The Lone Ranger (Alberto Colombo, William Lava, Cy Feuer…)

Tout dans les Muscles #47 : L'Étoffe des Héros

Disques • Publié le 14/06/2024 par

THE LONE RANGER (1938)
LES JUSTICIERS DU FAR-WEST
Compositeurs :
Alberto Colombo, William Lava, Cy Feuer, Karl Hajos…
Durée : 70:43 | 40 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

3.5 out of 5 stars

 

Des héros au cœur noble et au six-coups volubile ! Des félons ourdissant de machiavéliques complots ! D’inénarrables alias ! Des belles en détresse, hurlantes face au péril, frémissantes quand la passion les étreint ! Des courses-poursuites à perdre haleine ! Des chausse-trappes dont nul ne réchappe ! Du suspense, du mystère — et de l’action ! Encore et toujours plus d’action ! À renfort tonitruant de slogans toisant, impavides, les dangers de l’hyperbole, et de points d’exclamation aussi formidables que des gratte-ciels, les affiches des serials promettaient le divertissement à l’état pur, l’évasion pour quiconque prêt à échanger un peu de menue monnaie contre un ticket de cinéma. C’était il y a presque un siècle, alors que régnait sur les écrans géants et dans les pages des magazines bon marché une esthétique pulp sans complexe, dont le schématisme épais ravigotait souvent plus qu’il ne consternait. Il n’y avait pas encore de susceptibilités à épargner, pas de psychologie à esquisser même vaguement, et nul besoin de traîner derrière soi l’encombrant bagage de la vraisemblance. Seuls importaient le plaisir de la bagarre et le frisson délicieux des cliffhangers, abandonnant chaque fois le justicier valeureux en mauvaise posture. Pas de quoi faire choir le loup noir gardant secrète la véritable identité du Lone Ranger. Haute éminence parmi les kyrielles de super-types masqués qui embouteillent la pop culture américaine, le personnage n’eut besoin que de quelques années pour bondir des feuilletons radiophoniques, berceau de ses exploits, aux salles obscures. Dans ce saut fantastique, cramponné à l’encolure de son destrier nivéen Silver, il fut comme propulsé par l’irrésistible fortissimo des trompettes de Guillaume Tell ; sa célébrissime Ouverture, mieux que jamais synonyme d’un galop effréné en se métamorphosant en un générique d’anthologie. Quoique le vieil Ouest jalonné de cactus ne prélude plus guère au soulèvement d’une Suisse opprimée…

 

Mais ne résumons pas tout à Rossini. Son influence s’arrête à ce spectaculaire emprunt. Inutile également de renchérir, à tout hasard, avec Aaron Copland, le père spirituel de l’Americana, dont le ballet pionnier Billy The Kid vit pourtant le jour en 1938, sur les talons du premier serial dévolu au Ranger Solitaire. L’esprit des symphonies folkloriques du grand homme ne phagocyta vraiment le western qu’au fil de la décennie suivante, et la guerre déclarée par notre héros aux bandidos de maintes espèces ne pouvait en aucun cas patienter jusque-là. En outre, lorsqu’il prit corps au cinéma, le justicier équestre se jura de rompre avec le peu de moralité ternissant son blason sur les ondes, où il fit régulièrement les poches du répertoire classique. Liszt compte parmi les victimes notoires de ces larcins, qui réduisirent au rang de vulgaire trait d’union, concassé entre une embuscade et une castagne de saloon, les délices harmoniques de ses Préludes… La probité flambant neuve du Ranger n’inclut toutefois pas Guillaume Tell, devenu un paraphe essentiel auprès des auditeurs, dont bon nombre acquirent la certitude qu’il avait été spécialement écrit pour l’occasion. Les modestes orchestres de studio digérèrent adroitement sa récurrence, le simplifiant, l’allégeant de ses fioritures. Désormais sec comme un coup de trique, enfin mûr pour une forme d’héroïsme destinée à faire florès sur les grands écrans américains, voici l’hymne nouvellement créé à la justice caracolant au triple galop en exergue de chaque épisode. Dans le sillage d’une mise en appétit de cet acabit, s’ensuit forcément un déluge d’escarmouches qui ne lésinent pas sur les cuivres et de misteriosi tapis tels des serpents à sonnette au fond de ravins crevassés.

 

Postiches, masques ou foulards, qui dissimulent les traits des belligérants, pimentent le western d’un sympathique soupçon de whodunit. Quel malandrin a dévalisé la diligence ? Quel faciès patibulaire s’acharne à l’anonymat ? Ce pourrait être le visage de William Lava, ou peut-être celui de Karl Hajos, ces forçats du papier à musique, travaillant d’arrache-pied dans les coulisses de l’usine à rêves. Jamais ils ne s’extirpèrent vraiment de l’ombre, du moins pas dans l’éreintant contexte hollywoodien, duquel Cy Feuer, convaincu de dilapider son temps, se désolidarisa au bout d’une décennie de besogne frénétique — pour se voir couronné des lauriers de Broadway. Négligés, tenus en piètre estime parfois… mais pas engloutis malgré tout par l’oubli. Il restait des braves pour veiller au grain, d’éternels grands enfants, chez qui l’âge adulte avait échoué à poncer le goût de l’aventure et des points de suspension sur quoi s’achevait tout épisode de serial digne de ce nom. James King faisait partie de ces gamins dont l’imagination s’empourpra en une foultitude de conjectures, semaine après semaine, quant au sort réservé dans l’ultime bobine aux Dick Tracy et autres Red Ryder. Et, de son propre aveu, les accords mineurs sinistrement dispensés n’en aidaient que mieux à supputer le pire ! Les quelques disques qu’il chapeauta au tournant des années 90 ont ainsi valeur de succulente madeleine de Proust ; un hommage embué à la firme Republic qui brûla jusqu’à son dernier dollar afin de pérenniser le serial. Transporté sous la direction enthousiaste de King, le CinemaSound Orchestra gomme à force de rutilances les crépitements parasites des antédiluviennes bandes sonores, vérolées par les décennies. Grâce aux bons génies à son chevet, le Lone Ranger renouait avec le fouet cinglant des cordes, avec l’orgueil des cuivres qui, jadis, lui prêtèrent main-forte à l’instar du Comanche fidèle et mutique Tonto. À qui il fut épargné, parce que son compagnon masqué le traitait en égal, les monolithiques tambours qu’Hollywood s’ingénia longtemps à faire rouler chaque fois qu’un Peau-rouge pointait le bout de ses plumes…

 

Benjamin Josse
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