CHÔJINKI METALDER (1987)
METALDER
Compositeur : Seiji Yokoyama
Durée : 60:23 | 14 pistes
Éditeur : Animex 1200
Pour l’Occidental posant un œil goguenard sur les bizarreries exotiques du cinéma japonais, les sujets de moquerie sont pléthoriques. Avec quels délices n’a-t-on pas déjà tournées en dérision la fermeture à glissière trop évidente sur le caoutchouc des monstres géants, les mosaïques floutées donnant la chasse à la moindre pilosité suspecte dans les films roses ou les grimaces quasi burlesques d’un Sonny Chiba en plein effort ! Mais si un genre a essuyé plus que n’importe quel autre tous les lazzis imaginables, c’est sans conteste le tokusatsu. Véritables objets de culte pour tous les (grands) enfants de l’Archipel, les super-héros nippons n’ont pas connu semblable fortune en bondissant à la conquête du marché international, où l’on a préféré se gausser de leur exubérance naïve. Il faut dire aussi qu’en lieu et place des séries phares de la discipline, ne nous sont bien souvent parvenus que des ersatz d’une insondable hideur. Parmi cette engeance, Chôjinki Metalder et Choriki Sentai Ohranger demeurent de très ordinaires avatars. On y voit des hurluberlus masqués (mi-homme mi-boîte de conserve dans l’un, accoutrés de pyjamas multicolores dans l’autre) affronter conjointement le ridicule et d’improbables bestioles avides d’asservir l’humanité. Les scripts sont sommaires (que voilà un euphémisme délicat), les comédiens consternants, et la gymnastique hystérique qui tient lieu de batailles dantesques a une fâcheuse tendance à toujours se dérouler dans la même carrière de graviers… Mais l’amateur de musique de film, aguerri à découvrir des trésors sous les façades les moins avenantes, aura eu tôt fait de dresser une oreille attentive : assurément, les partitions de Seiji Yokoyama sont de la plus belle eau !
Epoque fastueuse pour les exploits des metal heroes, ces justiciers d’acier animant une branche alors en pleine croissance du tokusatsu, la fin des eighties n’a pas été moins fructueuse pour le compositeur. Lorsqu’il lui revint, en 1986, de mettre en musique l’adaptation animée d’un manga de Masami Kurumada, il ne s’imaginait certainement pas que sa renommée s’en trouverait portée bien au-delà des étroites frontières du Japon. C’est évidemment de Saint Seiya dont il s’agit, que nous connaissons mieux ici sous le titre des Chevaliers du Zodiaque et qui a marqué, dans la fertile carrière de Yokoyama, une sorte d’Everest stylistique, un aboutissement foisonnant à l’aune duquel la plupart de ses œuvres ultérieures seraient jugées. A ce titre, les distributeurs français, estimant peut-être que les scores de Metalder affichaient une trop ostensible familiarité avec ceux de Saint Seiya, ont joué à la série le même mauvais tour qu’ils avaient jadis réservé à Uchu Kaizoku Captain Harlock (alias Albator, autre titre de gloire de Yokoyama) en lui substituant sans état d’âme des compositions du cru. C’était bien mal récompenser le musicien, opiniâtre à ciseler son ouvrage symphonique alors que Metalder ne le gratifiait pas, loin s’en faut, d’une toile de fond aussi riche et stimulante que la mythologie grecque.
Livré à lui-même, le voici donc qui s’escrime à donner quelque crédibilité au héros de fer blanc, en gonflant The Echoes d’une brassé de fanfares vigoureuses. Sous l’impulsion des cuivres, un thème cérémonieux s’y dessine, dont Birth Of The Sound va faire son noyau dur. Délicatement introduit par la joliesse d’une courte pièce pour harpe et bois, cet hymne solaire se déroule en un crescendo grisant, comme pour auréoler les promesses de paix et d’amour que les preux soldats du tokusatsu n’ont de cesse de défendre. Mais face à eux, l’ennemi n’est pas du genre à baisser pavillon sans regimber, et les éructations de cuivres de The Anthem comme la note tragique des cordes de And The Brilliancy Goes On jettent en permanence sur des mélodies pleines de chaleur une ombre trouble. Quand tout ce petit monde, fatalement, se confronte à grand renfort de longues focales négligées, Yokoyama ne se fait pas prier pour dégainer cordes, cuivres, guitare électrique, boîte à rythme… tout un attirail spectaculaire que ses compatriotes du métier, dans les années 70 et 80, chérissaient dévotement. La touche personnelle du compositeur, car il en a une, réside dans les fréquents surgissements du marimba, xylophone africain dont les sonorités très rondes s’immiscent avec une déconcertante facilité au cœur du feu orchestral. Son staccato haletant, qui tient la dragée haute aux pupitres voisins, donne franchement le la tout du long de Blood On The Metal Tops. Et il y a ce passage étonnant issu de A Flame où le marimba et la guitare, pas vraiment le genre d’instruments qu’on associerait spontanément, se disputent la parole avec un entrain communicatif.
Mais ce qui demeure l’un des outils favoris de Yokoyama (il lui a d’ailleurs consacré plusieurs concertos) ne fait pas uniquement merveille dans l’action. Véritable caméléon musical sous l’égide experte de son cicérone, le marimba s’adapte à toutes les situations, épouse tous les degrés subtils de l’émotion et se plie, docile, aux modulations les plus contraires. Ainsi, grâce à l’appui notable du piano, il donne à Metalder l’un de ses rares encarts espiègles, le gambadant Whole Lotta Love. A l’autre bout de la lorgnette, fondus dans l’alerte rythmique martiale de A Celebration Day, ses coups de mailloche s’affairent à battre la mesure. Nul relent guilleret, cette fois-ci, dans la conclusion de cet impressionnant morceau, dont le vibrato des cordes exacerbe la menace d’un contrebasson tout en grondements inarticulés. Les esprits chagrins pourront toujours avancer qu’une bande de fashion victims aux sourcils en accent circonflexe (les nobles protecteurs du Bien), bombant triomphalement le torse devant le terrain vague du coin (l’apocalyptique champ de bataille) tandis qu’un lapin à l’œil ébaubi (le symbole de lendemains lumineux) détale au fond du cadre, ne méritait pas tant d’honneurs harmoniques. Pour toute réponse, Brain Revolution, fier épilogue du score, les estourbirait sous les coups de canon de ses percussions, qui ponctuent à intervalles métronomiques les roulements solennels de l’orchestre. Chôjinki Metalder, ou comment bâtir un pont d’or pour les figures acrobatiques des bonshommes en combinaison pailletée.