"Je me suis dit : Voilà le métier que je veux faire! Il suffit de bien tendre ses oreilles, de noter trois trucs sur un coin de papier, de s'agiter devant des musiciens et le tour est joué! Ce jour-là, j'ai décidé que je serai compositeur. Plus tard, j'ai appris à mes dépens que l'écriture répond à des paramètres plus compliqués, que la musique demeure un ensemble perpétuel d'équations à résoudre. Parfois, on a une idée en tête, on l'imagine, on l'entend déjà. On se jette alors sur du papier frais, en pensant que ça va être facile et évident. Erreur! Des armées d'obstacles vous font brusquement face: le fond, la forme, le détail. Car si vous voulez être un peu original, chaque mesure pose problème."
Si je ne suis absolument pas d'accord avec le "coup de gueule de Legrand" (et rejoins donc totalement Alien7), je suis complètement d'accord en revanche avec ce paragraphe.
Ce qu'il décrit ici est un sentiment d'exigence vertigineux qui ne fait que s'accroître avec le temps. En gros, plus on ouvre de portes, plus des portes s'ouvrent qui nous font prendre conscience qu'on ne sait absolument rien. Franck Martin aurait même déclaré qu'à chaque pièce, il trouvait cela si difficile qu'il avait envie d'arrêter la musique. La technique est déjà difficile à acquérir en soi mais la forme (non réductible à l'existence d'un thème) est encore plus difficile à maîtriser; on n'en ressent parfois l'impérieuse nécessité que tardivement - un collègue me disait qu'un compositeur qui se préoccupait de la forme était un compositeur arrivé à maturité. Étrangement, Zimmer a un véritable sens de la forme, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de ses suiveurs (en ce sens, il n'est pas tout à fait compris).
Si je ne suis absolument pas d'accord sur les généralisations qu'on peut faire sur les compositeurs d'aujourd'hui, je crois en revanche que notre société moderne souffre d'un mal un peu particulier, intimement lié à la démocratisation de l'Internet: tout doit être "immédiat", y compris la pensée. Nous avons beaucoup trop d'outils informatiques à notre disposition: des banques de sons en tout genre, des plugins d'effet à tire larigot avec des presets innombrables... ce qui conduit souvent à penser que nous pouvons tout faire alors que les bases ne sont pas maîtrisées. L'outil informatique a également tendance à formater la manière d'écrire: je pense ainsi que la prédominance du 4/4 chez Desplat est étroitement liée au paramétrage par défaut de nos séquenceurs.
Le home studio a tendance à enfermer le compositeur dans des situations "confortables". En somme, c'est encore pire que ce que décrit Legrand: le papier crayon ayant disparu, ces obstacles salvateurs apparaissent beaucoup moins car l'imagination est contrainte par la logique informatique au lieu d'être libérée par la pensée: il faut vraiment une sacrée prise de conscience personnelle et beaucoup de temps devant soi pour s'aventurer au delà de la zone de confort.