Mean Guns (Tony Riparetti)

Tout dans les Muscles #25 : Millenium Mambo

Disques • Publié le 30/06/2023 par

MEAN GUNS (1997)
MEAN GUNS
Compositeur :
Tony Riparetti
Durée : 49:37 | 23 pistes
Éditeur : Howlin’ Wolf Records

 

3.5 out of 5 stars

 

« Et où est-ce que je peux trouver le CD ? » s’enquiert tout sourire un Christophe(r) Lambert au poil blond. À quoi Ice-T, responsable de la playlist changée en objet de convoitise, répond par une grimace goguenarde. Avec ce dernier interprétant un Monsieur Loyal sapé de sombre, qui agonit ses peu fréquentables ouailles d’une pluie battante de motherfuckers, très certainement supputerez-vous, ami lecteur, qu’il ne peut être question que de hip-hop hispide et mal embouché, celui-là même qui phagocytait la bande-son de films d’action en nombre pléthorique dans les 90’s. Vous n’y êtes vraiment pas ! En quête d’un soupçon d’originalité dont il comptait saupoudrer le jeu de massacre bêta auquel se résume Mean Guns, feu Albert Pyun s’enticha soudain des couleurs vives du mambo. Cette idée saugrenue à peine formulée, le commun des cinéastes l’aurait bien sûr écartée d’une chiquenaude… mais pas Pyun. Lui, convaincu de tenir son sésame, se hâta de l’inclure aux réjouissances — par surcroît, directement à l’avant-poste ! De simple bruit de fond que le mélomane lettré Ice-T laisse choir des enceintes de la prison où l’enfer est sur le point d’éclater, de musique littéralement d’ascenseur plongeant les belligérants, tous des mauvais sujets à la mine patibulaire, dans des abîmes de perplexité, le mambo prend vite sur l’échiquier une place primordiale. Devenu omnipotent, il brouille les frontières entre musique intradiégétique, rôle dont il était supposé se satisfaire, et la partition de Tony Riparetti, vieil et dévoué acolyte d’Albert Pyun. D’un bout à l’autre du film, cette gratte de guitare à la fraîche et ces cuivres incapables de tenir en place ne cessent de nous exhorter à danser — si ce n’est qu’on ignore au juste sur quel pied.

 

Pour excentrique qu’elle soit, l’expérience dégage néanmoins un je ne sais quoi de stimulant. Il s’agit même certainement du trait le mieux proéminent du caractère de Mean Guns. Car, aux autres étages de sa mise en boîte, il carbure bien plus volontiers à l’ordinaire. C’était l’époque des fusillades bouffies de cabrioles et de ralentis, rackettant sans vergogne (et surtout avec un brio cent fois moindre) le cinéma de John Woo, et du verbiage « tarantinesque » où tant de gâte-papier émoussèrent leur plume. Sur cette voie rectiligne et criblée de balises, entendre trépider soudain les cuivres en staccatos luisants du très alerte José de Pérez Prado, le roi du mambo en personne, relève du culot, de l’incongruité diaprée, peut-être aussi d’un penchant obscur pour l’autodestruction. Même les clins d’œil turgides à l’adresse d’Ennio Morricone, glapissements de trompette à l’appui, lorsque les porte-flingues qui se font face parodient les duels hiératiques du vieil Ouest, semblent bien peu à leur place dans ce dédale de couloirs grisâtres et de cellules remplies d’échos morts. C’en sera trop, parions-le, pour le simple spectateur de passage, qui n’y entendra qu’un gigantesque hors-sujet. Son homologue plus téméraire, pas du style à s’effaroucher d’improbables métissages, se délectera en revanche du contre-pied statufié en dogme par Tony Riparetti ; lequel, tout à son évident plaisir d’achopper encore et encore sur les images, fait virevolter sa baguette exactement comme s’il devait chauffer un dancing. Sous sa houlette, les truands condamnés à s’entre-déchirer exécutent pas de deux et pirouettes désarticulées, cependant qu’à l’unisson des guitares hispanisantes, leurs pétoires aboient un chant de mort familier.

 

Attention ! Il y a mambo et mambo. La tradition incarnée par le fantôme bariolé de Pérez Prado a beau tenir le haut du pavé, ça n’empêche pas les déclinaisons plurielles de surgir au détour d’un énième gunfight, comme cet abâtardissement technoïde qui, à y regarder de près, exhibe un certain punch. Les deux tueurs inséparables, faisant montre à l’égal de frères siamois d’un synchronisme presque surnaturel, sont les parfaits clients pour de telles itérations. Il n’est qu’à voir avec quel enthousiasme ils estourbissent la concurrence, par exemple à coups joyeux de battes de base-ball, durant une scène dont la complaisance qui paraît poindre son nez en termes de violence s’évapore au contact d’une espèce de rockabilly pâteux de sauce mexicaine. On prend du bon temps, et pas qu’à moitié, dans Mean Guns. Christophe Lambert lui-même ne rechigne pas à laisser fuser les arpèges de son rire fameux entre tous, mais par intermittences uniquement : notre héros a maille à partir avec un passé traumatisant. Riparetti s’en fout, lui accolant d’autorité un thème « mamboesque », encore un, percussif en diable, dont les cuivres trompètent avec l’air d’insinuer qu’aucun stigmate psychologique ne viendra blettir les festivités. Et celles-ci de continuer de plus belle, en plein milieu d’un parking désert, où le mambo se rue au petit trot saccadé dans le giron de la maison-mère, la salsa. Ici comme en maints autres endroits, les orchestrations, ouvertes à tous les vents pop, ne sont pas du premier raffinement. Venant de l’âme damnée d’Albert Pyun, un compositeur bricolo modérément soucieux de reflets laqués, même lorsqu’une poignée de solistes chevronnés lui prête main-forte, ce vernis qui s’écaille va de soi. N’empêche… que le geste est hardi ! On le saluera en suivant l’exemple du blondinet Totophe, prêt à partir sur l’heure à la chasse au CD.

 

Benjamin Josse
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