Coraline (Bruno Coulais)

Une question de mise en scène

Disques • Publié le 13/07/2009 par

CoralineCORALINE (2009)
CORALINE
Compositeur :
Bruno Coulais
Durée : 59:41 | 32 pistes
Éditeur : Koch Records

 

5 out of 5 stars

Hasard des opportunités sans doute, Bruno Coulais semble ces derniers temps avoir trouvé de nouvelles marques au sein des longs processus de production des films d’animation. Si L’Enfant qui voulait être un ours n’était en 2002 qu’un galop d’essai, ce sont en effet pas moins de trois projets de cette nature qui ont vu le jour en trois ans : après les très réussis Max & Co et The Secret Of Kells (Brendan et le secret de Kells), le Coraline réalisé par Henry Selick est donc le dernier en date sur nos écrans, et pas le moindre.

 

Une fois n’est pas coutume, attardons-nous d’abord sur ce qu’une écoute isolée et confortable du disque permet d’appréhender au mieux. Le style de Coulais, pour peu que qu’un argument et son traitement l’y encouragent, tend volontiers vers un fourmillement d’idées sonores en tout genre : de ce point de vue, cette partition est tout bonnement une petite merveille. Si une certaine vigueur orchestrale n’est à l’occasion pas exclue, ce sont avant tout des ambiances chambristes favorisant les ponctuations solistes (celles de la harpe, du piano, de la guitare basse, du xylophone, de l’harmonica de verre…), les sonorités électroniques (parfois rétro, toujours savoureuses) et les jeux de résonance d’innombrables percussions qui forment un vivier de sensations dont se régalera à coup sûr celui que l’alliance des couleurs instrumentales exalte un tant soit peu. Trait récurrent de l’œuvre du compositeur, se tient au centre de cette recherche sonore l’instrument universel, la voix humaine (en particulier ici quelques-unes des jeunes filles de l’ensemble Orféo Junior, avec lequel il avait déjà travaillé en 2007 à l’occasion de son opéra pour enfants Lucio, le Rêve de l’Âne d’Or) dont on peut se demander si elle n’est pas chez lui l’outil premier d’une plus grande et plus sûre proximité émotionnelle entre l’écran et le spectateur…

 

Coraline

 

Quoi qu’il en soit, la profusion des combinaisons instrumentales et vocales proposée ici est telle qu’il est proprement inutile de tenter d’en détailler la richesse, laquelle fait de chaque nouvelle écoute un plaisir ludique sans cesse renouvelé. Les mérites du disque s’arrêtent néanmoins là car ce foisonnement rafraîchissant s’accompagne également d’une disparité de styles entre les séquences musicales que seule l’expérience de la salle peut gommer en révélant une structure générale à la simplicité toute légitime. S’agissant d’un récit mettant en œuvre deux environnements parallèles, Coulais opère en effet, comme on peut s’y attendre, une dichotomie musicale. Si la démarche ainsi exposée paraît convenue, elle n’en recèle pas moins un véritable désir de mise en scène : le compositeur «positionne» en quelque sorte sa partition comme on placerait une caméra, imposant pour chaque séquence, selon qu’elle se situe dans l’un ou l’autre des mondes, un point de vue propre qui est également, très judicieusement, chaque fois l’inverse de celui mis en œuvre par le réalisateur.

 

Aussi, tandis qu’Henry Selick soigne ses effets réalistes dans une mise en scène relativement sage voire distante du quotidien de Coraline, Bruno Coulais fait le choix de se placer au plus près d’elle : c’est le regard de celle-ci, guidé par une imagination toute enfantine, qu’exprime alors une partition qui, en donnant l’impression de vagabonder, se détache presque entièrement de son support visuel. Coraline s’échappe en permanence de son ordinaire et se fait de petits films, à charge du compositeur de les mettre en musique : une simple sortie dans les environs devient une course-poursuite périlleuse, la visite apparemment sans intérêt d’une maison se transforme en ballade intrigante, les rencontres a priori ennuyeuses avec les voisins se teintent de facéties oniriques et colorées (d’extravagantes sonorités métalliques pour le jeune Wybie, un court cha-cha-cha pour un sémillant duo d’actrices à la retraite, un dialogue de trombones et de saxophones pour l’excentrique Monsieur Bobinsky…). C’est ici également qu’intervient essentiellement la mélodie principale rattachée à la jeune fille, sorte de comptine imaginaire formée de syllabes choisies pour leur sonorité afin de former un simulacre de langage dont on imagine sans peine qu’il puisse avoir une signification pour elle, et elle seule. On comprend alors combien l’interprétation de la jeune Mathilde Pelligrini qui, entre espièglerie et fragilité prête sa voix chantée à Coraline, est essentielle et juste. Dans le monde réel, Coraline génère seule, elle-même en quelque sorte, sa propre musique.

 

Coraline

 

Ce postulat bascule dès lors qu’on entre dans l’Autre Monde, une réalité alternative : alors qu’Henri Selick y multiplie les procédés subjectifs et l’utilisation de la 3D, installant cette fois le spectateur aux côtés de Coraline, Coulais s’éloigne soudainement du personnage et laisse entendre un accompagnement beaucoup plus en phase avec l’environnement qui est visuellement proposé. Puisqu’il s’agit d’éblouir et d’émerveiller, aux performances fascinantes et hautes en couleur de la stop motion, le compositeur appose une musique formée d’une multitude de sonorités iconoclastes qui n’est pas sans verser au besoin dans une réjouissante exubérance surréaliste (la fantaisie jazzy du jardin fantastique). Plusieurs numéros musicaux in situ s’en chargent également : l’étonnante fanfare miniature du cirque de souris, une folle séquence d’opéra bouffe (menée par Selick et citant d’ailleurs Offenbach) ainsi qu’une très courte chanson écrite et interprétée par le groupe TMBG (They Might Be Giants), seule survivante de la dizaine prévue à l’origine et qui rappelle que le projet a peut-être dans un premier temps été envisagé comme une comédie musicale. Dans cette réalité alternative, la musique semble venir de nulle part et de partout à la fois : chaque détail, chaque couleur, tout semble prétexte à un épanchement de musique qui parfois semble même naître du néant et flotter dans l’air telle une essence magique. Mais comme on le découvre rapidement, elle n’est ici au fond qu’esbroufe destinée avant tout à étouffer toute velléité d’indépendance de Coraline : ses fantasmes prenant vie devant ses yeux, son imagination n’étant dans ces conditions plus d’aucune utilité, sa personnalité musicale s’en retrouve de fait effacée, sa mélodie n’apparaissant d’ailleurs presque pas. Dans ce monde alternatif qui semble combler ses désirs, Coraline subit une musique qui n’est alors jamais la sienne.

 

C’est donc de ce petit jeu de va-et-vient que Coulais va le plus clair du temps construire une audacieuse mise en scène musicale aux aspects certes hétéroclites mais néanmoins parfaitement maîtrisés. Par la suite, le rêve tournant au cauchemar, sans doute la partition se fait-elle alors plus conforme aux recettes traditionnelles de l’épouvante : sonorités grinçantes, lignes déformées, échos fantomatiques, cuivres pesants dans un orchestre crépusculaire… La musique s’impose alors, plus que jamais, comme une émanation maléfique de cet Autre Monde et devient à chaque note plus oppressante et menaçante jusqu’à un crescendo haletant suivi d’un dénouement où Coraline finira par retrouver, de manière tout à fait logique, son intégrité musicale.

 

Coraline

 

Il ne reste finalement au compositeur qu’à dérouler un générique savoureux où il s’adonne, tel un Danny Elfman, à une fantaisie chorale à l’esprit d’abord très «trick or treat », puis à l’onirisme charmant, qui conclut en beauté une partition en tout point épatante et passionnante. Et quitte à évoquer d’éventuelles concordances de styles, ce n’est peut-être pas tant l’empreinte du comparse de Tim Burton qui transparaît le plus dans cette partition que celle de Thomas Newman avec lequel le compositeur français semble partager le même goût pour l’expérimentation sonore (même si le compositeur de Wall-E est encore loin pour sa part d’avoir fait montre d’un degré de détachement par rapport à l’image semblable à celui que Coulais expose ici).

 

Il est tentant, et certains ne s’en sont pas privés, de faire de la musique de Coraline le chef-d’œuvre de son auteur à ce jour. Nul doute qu’un tel compliment ira droit au cœur du principal intéressé, mais n’est-ce pas là également user d’un raccourci bien rapide et réduire à sa plus simple expression la carrière d’un compositeur qui depuis des années s’emploie justement, à chaque nouvelle partition, à offrir avec un talent immense un regard original et singulier aux projets sur lesquels il travaille ? Henri Selick ne s’y est pas trompé, qui avant de faire son choix a testé sur ses images les musiques déjà lointaines (respectivement 1996 et 2001) de Microcosmos et du Peuple Migrateur. Si Coraline aujourd’hui est bel et bien, n’en doutons pas, la perle de la filmographie du compositeur, on le doit tout autant au talent et à l’intelligence de celui-ci qu’à l’inestimable discernement d’un réalisateur génial qui aura su, sans doute mieux que les autres avant lui, comprendre ce qu’une musique signée Bruno Coulais recelait de précieux pour son projet…

 

Coraline 

Florent Groult
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