Patton (Jerry Goldsmith)

L'Art de la Guerre

Disques • Publié le 22/12/2010 par

PattonPATTON (1970)
PATTON
Compositeur :
Jerry Goldsmith
Durée : 77:45 | 32 pistes
Éditeur : Intrada

 

5 out of 5 stars

Patton est un peu l’anti-Total Recall de Jerry Goldsmith. Cette partition nous ramène au tournant des années 60/70 qui constituent dans la carrière du compositeur américain ce qu’on peut considérer comme le début de la «période classique», celle où les composantes essentielles de son style s’épanouissent naturellement d’un film à l’autre, où inventions rythmiques et imagination orchestrale fusent et foisonnent dans une musique à la fois dense et sans fioriture, d’une éloquence toute personnelle. Et si on tient là sans conteste un des chefs d’œuvre du compositeur, c’est un chef d’œuvre discret si on le compare au génie plus «décoratif» de Planet Of The Apes (La Planète des Singes), Papillon ou Star Trek. Rarement pourtant Goldsmith aura été si personnel et si inspiré. Comme il savait si bien le faire à cette époque, il se glisse ici dans le film avec un sens dramatique impeccable, avec une musique particulièrement économe (environ 35 minutes réparties sur près de trois heures de film), qui ponctue plus qu’elle n’accompagne.

 

Il est d’ailleurs intéressant de noter que la musique de Patton ne ressemble guère à ce que Goldsmith composait à cette époque. Les traits les plus marquants du compositeur, sa virtuosité instrumentale, son énergie explosive et ce sentiment d’excitation si propre à sa musique brillent ici par leur absence. Rien d’expérimental ni d’avant-gardiste non plus dans Patton, alors que le compositeur était dans sa période la plus moderne en termes d’écriture (Patton est encadré par des partitions comme Planet Of The Apes, The Illustrated Man (L’Homme Tatoué) ou The Brotherhood Of The Bell…). Pourtant, sur un sujet mêlant profondeur psychologique et action à grand échelle, porté par les conditions idéales de sa collaboration avec Franklin J. Schaffner, Goldsmith nous donne ici le meilleur.

 

Les deux disques de cette nouvelle parution Intrada présentent respectivement la musique telle qu’elle a été enregistrée pour le film et telle qu’elle a été réarrangée et réenregistrée à Londres peu de temps après par Goldsmith pour l’album sorti en 1970. Les différences concernent à la fois l’orchestration et la structure de certaines pièces, les deux versions comportent chacune des pièces absentes sur l’autre, les rendant ainsi complémentaires. La direction d’orchestre et la prise de son présentent également quelques différences notables. Pour simplifier, on analysera ici la partition en elle-même sans références comparées à l’un ou l’autre des enregistrements.

 

George C. Scott est Patton

 

Introspective, intimiste, à l’exception de deux ou trois pièces plus amples et dynamique, la partition est un exemple rare de musique presque entièrement psychologique. Le plus souvent en effet, elle se fait l’écho de la vie spirituelle du héros, de ses croyances (notamment à la réincarnation), de sa fascination pour les grands généraux de l’histoire, de ses moments de doute ou d’exultation, plus qu’elle ne décrit ou n’accompagne les évènements extérieurs.

 

Le Main Title présente les principaux éléments thématiques de la partition. Mais est-ce une marche ou un fantôme de marche (comme la Valse de Ravel est un fantôme de valse) ? Après un appel de la trompette solo en triolet (motif A), traité en echoplex, une introduction fait entendre dans une atmosphère religieuse un choral d’orgue, à la mélodie sciemment banale. Puis le piccolo, dont le timbre est superbement utilisé, expose le thème principal, plein d’énergie et d’optimisme, avec une sorte de fraîcheur archaïque. Repris aux cors, ce thème s’éteint rapidement. Puis, au lieu du grand tutti que l’on attendrait, c’est le choral d’orgue du début qui revient et clôt la pièce. Goldsmith s’efforçait souvent de donner à chaque partition une signature sonore unique, qui pouvait provenir d’un effectif instrumental particulier ou de l’utilisation récurrente d’un effet sonore peu à peu intégré à la texture de la musique. Ici, c’est le fameux effet de triolet en echoplex qui apporte cette caractérisation et résume en une mesure la complexité du personnage de Patton, réunissant l’élément martial et la présence du passé.

 

The Battleground expose un nouveau motif aux cordes (motif B), dérivé du motif de triolet initial. Ponctué de cloches, c’est une sorte de sonnerie morne, évocation lointaine, mystérieuse de batailles anciennes. La même atmosphère presque surnaturelle, fantomatique habite The Cemetery et The First Battle, également construits sur les motifs A et B. Au lieu d’emplir chaque mesure d’un maximum de musique, Goldsmith choisit ici de laisser résonner les accords, de laisser sonner les phrases sans tension rythmique, suggérant de vastes espaces vides et les échos du passé. The Funeral est encore similaire dans son ambiance. Le motif B est exposé aux bois, linéaire, dépouillé à l’extrême, comme accablé par un sentiment intime de perte et de deuil en contrepoint d’un nouveau thème, un lamento plaintif aux cordes.

 

 

Patton March est (enfin !) une «vraie» marche en crescendo où le thème est amplifié progressivement avec la science de l’étagement orchestral dont Goldsmith faisait preuve. Le choral d’orgue initial est exposé en contrepoint du thème principal par les violons, ajoutant sa ferveur à l’élan guerrier. On appréciera au passage la superbe cadence des cordes dans un style «improvisé» qui mène à l’ultime reprise du thème par les cuivres. Puis les choses s’animent avec The Attack, superbe série de variations orchestrales sur le thème principal, entrecoupées d’épisodes plus tendus et progressivement menaçants, où Goldsmith utilise presque exclusivement une cellule rythmique tirée d’une des phrases du thème principal, un procédé cher au compositeur.

 

German Advance fait entendre un nouveau thème, la marche allemande associée à la pénible avancée des soldats dans les Ardennes enneigées. Annoncé aux bois, ce thème sombre et douloureux est ensuite étiré, déformé dans un environnement violemment dissonant, pour ce qui constitue l’un des passages les plus intenses de la partition. Winter March, pièce arrangée spécialement pour le réenregistrement et donc absente du film, est une magnifique reprise de ce thème obsédant et une des plus belles créations mélodiques du compositeur.

 

Petite pièce pour cordes et flûte d’une délicatesse qui évoque Ravel, A Change Of Weather accompagne une très courte scène où Patton, dans la nuit, sous la neige, lit une prière dans l’espoir que le temp s’améliore. Le motif B y alterne avec des effets d’echoplex sur la flûte. Entendue sur le film, cette musique est une merveille de justesse et de sensibilité, donnant aux images une dimension poétique inattendue, peut-être l’un des meilleurs exemples du génie de Goldsmith en situation.

 

George C. Scott & Karl Malden

 

The Hospital introduit un climat différent : après une introduction où le motif B revient aux cordes et aux cuivres bouchés, un nouveau thème, large, serein, à la résonance hymnique, apparaît aux cordes. Cette longue phrase est aussi au centre de No Assignement, à l’atmosphère plus pesante, secrète, où cordes et bois s’entrelacent avec une grande subtilité. Ici encore, l’inspiration mélodique de Goldsmith est à son apogée. Loin des mélodies fabriquées auxquelles il s’est parfois laissé aller, ce thème se déploie naturellement sur le film et baigne les toutes dernières images (le End Title du réenregistrement) d’une atmosphère à la fois noble et grave.

 

Dans un registre inhabituel, on tient donc là sans aucun doute un des sommets de la discographie du musicien, une musique qui ne ressemble vraiment à aucune autre, même si l’on retrouve cette poésie intime, presque contemplative qui imprègnait The Big Tall Wish (de la série Twilight Zone), le prélude de The Agony And The Ecstasy (L’Extase et l’Agonie), des pièces comme Doc’s Message de Hour Of The Gun (Sept Secondes en Enfer) ou A Better Way de Bandolero

 

Tout au long de la partition (dans ses deux versions), l’orchestration est d’une sobre richesse, ciselée et transparente. L’écoute attentive révèle de nombreuses finesses d’instrumentation, familières de l’univers de Goldsmith : col legno au début du Main Title, effleurement de harpes ou de cordes, piano préparé dans The First Battle, résonance discrètes du vibraphone, petites percussions… Autant de détails que le réenregistrement londonien, plus analytique, met mieux en valeur que l’enregistrement original. Enfin, un bonus sera certainement apprécié des amateurs : la dernière plage du premier disque propose un large extrait (plus de cinq minutes) de la session d’enregistrement de la fanfare avec son effet d’echoplex. Un petit document riche d’enseignements sur la manière de travailler du compositeur avec ses musiciens.

 

Patton

Stephane Abdallah
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