The Little Shop Of Horrors (Fred Katz)

Tri sélectif chez Corman & Cie

Disques • Publié le 31/05/2010 par

The Little Shop Of HorrorsTHE LITTLE SHOP OF HORRORS (1960)
LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS
Compositeur :
Fred Katz
Durée : 33:54 | 16 pistes
Éditeur : Kritzerland Records

 

4.5 out of 5 stars

Singulier parcours que celui de Fred Katz : musicien de formation classique (il a été l’élève du grand Pablo Casals) devenu pianiste et violoncelliste de jazz, membre du Chico Hamilton Quintet au milieu des années 50, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, il finira par accepter un poste de professeur en anthropologie spécialisé en musique ethnique à l’Université de Californie de Fullerton, place qu’il occupera jusqu’à sa retraite au début des années 90. Dans l’œuvre de cet homme qui n‘a depuis jamais cessé de composer et qui a fêté le 25 février dernier ses 91 ans, le cinéma n’est au fond qu’une appogiature. Si on croise bien son nom aux côtés de ceux de Harpo Marx (en tant qu’accompagnateur et conseiller et musical) ou de Sydney Poitier (pour un album où celui-ci s’adonne à la lecture de textes de… Platon !), ses premiers véritables contacts directs avec l’écran ont lieu devant la caméra et datent de ses apparitions dans un épisode de la série Johnny Staccato, puis en 1957 dans le film Sweet Smell Of Success (Le Grand Chantage), réalisé par Alexander Mackendrick, dont certaines séquences de jazz (en plus de la partition d’Elmer Bernstein) étaient assurées par l’ensemble mené par Chico Hamilton. Pour l’anecdote, lorsqu’en 1958, Katz réunit la fine fleur des jeunes musiciens de jazz de la côte ouest américaine pour l’enregistrement de l’album Folk Songs For Far Out Folk, figure parmi les élus un pianiste que le 7ème Art rendra célèbre de par le monde entier près de 20 ans plus tard, un certain Johnny T. Williams…

 

Amorcée cette même année, la carrière de Fred Katz en tant que compositeur au cinéma ne s’étend guère au-delà de 1961 et ne concerne pratiquement que des productions dirigées par un Roger Corman pas encore au faîte de sa gloire, dont A Bucket Of Blood (Un Baquet de Sang), The Wasp Woman (La Femme Guêpe) ou encore Creature From The Haunted Sea (La Créature de la Mer Hantée). Fred Katz n’éprouve de toute façon aucune inclination à oeuvrer pour le cinéma et, de son propre aveu, il déteste même tous les films qu’il a mis en musique ! Produits d’une rencontre qu’on imagine donc fortuite, ces partitions ne constituent à l’époque pour lui qu’une expérience de plus, un job parmi tant d’autres qu’il faut néanmoins accomplir du mieux possible…

 

The Little Shop Of Horrors

 

Ayant depuis sa sortie en 1960 accédé au statut enviable d’œuvre culte, The Little Shop Of Horrors (La Petite Boutique des Horreurs) est une comédie (gentiment) horrifique dont l’aspect artisanal peut aujourd’hui prêter à sourire, mais qui demeure toujours un moment de cinéma particulièrement réjouissant. Pour peu que la copie visionnée soit d’une qualité acceptable tant d’un point de vue de l’image que du son (n’ayant bénéficié d’aucun copyright, le film est en effet disponible à l’envi chez nombre d’éditeurs vidéo où il connaît des fortunes diverses), il n’est du reste pas difficile de mesurer combien la musique de Fred Katz ne fait que renforcer cet enthousiasme dont on constate avec bonheur qu’il se prolonge de la manière la plus agréable lors d’une écoute isolée sur disque. Si le choix d’un accompagnement d’orchestre de jazz (vents et percussions) faisant la part belle à de nombreux jeux solistes (trompette, flûte, clarinette, saxophone et xylophone en particulier) ne renvoie à l’évidence à aucun élément intrinsèque (nul contenu social, personnage ou lieu qui justifie pleinement son emploi), il ne fait aucun doute par contre qu’il apporte à chacun des ressorts de cette histoire une couleur musicale remarquable, et au montage une énergie presque salvatrice. Au-delà d’une vision d’ensemble qui apparaîtra presque inévitablement discontinue, pour ne pas dire foutraque, la musique de Little Shop Of Horrors est en effet, à chacune de ses interventions, appelée avant tout à suppléer le peu de moyens engagé à l’écran.

 

La tentation est donc grande de saluer sans retenue le talent de Fred Katz pour avoir su prendre à sa charge chaque besoin ponctuel de l’image tel qu’ils venaient, un à un, scène après scène. C’est tout naturellement, par exemple, qu’on lui attribuerait le mérite d’avoir doté sa musique de ce brin d’ironie malicieuse qui, grâce notamment à la sonorité sèche du xylophone, rehausse en permanence le burlesque macabre de certaines situations. De la même façon, on lui saurait gré d’avoir appuyé avec sérieux mais par petites touches la tension de scènes censément horrifiques (les timbales qui se mettent à résonner lorsque la plante est nourrie). Plus loin, on se devrait sans doute de le féliciter pour un bref et hilarant duel au scalpel traité comme un élan de cape et d’épée ou pour cette poursuite finale anémiée qui prend, sous l’action de sa musique, des allures de grand film noir hollywoodien…

 

The Little Shop Of Horrors

 

Mais pourquoi diable cet emploi agaçant du conditionnel direz-vous ? Tout simplement parce qu’il semble bien que Fred Katz ne soit pas pour grand-chose à tout cela ou en tout cas, pour l’exprimer de manière moins péjorative, pas directement ! Ainsi, voici ce qu’il confie à Randall D. Larson dans une interview pour CinemaScore datée de 1983 : « The Little Shop Of Horrors a été élaboré à partir de bandes sonores que j’avais écrites pour Corman et qui ont été assemblées par un monteur musique, si bien que même si mon nom figure au générique, je n’ai en réalité écrit aucune musique pour ce film en particulier. »

 

Bricolage maison donc pour la mise en musique de cette Petite Boutique des Horreurs ? La bande-son inclurait ainsi également quelques mesures de Ronald Stein qui, la même année, s’occupe de Last Woman On Earth (La Dernière Femme sur Terre) pour Corman. Quoi d’étonnant finalement de la part d’un réalisateur/producteur capable de boucler son film en moins de trois jours… Se pourrait-il d’ailleurs que Bruce Kimmel, producteur pour Kritzerland de l’excellente (et chaudement recommandée) édition CD à la prise de son magnifique, ait éludé le sujet d’une habile pirouette ? « La musique de Katz convient au film à la perfection » précise-t-il en fin de livret, « Je pourrais analyser chaque morceau pour vous, mais d’une façon ou d’une autre ça sonnerait faux. La musique de Fred Katz parle pour elle-même. ». De fait, on ne saurait mieux dire.

 

The Little Shop Of Horrors

Florent Groult
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