Gil Mellé, l’Avant-Garde à Hollywood
Portraits • Publié le 01/02/2010 par

 

Sculpteur, peintre, musicien de jazz et compositeur pour l’écran, Gilbert John Mellé est né le 31 décembre 1931 dans le New-Jersey. Abandonné par ses parents dans son enfance, il est élevé par des amis et ne tarde pas à révéler de prometteuses inclinaisons artistiques pour la peinture et la musique. Découvrant le saxophone à 14 ans, il pratique bientôt professionnellement cet instrument dans les clubs de Greenwich Village. A l’âge de 19 ans, il est le premier artiste blanc à signer sous contrat avec le prestigieux label de jazz Blue Note, mais n’en délaisse pas pour autant les arts plastiques, son travail dans ce domaine se voyant récompensé par plusieurs expositions à New-York dans les années 50. On lui doit à la même période quelques illustrations de pochettes d’albums pour de grands noms du jazz tels que Miles Davis, Thelonious Monk et Sonny Rollins.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A la fin des années 60, il quitte New-York pour la côte ouest où il commence à flirter avec les milieux de la télévision, travaillant notamment pour les séries Night Gallery et Columbo et collaborant à deux reprises avec un tout jeune Steven Spielberg, en 1971 sur un épisode de The Psychiatrist et en 1973 sur le téléfilm Savage (Chantage à Washington).

 

Au cinéma, c’est Robert Wise qui, le premier, fait appel à lui en 1971 pour son film de science-fiction The Andromeda Strain (Le Mystère Andromède). Gil Mellé impose d’emblée un style unique et peu orthodoxe, invitant l’auditeur à une perturbante, exigeante mais passionnante expérience sonore, mélange plus ou moins dissonant de percussions et d’instruments électroniques (dont certains inventés par ses soins). Le compositeur retravaillera ce concept tout au long de sa carrière, en variant le niveau d’accessibilité de celui-ci. Si son travail pour le Trapped de Frank De Felitta intègre à ses recherches musicales avant-gardistes une instrumentation et quelques lignes mélodiques plus classiques, il n’en va pas de même pour les partitions purement électroniques de A Cold Night’s Death ou Killdozer. The Taking Of Flight 847 et The Case Of The Hillside Stranglers, deux de ses dernières compositions pour l’écran, témoignent là encore de cette volonté créatrice d’expérimentations sonores, sans toutefois parvenir à retrouver la richesse d’inspiration de The Andromeda Strain.

 

Baignant dans une ambiance jazzy parfois à la lisière de l’expérimental, The Organization (L’Organisation), Death Scream, Borderline ou encore Best Kept Secrets, sa quatrième et ultime collaboration avec le ciné/téléaste Jerrold Freedman, viennent nous rappeler la formation musicale initiale du compositeur, tandis que Frankenstein : The True Story nous invite à découvrir une facette plus romantique de son auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien qu’ayant rapidement démontré son aisance à illustrer les genres cinématographiques les plus variés sans pour autant perdre son identité musicale, la carrière de Gil Mellé ne décollera jamais vraiment. Hormis The Andromeda Strain, ses contributions les plus notables pour le grand écran se résument à The Ultimate Warrior (New-York Ne Répond Plus), aventure post-apocalyptique de Robert Clouse, et à la fable satanique de Michael Winner The Sentinel (La Sentinelle des Maudits), sur laquelle il fut engagé suite au désistement de John Williams. Deux films plus proches du cinéma d’exploitation que du produit de catégorie A qui conduiront Gil Mellé vers des œuvres de moindre importance encore, comme le peu emballant Blood Beach (La Plage Sanglante) et son monstre des sables, ou le thriller érotique Hot Target. Du bis donc, et beaucoup de télévision, avec là encore des projets souvent peu exaltants mais offrant au moins au compositeur une certaine liberté créative à défaut d’une large diffusion de son travail et de moyens financiers importants.

 

Enregistrant un ultime album pour Blue Note au tout début des années 90, Gil Mellé tire dans la foulée sa révérence aux milieux du cinéma et de la télévision pour s’en retourner à ses premiers amours, la sculpture et la peinture, jusqu’à sa disparition en 2004. Une sortie de scène discrète face à laquelle on peut légitiment ressentir comme une légère frustration. Figure importante du jazz post-bop, pionnier dans les domaines de la musique électronique et de la fusion musicale jazz/classique, ce grand artiste à l’œuvre sans doute trop radicale et innovatrice en son temps pour séduire une large audience – et semble-t-il handicapé par un caractère un rien trop « soupe au lait » pour se fondre aisément dans la faune hollywoodienne – n’aura de son vivant jamais reçu véritablement la reconnaissance qu’il méritait. A nous de redécouvrir aujourd’hui sa carrière de compositeur, riche de plus de 70 titres dont une cinquantaine pour la télévision. Si son héritage musical est aujourd’hui inexistant en disque, il est cependant permis d’espérer que la récente réédition de The Andromeda Strain par Intrada inaugure d’un intérêt renouvelé pour la musique de Gil Mellé…

 

Emmanuel Verlet
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