The Punisher (Dennis Dreith)

Tout dans les Muscles #31 : Crime et Châtiment

Disques • Publié le 06/10/2023 par

THE PUNISHER (1989)
PUNISHER
Compositeur :
Dennis Dreith
Durée : 51:42 | 30 pistes
Éditeur : Notefornote Music

 

3.5 out of 5 stars

 

Et dire que l’on pensait son stoïcisme inaltérable ! Quel choc ce fut de voir l’altier profil aryen, catapulté sur les crêtes de la légende par le triomphal Rocky IV, vaciller ainsi, se lézarder, et finalement capituler sous les larmes emperlant le cobalt de ses yeux ! La campagne promotionnelle débutée tambour battant par Dolph Lundgren en 1989 venait soudain de bifurquer, cap sur la quatrième dimension… Lors de son passage en France, brasilla en lui le désir excentrique de s’acoquiner avec les Nuls, auxquels sa monumentale stature inspira le personnage du « Pleurnisher », héros pour le moins émotif d’un sketch fabuleusement goguenard. Nonobstant les Jesus time ! qu’en prédicateur hirsute, il claironne dans Johnny Mnemonic, c’est peu dire que le comédien ne fit pas tout à fait preuve par la suite d’une similaire autodérision. On s’escrimerait d’ailleurs en vain à la débusquer au détour de The Punisher, le film à l’origine de la petite récréation susmentionnée. Seuls les cuistres s’en navreront, car ici, sa rigidité de pierre, ses mâchoires verrouillées dont rien ne vient déranger les linéaments, son regard pareil au dur huis d’une cellule, ressemblent fort à une bénédiction. Après tout, n’oublions pas que Lundgren incarne Frank Castle, le vindicatif vigilante, surgi avec son arsenal fumant des cases des comics Marvel pour enduire de sombre les collants traditionnellement arc-en-ciel des super-types. Le générique, tout en échardes aigües et vertiges spiralés, déborde certes de couleurs, à la manière de ses pareils un tantinet psychédéliques des années 60 et 70 ; mais la musique qui l’escorte en annonce une tout autre, de couleur. L’obsession vengeresse du Punisher, dévorante, inextinguible, se matérialise via quatre notes confiées à des cuivres emphatiques. À l’aréopage des turpitudes sans fin de la société moderne qu’un kaléidoscope fait tournoyer frénétiquement, l’orchestre trapu, garni de quelques rehauts électroniques, ne réserve qu’une sentence : la mort.

 

Dennis Dreith n’a pas grand-chose d’un stakhanoviste de la composition. Son petit fagot d’efforts en ce domaine représente la portion congrue d’une carrière surtout vouée aux arrangements et à la baguette du chef d’orchestre, sans compter les coulisses administratives, où il tint au fil des ans plusieurs postes-clés. Qu’il n’ait que très sporadiquement tâté du scoring en son nom n’implique pas pour autant que nous ayons affaire à un demi-sel. Voyez plutôt sa hardiesse et son efficience à faire régner la loi du talion, qui ne le cèdent d’aucun pouce à celles déployées par Frank Castle en personne. En l’absence du fameux emblème crânien, étiré comme à plaisir par son trio de créateurs sur le torse du ténébreux anti-héros de papier, Dreith gratifie celui-ci d’une toute nouvelle estampille, musicale cette fois, baptisée par lui Punisher Signature — en bref, les assauts répétés du motif principal, que le compositeur inocule à sa partition tel un venin fulgurant. Fort symptomatiquement, les multiples morceaux de bravoure feront tour à tour usage du Main Title comme d’un trépied, indéboulonnable socle de leurs explosions d’adrénaline. Mêlée confuse sur un quai engorgé de truands, tripot clandestin qu’une mitrailleuse lourde ratiboise, pourchasse à tombeau ouvert d’un bus rempli d’enfants… D’un baroud à l’autre, les récurrences stylistiques, puisées à même la source, ricochent et se répondent : un rembourrage de synthèse adoptant la forme d’une palpitation à l’esprit très goldsmithien ; le pupitre des cordes emporté par de vigoureux ostinati ; des rythmes au pas cadencé, dont la filiation martiale, peut-être chue des premiers faits d’armes du Punisher au cours de la guerre du Viêt Nam, s’exacerbe sous les roulements d’une caisse claire ; et des cuivres, bien sûr, encore des cuivres, mais nullement lourdauds, découpés sur le magma symphonique avec autant de minutieuse netteté que des ombres chinoises.

 

Partout, au cœur de l’action (le plus souvent) comme à sa périphérie, la Punisher Signature rend son implacable justice, tel un maître tutélaire aux sombres prunelles. Les quatre notes d’ombrageuse constitution camouflent Dolph Lundgren de noir des pieds à la tête, jusqu’à ses cheveux que l’acteur fit teindre pour l’occasion, et n’ont de cesse de marteler que ce dernier ne possède d’un super-héros que l’étiquette. Les (rares) séquences en rupture de coups de flingue laissent suinter de la psyché de Castle la même bile épaisse et collante, bien qu’il faille admettre que Dennis Dreith n’éructe pas lors de ces « aires de repos » des flammes d’obsidienne aussi spectaculaires que celles léchant avidement les canardages de toutes sortes. À dire vrai, quand l’exterminateur zélé sillonne les coupe-gorge en Harley-Davidson ou succombe, dans les tréfonds des égouts devenus son repaire, aux cauchemardesques résurgences du massacre de sa famille, l’ennui pointe quelquefois auprès du mélomane le bout de son groin. Malgré d’appréciables sursauts éparpillés, les synthés n’aident généralement pas. Sans relief, laborieux, n’agitant pour toute inventivité que de tristes moignons… L’onomatopée qu’ils bafouillent au moment où trépasse la terrible Lady Tanaka, le poignard du Punisher vibrant entre ses yeux écarquillés de stupeur, ressemblerait pour un peu à une farce de garnement. Le timbre mat et froid d’un modeste panel d’instruments extrême-orientaux, ambassadeurs tombant sous le sens du sadisme très pulp qu’aiment à prodiguer les yakuzas, augurait pourtant tout sauf ce point d’orgue si blême. On s’abstiendra cependant de mettre au rebut The Punisher, au motif qu’il franchit la ligne d’arrivée les genoux quelque peu flageolants. Peut-être enthousiasmé par un film dont la loyauté envers sa figure de vengeur taciturne demeure le grand mérite, Dennis Dreith ne compte pas ses munitions en apothicaire rapiat. Malheur aux mauvais sujets ! Dans le dédale borgne de la ville, un autre que Frank Castle, exhibant clefs de sol et arpèges coriaces en lourdes cartouchières, se dresse contre le crime — pour le punir.

 

 

Benjamin Josse
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