Crank: High Voltage (Mike Patton)

Quand Mike Patton électrise la BO

Disques • Publié le 12/06/2009 par

CRANK : HIGH VOLTAGE (2009)

HYPER TENSION 2

Compositeur : Mike Patton

Durée : 54:44 | 32 pistes

CD : Lakeshore Records

Rating: ★★★★☆

 

 

Après plus de vingt ans d’une carrière ahurissante, le stakhanoviste Michael Patton s’attèle pour la première fois à la composition d’une bande originale pour un long métrage. L’homme n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà travaillé sur le court A Perfect Place en 2008, dont la généreuse édition CD/DVD sortie chez Ipecac – le propre label du musicien – offre un score plus long que le métrage lui-même. Mike «Mr. Bungle» Patton succède donc à Paul Haslinger pour mettre en musique la suite des aventures de Chev Chelios (Jason Statham), qui est affublé cette fois d’un cœur artificiel qu’il doit régulièrement alimenter par des décharges électriques.

 

Patton propose un tout autre point de vue sur la musique de films, point de vue qui ne surprendra pas les enragés qui suivent les multiples formations dont le bonhomme fait partie. Entre Faith No More et Tomahawk, Fantômas est celle qui entretient le plus un rapport au cinéma. D’une part, Mike Patton y abolit le formatage tant structurel que temporel d’un morceau de musique : l’album Delirium Cordia comprend une piste unique de soixante-dix minutes alors que Suspended Animation présente trente morceaux de durées très variables, ce qui témoigne de sa prédisposition à composer pour l’image. D’autre part, il réunit des influences aussi diverses que le metal, l’électronique, le jazz, la musique bruitiste, l’expérimentation vocale et… la musique de films : il joue habituellement une musique vocale sans paroles et des chansons sans refrain, une fusion des genres imagée et vivante dont la griffe marquera également son Director’s Cut, hommage décoiffant et intelligent à quelques grands thèmes de la musique de films tels que The Godfather (Le Parrain), Rosemary’s Baby, The Omen (La Malédiction) ou Cape Fear (Les Nerfs à Vif). C’est donc avec sa passion et sa verve légendaires que l’homme aux cheveux gominés participe à Crank : High Voltage, un objet filmique à la débilité hystérique et assumée qui a le mérite de mettre en lumière le talent d’un béophile nouvellement compositeur pour l’écran.

 

 

Kickin’ attaque très fort avec des percussions en forme de cavalcade, des guitares saturées et la voix modifiée de Patton qui annoncent la «punkitude» de l’entreprise, tandis que Chelios expose le thème principal lié au personnage de Jason Statham. Ces deux premières pistes témoignent de l’immédiateté et de l’efficacité du score de par son instrumentation particulière, mais également de par le style inimitable de son auteur. Et si le thème paraît simple, c’est qu’il renvoie aux astuces mélodiques d’Ennio Morricone et leur pouvoir évocateur, prompt à moult déclinaisons stylistiques au fil de l’album et révélateur des influences des films de genre. Car si le musicien colle admirablement à l’action frénétique du support filmique, il provoque volontairement le décalage, par exemple en utilisant une crécelle à la dominance disproportionnée dans El Huron. «Décalage» est d’ailleurs un doux euphémisme puisque les réalisateurs Mark Neveldine et Brian Taylor réclamaient au musicien une «hyper exagération» pour arriver à un résultat le plus hystérique possible : dans Juice Me, le rythme frénétique des guitares saturées, les bruitages évoquant des arcs électriques et la voix gutturale se succèdent pour former un metal personnel et inventif. A propos de la voix, Patton réussit le tour de force de l’utiliser énormément (les ponctuations dans Social Club ou Supercharged sont à mourir de rire) sans que l’on s’en aperçoive à chaque fois tant elle passe par l’électronique : c’est le talent unique d’un multi-instrumentiste qui considère les cordes vocales comme un instrument polyvalent. Alors que Chevzilla évoque par ses synthés grandiloquents un film de monstres désuet, le thème de Chev Chelios apparaît aussi dans Verona et Hallucination, joué par des instruments emblématiques comme l’harmonica ou la flûte. Par ses partis pris stylistiques, Mike  Patton compose les musiques de son propre film, le tout avec une touche «vintage» des 70’s. D’ailleurs, il faut écouter Porn Strike qui évoque de manière savoureuse un certain cinéma qui a eu son moment de gloire à cette époque…

 

C’est donc par un imaginaire référentiel que Patton raconte l’histoire pour littéralement emporter l’auditeur dans un univers qui n’appartient plus vraiment au film lui-même, le musicien ayant le chic pour partager cette culture qui, bien que ce ne soit pas conscient chez le public, est universelle. Mais attention, l’homme sait qu’il est avant tout le serviteur du support filmique et, bien qu’il nie avoir poussé de lui-même sa musique jusqu’à une telle frénésie, c’est avec un plaisir non dissimulé qu’il a suivi les directives des réalisateurs, tout en injectant son propre style pour donner un maximum de relief à une bande originale au goût de heavy metal sans intérêt. En réalité, c’est seulement maintenant que l’on s’aperçoit que Mike Patton est naturellement un compositeur de l’image et, étant donné ses talents d’homme-orchestre, on peut désormais attendre son prochain travail pour le cinéma, éventuellement prévu pour un orchestre. Un tel projet l’intéresse mais il se refuse de garder un décorum purement instrumental et encore moins orchestral : bien qu’ambitieux et passionné, il se laissera toujours guider par les exigences du support filmique. Une marque d’intégrité envers un art qui n’est pas exempt d’étiquettes parfois trop collantes. Car depuis quand le terme «bande originale» définit-il un genre de musique précis ?

 
 
 
 
 
 

01. Kickin’ (1:32)
02. Chelios (2:34)
03. Sweet Cream (Redux) (2:35)
04. Organ Donor (2:10)
05. Chickenscratch (1:36)
06. Tourettes Romance (1:29)
07. Doc Miles (1:03)
08. El Huron (2:02)
09. Tourettes Breakdance (2:23)
10. Juice Me (1:12)
11. Hallucination (0:54)
12. Porn Strike (1:01)
13. Surgery (2:48)
14. Social Club (1:30)
15. Chocolate Theme (1:12)
16. Ball Torture (0:51)
17. Chevzilla (2:13)
18. The Hammer Drops (2:13)
19. Triad Limo (3:09)
20. Shock & Shootout (2:44)
21. Pixelvision (1:43)
22. Spring Loaded (2:16)
23. Verona (1:18)
24. Car Park Throwdown (1:39)
25. Noticias (0:15)
26. Catalina Island (1:17)
27. Supercharged (0:51)
28. Massage Parlor (1:18)
29. Full Body Tourettes (0:26)
30. Epilogue – In My Dreams (4:15)
31. Friction (0:56)
32. Epiphany (1:19)


 
 
 
 
 
 

FICHE TECHNIQUE


Composition et interprétation : Mike Patton

Montage musique : H. Anton Riehl

       
       
       
       
       
       
   

 

Sébastien Faelens