
"Ah-ah, ça m'aurait étonné, tiens !
- J'l'attendais, moi, celle-là. J'l'attendais.
- Bon, t'as le mauvais compositeur, c'est un gars avec ses musicos, il voit un truc qui bouge à l'écran, il fait péter son orchestre !
Et puis t'as le bon compositeur, c'est un gars avec ses musicos, il voit un truc qui bouge à l'écran... Bon ben, il fait péter son
orchestre aussi. Mais voilà quoi, c'est un bon compositeur. C'est pas comparable.
- Oh, et puis c'est encore une question à la con, ça..."
Une question à la con, disent-ils ? Elle est au contraire cruciale pour nous autres, amateurs de la musique conçue pour l'image. En ouvrant les vantaux de ce topic, j'invite quiconque éprouve encore un intérêt envers le sujet à nous détailler, avec toutes les verbeuses circonlocutions qu'il lui plaira, l'attirail complet du compositeur méritant. D'après quels critères pouvons-nous certifier, solennels autant que péremptoires, qu'une partition de cinéma a rempli son office ? Pour beaucoup d'entre nous, la réponse semble d'une évidence nigaude. En ce qui me concerne, moi qui estime que les scores "ratés" se sont accumulés par centaines tout au long d'un siècle de cinéma, les choses sont un brin plus complexes.
Que les suppôts de Remote Control soient rassérénés et rengainent les carreaux d'arbalète dont ils comptaient me cribler : mon intention n'est pas de me livrer à une énième démolition en règle du gars Hans et de son gang. Les récriminations que j'éructe sont d'ordre universel, gentlemen. Personne n'est à l'abri, pas même les ténors du Golden Age que l'on a un peu trop complaisamment brandis en porte-étendards de la musique "noble". Entre les séries noires affublées de l'obligatoire leitmotiv romantique alors qu'on n'y trouve pas l'ombre d'une love story, les cordes jouant à fond la carte du mélo flamboyant même lorsque le réalisateur s'essaie à la suggestion délicate ou le Yellow Sky d'Alfred Newman, pourvu d'un unique thème carrément en porte-à-faux avec la sécheresse du formidable western de Wellman, les maîtres de jadis sont loin d'avoir toujours visé juste.
A cela une raison très simple, qui prévaut aujourd'hui encore : les modes, par définition éphémères, mais face auxquelles il vaut mieux abdiquer sous peine de passer pour un dangereux anarchiste. Newman et sa bande avaient écrit en leur temps les Tables (musicales) de la Loi, qu'on ne se serait pas plus hasardé à transgresser que les ostinati interminables, les samples cheap et les "BROOM-BROOM" ô combien subtils qui représentent de nos jours l'unique horizon des compositeurs hollywoodiens. Et si la méthode garantissait naguère un minimum de satisfaction mélomane, elle a plus souvent qu'à son tour desservi des films qui ne trouvaient pas leur compte dans cette uniformisation sonore, fût-elle l'oeuvre de Franz Waxman ou Max Steiner.
Et il y a encore bien d'autres choses pas toujours reluisantes à dire au sujet de nos chers compositeurs et de leur rapport à l'image. Des choses en tout cas plus pertinentes, j'ai la faiblesse d'y croire, que de répéter telle une boîte vocale grippée que même les pire jean-foutre du milieu réussissent infailliblement à écrire des partitions fonctionnant au quart de poil dans le film. Quelle piètre opinion faut-il avoir de notre passion commune pour soutenir benoîtement pareille énormité...