas les gars de chez Ipecac Recordings !

 

Sébastien Faelens