Il était un artiste de l’ombre, l’un de ces hommes dont le nom côtoie discrètement celui des plus grands sans pour autant que rejaillisse sur lui leur notoriété publique. Compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, Jack Hayes demeurait surtout l’un des orchestrateurs les plus talentueux et réputés d’Hollywood, un musicien dont la gentillesse et le savoir-faire, immenses tous les deux, étaient recherchés et appréciés par tous.
Né le 8 février 1919 à San Francisco, trompettiste de formation, Jack Hayes débute sa carrière musicale au cours des années 40 en qualité d’arrangeur pour la radio et accompagne dans leurs tournées à travers les Etats-Unis différents artistes tels que le fameux duo formé par Bud Abbott et Lou Costello, ainsi que le célèbre chanteur et acteur Roy Rogers, «Roi des Cowboys», et sa femme Dale Evans, elle-même proclamée «Reine de l’Ouest».
Rejoignant bientôt l’usine à rêves hollywoodienne, il s’associe très vite à Leo Shuken, de douze ans son aîné et déjà en place à la Paramount depuis le milieu des années 30, formant avec lui un duo d’orchestrateurs qui, pendant près d’un quart de siècle, travaillera pour de nombreux compositeurs au premier rang desquels Victor Young, Walter Scharf et Mario Nascimbene, avant de s’engager notoirement auprès de Elmer Bernstein, Henry Mancini, Quincy Jones, Burt Bacharach ou encore Alfred Newman, entre autres. Shuken et Hayes apporteront ainsi leur talent à près d’une centaine de films, et pas des moindres : A Farewell To Arms (L’Adieu aux Armes), The Magnificent Seven (Les Sept Mercenaires), Breakfast At Tiffany’s (Diamants sur Canapé), How The West Was Won (La Conquête de l’Ouest), To Kill A Mockingbird (Du Silence et des Ombres), Hatari !, The Great Escape (La Grande Evasion), Walk Don’t Run (Rien ne sert de Courir), Casino Royale, In Cold Blood (De Sang-froid), True Grit (Cent Dollars pour un Shérif), Butch Cassidy And The Sundance Kid (Butch Cassidy et le Kid) ou les différents longs-métrages de The Pink Panther (La Panthère Rose), pour n’en citer que quelques-uns. En 1964, les deux compères récoltent une nomination à l’Oscar (qu’ils partagent avec Robert Armbruster, Jack Elliott, Leo Arnaud et Calvin Jackson) pour l’adaptation cinématographique de la comédie musicale The Unsinkable Molly Brown (La Reine du Colorado). C’est également pendant cette période faste qu’ils composent plusieurs partitions pour la télévision à l’occasion d’épisodes de séries telles que The Virginian (Le Virginien), Gunsmoke, Riverboat, et Wagon Train.
Le décès de Leo Shuken, en 1976, laissera Jack Hayes poursuivre une carrière solo débutée peu de temps auparavant. Il compose à nouveau pour plusieurs séries télévisées, dont Quincy M.E. (Quincy) et Laverne And Shirley (Laverne et Shirley), mais reste avant tout un orchestrateur de premier plan. C’est ainsi que, tout en continuant à collaborer avec Henry Mancini, on le retrouve au fil des années auprès de, entre autres là aussi, Michael Small pour Marathon Man, Audrey Rose, Comes A Horseman (Le Souffle de la Tempête) ou Jaws : The Revenge (Les Dents de la Mer 4), John Morris pour Elephant Man, History Of The World : Part I (La Folle Histoire du Monde), Clue (Cluedo) ou Spaceballs (La Folle Histoire de l’Espace), Laurence Rosenthal pour Meteor, James Horner pour Star Trek II : The Wrath Of Khan (Star Trek II : la Colère de Khan), Marvin Hamlisch pour Sophie’s Choice (Le Choix de Sophie), Randy Newman pour Ragtime, The Natural (Le Meilleur), Awakenings (L’Eveil) et Avalon. En 1985, il retrouve également Quincy Jones et rejoint l’équipe que ce dernier forme pour mettre en musique le film de Steven Spielberg, The Color Purple (La Couleur Pourpre), un travail collectif qui rapporte à tous ses intervenants une nomination à l’Oscar, la deuxième pour Hayes.
Interrogé sur son travail avec Shuken, Jack Hayes expliquait : «Nous scindions parfois les morceaux, en particulier s’ils étaient longs, ou il s’occupait de certains d’entre eux tandis que je m’occupais des autres. Occasionnellement, nous nous retrouvions ensemble et nous travaillions sur une séquence particulièrement stimulante. Leo était un grand orchestrateur et j’ai apprécié toutes ces années à travailler avec lui. Il m’a beaucoup appris.» Féru de jazz (il collabora notamment avec le percussionniste Louie Bellson) et auteur d’un nombre non négligeable d’œuvres de concert, Jack Hayes aura de tout temps prodigué ses conseils avec bienveillance, prônant notamment l’étude minutieuse de partitions en cherchant à les condenser et les réduire à leur plus simple et essentielle expression : «C’est un travail très laborieux mais c’est une méthode vraiment excellente. Quand j’ai appris pour la première fois à écrire dans le style de Tchaïkovski, j’ai pris ses partitions et j’ai pu voir ce qu’il avait fait avec les cors, les cordes. Et vous devez le noter (…). De cette manière vous absorbez vraiment le style. Je pense que c’est la meilleure méthode (…). Un compositeur qui est très utile pour comprendre l’écriture pour les cordes est le russe Miaskovsky (…). Si vous voulez apprendre à écrire merveilleusement pour les cordes, lui l’a fait.»
Au cours des années 90, ses apparitions s’espacent au cinéma, mais il trouve néanmoins le temps de venir prêter main forte à différents projets tels que Robin Hood : Prince Of Thieves (Robin des Bois, Prince des Voleurs), Hudson Hawk (Hudson Hawk, Gentleman Cambrioleur) et The Three Musketeers (Les Trois Mousquetaires) avec Michael Kamen ou encore Free Willy 3 : The Rescue (Sauvez Willy 3) avec Cliff Eidelman en 1997. Après une courte retraite, alors qu’il vient de fêter ses 85 ans, le dynamisme et le talent de Jack Hayes séduisent une nouvelle fois un Michael Giacchino enthousiaste qui, pour retrouver l’esprit musical des 60’s, a la chance de pouvoir compter sur le vénérable orchestrateur à l’occasion de sa partition pour The Incredibles (Les Indestructibles) en 2004. Il le retrouvera ensuite pour Ratatouille en 2007, Star Trek et Up (Là-haut) en 2009, année pendant laquelle Hayes reçoit enfin l’hommage et les honneurs de la Society Of Composers & Lyricists et de l’ASMAC (American Society Of Music Arrangers And Composers). «Dans ma vie, j’ai rarement eu l’occasion d’apprendre aux côtés d’un véritable maître» confiera d’ailleurs Giacchino, «Jack a non seulement prouvé sa grande maîtrise du métier, mais il a également montré les qualités d’un vrai gentleman.»
Jack Hayes s’est éteint le 24 août dernier, à l’âge de 92 ans, à Coeur d’Alene en Idaho. Il était, et restera, une légende hollywoodienne.