THE HIDDEN (1987)
HIDDEN
Compositeur : Michael Convertino
Durée : 37:18 | 14 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande




Dans Raw Deal (Le Contrat), un Schwarzy gominé et armé jusqu’aux dents, pas vraiment à l’étroit au volant de sa spacieuse Buick Riviera 83, entreprend de nettoyer par le vide une gravière infestée de porte-flingues — non sans avoir, au préalable, veillé à ce que Mick Jagger s’égosille via l’autoradio qu’une damnée insatisfaction lui colle à la peau. Un an après, un alien épicurien, qui dissimule astucieusement sa hideur chitineuse sous une enveloppe humaine, fait rugir sa Ferrari 308 dans le spectaculaire amuse-gueule de The Hidden, emboutissant les voitures de patrouille lancées à sa poursuite, renversant d’infortunés piétons comme des quilles, tandis que l’habitacle vibre et résonne des meuglements heavy metal de Shok Paris. Soyez les bienvenus dans les eighties débraillées ! La décennie du bon goût roi, faut-il le rappeler, où faiseurs sans vergogne et cinéastes d’envergure fondaient ainsi que des volées de pies sur tout ce qui brillait, quitte à ne découvrir qu’un banal caillou laqué outrageusement. À lui seul, l’extraterrestre venu rassasier ses pulsions dionysiaques à l’ombre des palmiers de Los Angeles taille moult croupières au rêve américain, ou pour être plus véridique à sa caricature bedonnante, qui prêtait alors le flanc à tous les brocards. Mais l’appétence de notre mauvais sujet pour le hard rock FM, si elle fait grincer des dents les honnêtes citoyens qui ont le désagrément de croiser sa route, ressemblait deux fois plutôt qu’une à une aubaine aux yeux étrécis par la cupidité des producteurs et autres experts-comptables de la pellicule. Pensez donc au potentiel album de chansons à destination des teenagers en sneakers ! L’objet, curieusement, ne vit jamais le jour. Il ne demandait pourtant pas mieux, avec On Your Feet cité plus haut servant de locomotive à une constellation de chants de guerre gutturaux, au milieu de quoi Still In Hollywood et Your Haunted Head, tous deux du groupe underground Concrete Blonde, charrient à leur insu une ironie plantée de dents de sabre.
En mission pour rétablir l’ordre foulé au pied, un flic du cru et un fédéral surgi de nulle part qui consacrent le gros de la traque à se dévisager en chiens de faïence. Guère surprenant puisque Kyle MacLachlan, aussi juvénile qu’énigmatique, répétait déjà ses gammes en prévision d’un Twin Peaks encore flou à l’horizon. Néanmoins, avec le recul qu’autorisent les ans, The Hidden trace bien davantage le pourtour d’une autre série phénomène à venir, un culte cathodique embourbant lui aussi un agent du FBI aux confins de l’irréel. Et la musique explique largement cette familiarité tenace ! Quand la chose d’outre-monde ne tire pas des décibels ébouriffés des cassettes dont elle bourre ses poches, apparaissent soudain en rampant des sons électroniques rien moins qu’avenants, si froids, si dépourvus de chair, qu’il semble émaner d’eux d’intenses vagues de givre. L’obscur Michael Convertino, devançant de plusieurs longueurs son confrère Mark Snow, embrassait à bouche-que-veux-tu les synthétiseurs marmoréens qui se mueraient dans X-Files en témoins parmi les plus habités du paranormal. Ils fournissent quant à la nature fondamentale de The Hidden le premier indice éloquent, à partir duquel l’on subodore que le polar d’action croqué d’emblée à traits gras cache peut-être bien son jeu… Le mini-suspense ne dure de toute manière qu’un laps de temps éclair, avant qu’une scène de « transfert », dévoilée plein cadre, n’abatte la carte de l’horreur purulente. La peu ragoûtante limace noire, qui dispose d’une méthode bien à elle pour faire peau neuve, se tortille d’une bouche béante à une autre au rythme de glissandi inhumains, lesquels, par leurs textures audacieuses, ne ravirent pleinement que le réalisateur Jack Sholder, à l’en croire. S’il ne s’était battu contre vents et marées, le travail de Convertino, conspué au sommet de la pyramide, aurait fort probablement fini manu militari au broyeur.
C’eût été pur acte de vandalisme. Car, sous l’air besogneux qu’il se donne (à dessein ?) de se fondre dans les canons électro-acoustiques statufiés par l’époque, le compositeur n’obéit qu’à de très personnels élans. Les séquences d’action, surtout, en témoignent avec superbe. Ni démonstrations à tout crin des feux d’un orchestre, ni amas de couleurs synthétiques peu ou prou passées, mais quelque part entre ces pôles extrêmes, encoignée au creux d’une sorte d’angle mort où les deux, dans ce qu’ils ont de plus stimulant à offrir, se heurtent sèchement — telle se révèle la musique à l’heure de laisser parler la poudre. Au lieu du grand spectacle balistique promis, elle s’intéresse autrement à l’incongruité écarlate des fusillades, où un quasi-sexagénaire encaisse sans broncher des tombereaux de balles, où une strip-teaseuse court vêtue arrose tout ce qui bouge au fusil de guerre. Avec « chaos » pour maître-mot, Michael Convertino de même s’en va-t-au massacre. Pas de quartier ! Aucune clémence mélodique à espérer ! Les sons électroniques, tantôt caverneux, tantôt sifflants, donnent en permanence l’impression de gîter au fond d’abyssales ornières, de tressaillir puis de rebondir vertigineusement. Sur cette voie défoncée, un stupéfiant ouragan percussif roule, un carillon égaré sonne le glas des damnés, les touches d’un piano s’enfoncent sous le poids de mains frustes. Une trompette complète la liste spartiate des instruments greffés ça et là aux synthétiseurs ; mais ô ! surprise, elle n’intervient pas pour exaspérer la cacophonie. Triste, mélancolique, son solo fragile, prêté à un second alien ayant juré la perte du premier, qui est son pire ennemi, souffle que même ici, dans le petit univers rentre-dedans de la série B américaine, les rencontres du troisième type sont capables d’engendrer l’espoir. Et l’amour.