Hokuto No Ken (Katsuhisa Hattori)

Tout dans les Muscles #8 : La Guerre des Étoiles

Disques • Publié le 21/10/2022 par

HOKUTO NO KEN (1986)
KEN LE SUIVIVANT : LE FILM
Compositeur :
Katsuhisa Hattori
Durée : 37:46 | 18 pistes
Éditeur : Pony Canyon

 

3.5 out of 5 stars

 

Enfer de quat’sous pour beaucoup, terres édéniques où il fait doux s’ébattre pour d’autres, évidemment pas bien nombreux. Les tenanciers du Bon Goût se gaussent des raccommodages par trop visibles que laissent bâiller des budgets gringalets, et les père-la-pudeur vilipendent l’ignominie de sicaires de la pellicule exhibant des lendemains qui, sans exception, font la gueule. A cent lieues des clabauderies péremptoires, les cénacles gays chantent à l’unisson des fétichistes patentés la gloire du cuir, zébré du vif-argent des fermetures éclair, sous lequel roulent et saillent, étroitement gainés, les muscles des mauvais garçons. Choisis ton camp, camarade, et choisis bien ! Pour quantité de producteurs impécunieux, comptant leurs maigres deniers d’une patte noueuse d’harpagon, c’était tout vu. Le triomphe de Mad Max 2 vit ainsi déferler les corniauds illégitimes du Road Warrior, lesquels ne condescendirent qu’en des occasions bien maigres à honorer les promesses de spectacle total vendues par des affiches plus grandes que nature. L’un de ces bâtards, néanmoins, mit à la tâche un zèle hors du médiocre : le stoïque Kenshiro, grand maître du Hokuto — « de cuisine ! » s’esclafferont en chœur des centaines de joyeux drilles, marqués au fer rouge par une version française ayant jadis repoussé les frontières de l’ineffable.

 

Ces bougres-là risquent fort, cette fois-ci, d’en être pour leurs frais. Car, à l’inverse de la série TV, pionnière souvent malmenée de l’essor de la japanimation dans l’Hexagone, le premier film tiré du mythique manga Hokuto No Ken n’est victime d’aucun (ou si peu) des surréalistes calembours que prisaient le comédien de doublage Philippe Ogouz et ses compères. Peut-être la fine équipe fut-elle bien tardivement subjuguée par la poésie naïve et les affrontements crève-cœur entre écoles d’arts martiaux rivales… Mieux sans doute que n’y parvinrent les moyens rudimentaires alloués à la petite lucarne, le long-métrage rend patent l’ambition d’une vaste fresque post-apocalyptique, dont l’éclat tout ensemble farouche et tragique éclabousse chaque degré de sa conception — musique incluse. Celle-ci voit grand, indéniablement plus en tout cas que son aînée télévisuelle, troussée par un Aoki Nozomi assez fruste (mais percutant !) dans sa méticuleuse revue des artifices pop (guitare électrique, trompette morriconienne, vibraslap chafouin, boîtes à rythme) qui régnaient sur les animes des eighties. Katsuhisa Hattori, en touche-à-tout de talent qu’aucune vicissitude musicale ne répugnait, ne fait pas table rase pour autant des coups de sang de son prédécesseur. Il s’attelle même assez vite à une jubilatoire prolongation, en aspergeant de giclées funk-rock une course-poursuite délirante à flanc de gratte-ciel. Voilà pour la caution Mad Max. Les innombrables scènes d’action encore à venir, bien que bouffies de véhicules bardés de fer et de géants punks dont les crêtes narguent la gravitation, verseront toutes leur obole à l’autre influence majuscule d’Hokuto No Ken : le cinéma de kung-fu, et plus particulièrement son empereur céleste, Bruce Lee.

 

Kenshiro est certes l’héritier de la Grande Ourse, mais il descend pareillement du Petit Dragon, auquel il s’est permis de chaparder une gestuelle martiale hypnotique, une propension canaille à tomber le haut face à ses adversaires et un organe vocal pas effarouché par les cimes des aigus. Fait curieux, la musique s’inscrirait presque en porte-à-faux avec ce profil félin, le caparaçonnant de cuivres semblables à de terribles masses d’armes qui s’abattent selon une lourde cadence. C’est le résultat d’une scène de « résurrection » sur laquelle point l’ombre du croquemitaine… Raoh, le frère ennemi de Ken, héraut lui aussi de l’étoile du Nord, fulmine à la même enseigne, à ceci près que sa gigantesque stature et sa soif de pouvoir s’acclimatent cent fois mieux de l’écho houleux des cymbales. S’il doit luire un quelconque salut, à l’écran comme parmi les pupitres de l’orchestre, alors il viendra des femmes, source de pureté et d’espoir dans l’univers en pièces détachées du post-nuke. Pour les magnifier, les déifier même, le bagage néo-classique de Katsuhisa Hattori semblait tomber sous le sens. La mélancolique Yuria, celle par qui les combats fratricides se déchaînent, et Linn, minuscule fillette déjà pareille à une madone, mêlent leurs larmes tout comme les morbidesses tristes des bois et des violons. Un jour, s’efforcent-elles de croire, malgré la désolation calcinée répandue par le feu atomique, les fleurs couvriront à nouveau la terre de leur pelisse soyeuse.

 

Porte doucement entrebâillée sur un avenir concevable ? Pauvre utopie broyée sous des talons de fer ? Peu importe, Hattori fait chorus de tout son cœur. Kodomo également, bien que l’oreille n’en soit pas frappée avec la force de l’évidence. Guest star de luxe au générique du film, le rock band nippon, sorte de réponse tous riffs de guitare dehors à Survivor, met la sauce tandis que le charismatique justicier Rei, l’Oiseau de feu de l’étoile du Sud, et l’un des six champions du Nanto (« de fourrure ! » entend-on bêler au loin les hurluberlus de tout à l’heure), se dresse face au titan Raoh. Dans la version chantée, exclusive à l’album, une voix glapissante fait surgir l’image d’un homme esseulé, qui va de l’avant en espérant qu’une main douce, quelque part dans un noueux entrelacs de ténèbres, attend la sienne. La finesse n’est pas la première de leurs qualités, mais ces lyrics sont un raccourci brut du vague embrumant l’âme du guerrier, que le destin pousse le long de chemins rougis de sang. Cette solitude vécue telle une malédiction, cette mélancolie impossible à chasser, voilà les vrais maillons, plus étroits encore que les querelles vieilles de siècles sans nombre, qui enchaînent les uns aux autres les disciples de la voie du poing.

 

Benjamin Josse
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