Russell Garcia (1916-2011)
Portraits • Publié le 23/11/2011 par

Triste fin d’année, décidément, que celle de 2011, qui aura vu disparaître récemment quelques-uns des derniers représentants de toute une génération de compositeurs, orchestrateurs et arrangeurs américains nés dans les années 1910 et qui furent les témoins d’un foisonnement musical tous azimuts sur la côte Ouest des Etats-Unis. Celui-ci les a très naturellement conduits, chacun à leur tour, à côtoyer d’une manière ou d’une autre et avec plus ou moins d’assiduité le milieu hollywoodien. Après Jack Hayes fin août et Pete Rugolo le mois dernier, Russel Garcia vient ainsi à son tour de tirer sa révérence.

 

Né le 12 avril 1916 dans la ville californienne d’Oakland, Russel Garcia fut dans un premier temps un jeune musicien épris de jazz, au talent précoce et largement autodidacte, qui préféra quitter très tôt le système éducatif pour courir les routes en compagnie de divers groupes musicaux avant de décider finalement de lui-même de profiter des conseils des meilleurs professeurs disponibles pour se perfectionner, notamment Edmund Ross, Ernst Toch et Mario Castelnuovo-Tedesco pour la composition, l’harmonie et le contrepoint, ainsi que Sir Albert Coates pour la direction d’orchestre. La chance fera le reste. A 23 ans, il se voit inopinément offrir l’opportunité de remplacer le compositeur titulaire (indisponible pour cause de maladie) du show radiophonique This Is Our America. Il s’y consacre pendant deux ans : ce sera sa porte d’entrée à la NBC où il intègre pour un temps l’équipe du département musique.

 

Ses talents d’arrangeur n’y passent pas inaperçus. Débarqué de la NBC par un directeur musical fraîchement nommé, il trouve très vite un poste d’enseignant à la Westlake School of Music, une expérience des plus enrichissantes qui lui fournira d’ailleurs en 1959 la matière à une publication qui fera longtemps autorité dans le milieu (The Professional Composer Arranger). Il rejoint finalement en 1950 la petite compagnie Lippert Pictures et compose ses premières partitions au cinéma pour les films Radar Secret Service et Operation Haylift. Il prête également main forte au pianiste Ray Rasch pour mettre en forme les idées musicales que Charlie Chaplin destine à son Limelight (Les Feux de la Rampe).

 

Lorsqu’en 1953, Henry Mancini fait appel à lui pour un travail de transcription sur The Glenn Miller Story, Russell Garcia entame une carrière de plus d’une dizaine d’année pour Universal où il orchestre, arrange et dirige pour de très nombreux compositeurs. Parallèlement, il collabore avec de grands artistes de différentes scènes musicales : Louis Armstrong et Ella Fitzgerald en 1957 pour leur célèbre Porgy and Bess mais aussi Oscar Peterson, Judy Garland, Stan Kenton, Anita O’Day, Julie London, Sam Most… Parce qu’il a signé en 1959 un enregistrement intitulé Fantastica : Music From Outer Space, Russel Garcia est contacté par George Pal pour mettre en musique The Time Machine (La Machine à Explorer le Temps) puis Atlantis : The Lost Continent (Atlantis, Terre Engloutie) qui resteront ses plus fameuses partitions pour le septième art. Travaillant vite, quel que soit le projet, et bien souvent de manière tout à fait anonyme (il participe ainsi à une bonne centaine de films et séries télévisées), Russell Garcia est peut-être bien pendant la première moitié des années 60, comme il aimait à le dire, le compositeur «le plus occupé en ville».

 

 

Mais en 1966 et alors que sa carrière va donc bon train, Russell Garcia prend une décision radicale. Adepte du bahaïsme depuis 1955 au même titre que sa femme, il décide avec elle de vendre ses biens et de quitter le continent américain à bord d’un petit voilier pour un voyage qui les mènera de la Floride aux Caraïbes, puis aux îles du Pacifique et enfin à la Nouvelle-Zélande où le couple s’installe définitivement.

 

Désormais loin de l’agitation californienne, le compositeur renonce sans doute alors à toute chance de s’exposer enfin aux feux des projecteurs hollywoodiens, demeurant pour ce milieu un artiste de l’ombre. Mais voilà bien là des considérations qui lui importent peu au regard de cette foi inébranlable qui prône de faire le bien autour de soi : c’est ainsi qu’avec sa femme il s’investit auprès des écoles néo-zélandaises pour inculquer aux enfants, par la musique, la confiance et l’estime de soi. Pour autant, jamais, jusqu’au terme de sa vie, il ne cessera de composer et de diriger un peu partout dans le monde, aux Etats-Unis bien sûr mais aussi en Europe, notamment à Prague et à Munich où il reviendra chaque année pour signer quelques arrangements et partitions pour la télévision. Par ailleurs, le monde du jazz n’oubliera pas un artiste qui l’a si bien et si souvent servi : en 2005, il recevra ainsi les honneurs du L.A. Jazz Institute.

 

Le 6 novembre dernier, c’est de sa maison en Nouvelle-Zélande qu’il assiste en direct à un concert donné en son honneur au Iridium Jazz Club de New York et auquel il n’a finalement pas pu participer, sur ordre de son médecin. Russell Garcia est décédé le 19 novembre dernier à l’âge de 95 ans.

 

Florent Groult
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