GAMERA: THE GUARDIAN OF THE UNIVERSE (1995)
GAMERA : GARDIEN DE L’UNIVERS
Compositeur : Kow Otani
Durée : 51:33 | 29 pistes
Éditeur : Tokuma Japan Communications
Présentée de but en blanc, la chose a de quoi en dérouter plus d’un, notamment les néophytes occidentaux aux yeux desquels le kaiju eiga commence avec Godzilla et s’arrête avec lui. Mais les faits sont irréfutables : au cours des années 90, le plus redoutable concurrent du Roi des Monstres fut une gigantesque tortue qui se distinguait par ses incisives recourbées et, surtout, par le réacteur fiché dans un endroit intime de sa personne. Vraiment, tout ça n’a pas l’air très sérieux. Même l’amateur éclairé, incollable sur le genre et sa dantesque ménagerie, ne l’avait certainement pas vu venir. Qui eût cru que le gentil Gamera, déjà à pied d’œuvre durant le tsunami enfantin des sixties, finirait par renier l’inoffensive candeur de ses premières aventures pour incarner, trente ans après, le ténébreux renouveau du kaiju eiga ? Un aussi abrupt changement de cap explique peut-être le relatif insuccès de Gamera Daikaiju Kuchu Kessen (Gamera : The Guardian Of The Universe), qui dut ronger son frein quelque temps encore dans l’ombre imposante de Godzilla avant de savourer une gloire toute nouvelle. Enfin, les créateurs géniaux du film de monstres japonais venaient de trouver leurs dignes héritiers. Shusuke Kaneko s’affairait derrière la caméra avec une conviction pas moins exemplaire que celle d’Hinoshiro Honda, le petit génie des SFX Shinji Higuchi déployait des trésors d’inventivité qui auraient sans doute confondu Eiji Tsuburaya… En revanche, Kow Otani n’a pas vraiment réussi à convaincre les béophiles qu’il était le fils spirituel d’Akira Ifukube. Ce qui ne signifie pas, loin s’en faut, que ses musiques soient dépourvues du moindre intérêt.
Godzilla a son leitmotiv, noir et intimidant, parfait écrin de sa colère mythologique. Gamera, lui, s’est longtemps contenté d’un hymne gouleyant, une chanson vouée à tirer des rires aux tout-petits et qui éclipsait à chaque fois les efforts des divers compositeurs impliqués, pourtant pas des manches : Chuji Kinoshita avait donné le meilleur de lui-même sur l’extraordinaire Ningen No Jôken (La Condition de l’Homme) de Masaki Kobayashi, et Shunsuke Kikuchi connaîtrait plus tard un culte imputrescible grâce aux séries Yufo Robo Gurendaiza (Goldorak) et Doragon Boru (Dragon Ball). Dans sa quête d’une crédibilité foncièrement adulte, le Gamera nouveau ne s’embarrasse d’aucun sentimentalisme et jette aux orties le vieux fardeau musical. Dès lors, libéré de tout devoir de mémoire envers les épisodes d’antan, Kow Otani conçoit un Main Title furibond, porté par des cuivres opulents, virils même, pourrait-on dire. Dans la foulée, il donne forme à l’autre thème majeur du score, celui des Gyaos, volatiles carnivores et ennemis héréditaires de Gamera. Lorsque ces créatures fondent du ciel sur leurs proies terrifiées, les cordes violemment descendantes, habile suggestion d’un point de vue aérien, font preuve d’un à-propos tout à fait stimulant.
Les ignobles bestioles effectuant régulièrement des raids meurtriers, les occasions qu’a Otani de fendre les airs à la tête de ses instrumentistes ne manquent pas. Appearance And Traces Of The Monstrous Bird, dont est flanquée la première apparition à l’écran des Gyaos, ne lésine pas sur les riffs de guitare électrique. Exit l’effroi larvé des notes liminaires et place à l’expression de la force brutale et irrésistible de ces mystérieux oiseaux géants. Rien ne semble en mesure de les arrêter… jusqu’à ce que les chasseurs deviennent chassés à leur tour dans Gyaos Flees, où le thème massif de Gamera entame avec celui des choses ailées un frénétique jeu du chat et de la souris. Après avoir dormi durant Dieu sait combien d’éons au sein des océans (dans The Atoll At Night, tapissé d’intéressants chuchotis synthétiques, une équipe de chercheurs prend sa carapace crevant les flots pour un îlot nu), la tortue géante est prête à en découdre.
Et c’est tant mieux, car elle va croiser le fer avec un adversaire ayant sacrément du répondant. Une sorte de super Gyaos, dix fois plus colossal que ne le sont ses congénères. Les cordes sibyllines et vaporeuses, empreintes de l’écho à peine distinct de murmures factices, qui saluent sa naissance dans Gyaos Chromosomes ont à peine eu le temps de se dissiper que la créature, prenant un majestueux envol, plonge Tokyo dans la panique. Comme l’exige la tradition, l’armée japonaise ne peut pas faire grand-chose contre la menace, si ce n’est engloutir accidentellement la fameuse tour de la ville, décidément le monument le plus martyrisé de l’histoire du kaiju eiga, dans un jaillissement de flammes, d’acier broyé et de cuivres allant crescendo dans Tokyo Tower Collapses. C’est à peine si Kow Otani, qui connaît ses classiques, aura cherché à entretenir le mirage d’un corps militaire invincible, tant son Tank Brigade, malgré une rythmique plutôt entrainante, fait piteuse figure comparé aux marches inoubliables d’Akira Ifukube. Non, pour l’Archipel impuissant, Gamera et l’irruption comme toujours agressive de son leitmotiv sont la seule planche de salut.
Dernier acte du film, les deux titans s’agrippent avec rudesse au milieu du ring. Si les trucages de Shinji Higuchi assurent un formidable spectacle, Gamera Vs. Gyaos peine quelque peu à leur rendre justice. Conçu à l’évidence comme le morceau de bravoure terminal qui abandonnerait l’auditeur sur les rotules, ce typhon orchestral pourtant musclé à souhait se repose trop commodément sur les thèmes rois de Gamera et des Gyaos, déjà déclinés en maintes occasions dans de précédents jets d’adrénaline, pour qu’une impression coriace de déjà-entendu ne se fasse pas jour. Du coup, on lui préfèrera sans remords l’excellent Air Battle, d’une durée certes deux fois moindre, mais qui grimpe à l’assaut des sommets avec une vélocité égale à celle des monstres étroitement embrassés et montant en flèche jusqu’aux extrêmes limites de l’atmosphère. Notre chélonien héroïque semble alors en mauvaise posture, mais c’est bien lui qui l’emporte à l’occasion d’un ultime et triomphal soubresaut de cuivres. Sa mission couronnée de succès, il se tourne vers le large et ses profondeurs mystérieuses dans Ending Theme : To The Sea, dont la joliesse mélodique gratifie Gamera : Guardian Of The Universe de son seul épanchement de lumière. Un hypothétique prélude au comeback de la bonne vieille chanson des années 60 ? On regretterait presque que ça ne soit pas le cas, l’anachronisme braillard du titre The Myth que le groupe Bakufu Slump nous assène en pleine figure semblant tout droit sortir d’un sentai multicolore.
Heureusement, Gamera n’a pas survécu à la menace des Gyaos pour expirer sous les coups félons du ridicule. Et Kow Otani, rempli d’autant d’abnégation que la tortue millénaire, est finalement sorti la tête haute de l’entreprise de rénovation musicale qui lui incombait. Son application traversée de fulgurances l’aura autorisé à conserver son rang dans les deux chapitres suivants de ce qui est, sans discussion possible, l’un des fleurons absolus du kaiju eiga. Avant que le chemin du compositeur ne croise, à l’aube du nouveau millénaire, celui du Roi des Monstres en personne ! Mais ceci est une autre histoire…