Cinemusic: The Film Music Of Chuck Cirino (Chuck Cirino)

Le diabolique Docteur Z

Disques • Publié le 14/11/2011 par

Cinemusic: The Film Music Of Chuck CirinoCINEMUSIC: THE FILM MUSIC OF CHUCK CIRINO (2006)
Compositeur : Chuck Cirino
Durée : 75:38 | 25 pistes
Éditeur : BSX Records

 

2 out of 5 stars

Ami lecteur, toi qui savoures avec des râles de volupté les plus indéfendables mélodies pop des frères de Angelis, toi qui raffoles des borborygmes électroniques du Raymond Lefèvre de La Soupe aux Choux et te vautres délicieusement dans la fange Bontempi des plus effroyables «partitions» du cinéma de Hong Kong, tu as assurément frappé à la bonne porte ! Oublions pour un temps les somptueuses obélisques qui dominent de toute leur hauteur le petit monde de la musique de film, et rendons hommage aux bricoleurs anonymes qui, à l’ombre de ces géants, ont patiemment échafaudé une œuvre dont on pourrait dire, à l’instar des séries Z dépenaillées faisant le bonheur de cinéphiles risque-tout, qu’elle s’adresse au premier chef à des oreilles averties. Chuck Cirino, sans le moindre doute, est l’un des plus flamboyants porte-drapeaux de cette horde contrefaite, un type que son amour absolument pas feint pour le cinéma a conduit à une accumulation gloutonne (et, au vu du résultat, déraisonnable) de projets de toutes sortes. C’est ainsi, au fil d’une carrière hoquetante, qu’il s’est improvisé chef-opérateur, directeur des effets visuels (une appellation ronflante pour désigner les régurgitations fluos de logiciels poussiéreux, qui feraient s’écarquiller de stupeur les yeux des ténors d’ILM) ou metteur en scène de films tous plus ineffables les uns que les autres, dont Baberellas, avec son décorum de science-fiction campy, ses scream queens dépoitraillées et son script anorexique, constitue un édifiant archétype.

 

Mais c’est bien entendu à sa tortueuse palette de compositeur que Cirino doit le culte acharné que lui vouent ses thuriféraires (car il y en a, aussi improbable que cela paraisse). La musique de film est son sacerdoce, ne perd-il pas une occasion de nous seriner, et aucune étincelle perfide, sur ce visage qu’encadre généralement une tignasse indisciplinée, n’autorise à douter de sa bonne foi. L’homme n’en demeure pas moins une insoluble énigme. Happé pour la première fois par l’excellent Born Free de John Barry et confessant volontiers n’avoir qu’Ennio Morricone en personne pour seul maître à penser, le grand Chuck ne se distingue pourtant pas, et c’est peu de le dire, par le goût du lyrisme ciselé, des mélodies entêtantes et de l’instrumentarium insolite que d’aussi prestigieuses références auraient dû lui insuffler. On pourrait néanmoins lui trouver des circonstances atténuantes, en arguant du fait qu’en lieu et place d’un Sergio Leone comme pygmalion cinématographique, les inénarrables Jim Wynorski et Fred Olen Ray n’avaient guère de quoi provoquer en lui un déchaînement de créativité. Pourtant, face aux succubes grimaçants affamés de chair jeune et ferme, aux mondes censément fabuleux mais découpés dans de maigres portions de carton-pâte, aux bestioles numériques défiant toute description et à bien d’autres encore des excentricités chéries par les deux empereurs du bis yankee, Cirino n’a pas reculé d’un pouce. Avec pour seules armes ses synthétiseurs tout-terrain et son abnégation besogneuse, il s’est affairé à enrober toute une kyrielle de nanars sans le sou d’étranges éructations électroniques qui zigzaguent de la plus chaotique des façons entre le n’importe quoi rigolo et les expériences dignes d’un savant fou.

  Komodo vs. Cobra

 

BSX, peut-être l’unique label à essuyer quolibets et volées de bois vert à la moindre de ses parutions, ne s’y est pas trompé. Alors que des éditeurs de plus noble réputation, tels qu’Intrada et La-La Land (qui ne sont toutefois pas à une faute de goût près, comme peuvent en témoigner les kitschissimes reliques des années 80 qu’ils s’acharnent à exhumer), auraient certainement éconduit cette éventualité d’une chiquenaude désinvolte, leur confrère mal-aimé s’est octroyé le privilège de devenir la rutilante vitrine d’œuvres aussi peu fédératrices que Deathstalker II ou Bone Eater. Parmi toutes ces réjouissances psychotroniques se détache la copieuse anthologie prosaïquement intitulée Cinemusic : The Film Music of Chuck Cirino, sublime aréopage de partitions débraillées dont les titres seuls [A.I. Assault (Shockwave), Solar Attack et l’alléchant Komodo Vs. Cobra] scintillent de promesses paroxystiques. Lesquelles s’avèrent tenues au centuple par un Cirino tout feu tout flamme qui déploie le large éventail d’un talent dont l’humanité moqueuse a décidément grand tort de ne faire que peu de cas.

 

S’il parvenait à obtenir un jour, dans l’Histoire de la musique de film, la place et le rayonnement culte qui paraissent lui tendre les bras, l’incomparable Chuck le devrait sans doute à cette mystérieuse forme d’inventivité foutraque à laquelle il n’a jamais dérogé. Tel un François de Roubaix sous l’emprise de substances hallucinogènes, qui se serait pris d’une passion écarlate pour les films d’Ed Wood et Bert I. Gordon, il s’est par exemple hasardé à truffer A.I. Assault de sonorités industrielles agressives, évoquant assez irrésistiblement des plaques d’acier s’emboîtant les unes dans les autres, des sas s’ouvrant dans de brusques jets de vapeur et même, habileté suprême, les hoquets saccadés d’un marteau-piqueur. N’ayant pas eu le courage de vérifier sur pièce, votre peu consciencieux serviteur en est réduit à supputer que cet étrange dispositif illustre un univers high-tech et futuriste, ou tout du moins ce que Jim Wynorski, avec son modeste bagage de cinéaste et un budget avoisinant le néant, se sera escrimé à faire passer comme tel. Ces singuliers traits d’inspiration, en tout cas, ne plaident vraiment pas en faveur de Cirino lorsqu’il prétend que son œuvre aurait tout à gagner si, à ses synthés polyvalents, se substituait le London Symphony Orchestra au grand complet. Soudain amputés de leur raison d’être, les maître-mots du vocable éminemment personnel du compositeur, à savoir bricolage et système D, risqueraient fort de ne pas survivre à pareil luxe symphonique.

  Mark Dacascos dans Solar Attack

 

Qu’à cela ne tienne, Cirino, sourd aux réticences ironiques des mélomanes de peu de foi, n’a eu de cesse de marteler que l’hypothèse de ses scores passant avec succès à la moulinette orchestrale n’avait rien d’incongru. Et force est d’admettre que le bougre, parfois, n’est pas loin d’instiller le doute, livrant ainsi, entre deux rots électroniques d’A.I. Assault, un Killbot introduit par un joli succédané de piano et un Jungle Bungle dont on s’aperçoit, médusé, qu’il s’essaie à reproduire les gammes frénétiques du First Blood de Jerry Goldsmith ! Les festivités continuent de plus belle avec Komodo Vs. Cobra, saturé de pseudo-riffs de guitare et des glissandi d’une harpe de fortune. L’on dirait bien, ici, que l’alter ego synthétique d’un xylophone s’est coulé dans le déchaînement percussif de Cobra vs. Cameraman, tandis que la mélodie dramatique de The Decision, assez charmante au demeurant, semble avoir été dessinée par un hautbois de substitution. Il y a quelque chose de naïf et touchant, pour ne pas dire héroïque, dans l’entêtement de Cirino à voir les choses plus grandes qu’elles ne sauraient l’être, comme si les limites étroites de ses instruments archaïques n’avaient jamais pesé lourdement dans la balance. De là à voir en lui un artiste maudit, brimé dans ses élans créatifs mais fougueux et anarchiste dans son propos, il y a un pas que ses carences rédhibitoires en matière de rythme, d’efficacité et de cohésion narrative nous suggéreraient plutôt de ne pas franchir. Car tel est l’univers merveilleux et outrageusement peinturluré de Chuck Cirino, un monde où les velléité thématiques se diluent trop rapidement dans des formules prémâchées, où les textures musicales un tant soit peu fouillées ne tardent guère à se décomposer et où les tympans de l’auditeur normalement constitué s’abîment dans un gouffre d’embarras.

 

Peut-être l’Enfer et ses fosses emplies de magma bouillonnant attendent-ils le compositeur, en juste châtiment pour toutes ces années où il se sera amusé à faire subir au bon goût les pires outrages. Mais à sa façon quelque peu perverse, il aura également prouvé la sidérante richesse de son médium de prédilection, qui s’est toujours dérobé aux catégorisations trop commodes en creusant des sillons secrets, alternatives tantôt roboratives, tantôt consternantes aux canons musicaux érigés en dogmes inviolables. S’aventurer loin des sentiers si souvent battus peut représenter pour l’amateur assoiffé de nouvelles expériences un voyage merveilleux… ou bien le précipiter sans ménagement de Charybde en Scylla ! Aussi, ayons une pensée charitable pour les malheureux qui, en quête d’un antidote aux trop grasses démonstrations de force du tout-puissant Hans Zimmer et de son gang, se sont retrouvé nez à nez avec le redoutable Chuck Cirino, occupé, comme de coutume, à tirer des vagissements à glacer les sangs de son éternel outil de travail pour habiller les crêpages de chignon de nymphettes en tenue d’Eve et les exploits virils de baroudeurs truffant de plomb des dinosaures en simili-numérique.

 

A.I. Assault

Benjamin Josse
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