Les 400 Coups (Jean Constantin)

La dernière vague

Décryptages Express • Publié le 20/11/2017 par

LES 400 COUPS (1959)Le Monde Musical de François Truffaut
Réalisateur : François Truffaut
Compositeur : Jean Constantin
Séquence décryptée : Trinité et Final (1:36:29 – 1:40:01)
Éditeur : Universal Music France

 

La nouvelle vague a commencé sur une plage. C’est presque une plaisanterie de potache, une blague d’écolier, et c’en est justement un qui nous amène face à la mer. Antoine Doinel, qui au terme d’une longue course captée par un des plus beaux plans-séquence de l’histoire, découvre enfin un horizon à la mesure de sa soif de liberté, en débouchant sur une plage balayée de flots plats, sous un ciel infini. Une échappatoire ambiguë : évasion dérisoire de son centre de redressement, sa fuite n’aura mené Antoine qu’à quelques centaines de mètres de sa prison, pour se retrouver devant un espace aussi ouvert qu’infranchissable. Une promesse de liberté qui ne permet que le demi-tour. Cruelle ironie ? Pas seulement. La course du garçon sauvage n’est que suspendue. Il a trouvé son paysage intérieur : ce besoin de fuir, c’est sa vérité. Dérisoire et grave, deux tonalités soulignées par la musique de Jean Constantin.

 

« Pour Les 400 coups, j’ai commis la sottise de faire appel à un compositeur de chansons (…) Tout le monde a dit : « Ah ! La musique des 400 Coups est merveilleuse », alors que tous les gens qui s’y connaissent un peu, et surtout les musiciens, étaient indignés, et ils avaient absolument raison. Quand je revois le film, j’entends toutes les fausses notes, tous les contresens. C’est une musique désinvolte et bâclée, qui souvent abîme l’image. » Si Truffaut est si sévère, c’est qu’il avait la plus haute idée de la musique de film, reconnaissant même ne connaître la musique que par le cinéma. Au point de préférer les cinéastes, minoritaires, qui se passent totalement d’accompagnement musical à ceux, nombreux, qui le réduisent à une simple illustration. Rares, les interventions musicales dans films de Truffaut sont d’autant plus précieuses. Celle du final des 400 Coups se fait attendre. C’est d’abord une scansion qui rythme la scène. Elle n’est pas musicale, mais sonore : le bruit produit par la foulée régulière d’Antoine, qui court. Déterminée, régulière, elle est la musique de sa volonté de s’échapper et de l’inflexibilité de son désir de fuite. Mais Truffaut est un ancien critique, et son cinéma est conscient de lui-même. Déjà, Jean-Pierre Léaud, qui interprète Antoine Doinel, a adressé plusieurs regard à la caméra. La course d’Antoine se prolonge tant qu’une attente de musique se crée. Nous sentons que la fin du film approche, et que la scène va en constituer l’apothéose. L’absence de musique paraît presque anormale, et Truffaut joue de la durée de ce silence pour créer une tension, tout comme il use de la durée de ses plans. Malgré la volonté affichée de rompre avec les traditions du cinéma de studio, le jeune cinéaste affiche presque sa conscience des artifices par lesquels il manipule le spectateur.

 

Les 400 Coups

 

Lorsque la musique résonne enfin, elle est d’abord conventionnelle. Annoncée par un piano, c’est une montée de violons, très lyrique, pour souligner le grandiose d’un moment anodin mais essentiel pour Antoine : la grandeur d’un paysage soudain découvert, inconnu sans doute au petit parisien que nous n’avons vu jusque-là qu’à l’étroit, entre les murs de son école ou les rues de son quartier. La musique aussi, tout à coup, s’envole. Mais l’élan se dilue vite, pour se dissoudre comme l’écume des vagues en quelques notes piquées sur les violons, sans écho, bégaiement essoufflé de la mélodie principale. A peine échappé, mais déjà conscient d’être surtout prisonnier de lui-même, Antoine Doinel ?

 

Truffaut a toujours préféré la lucidité au sentimentalisme. La noirceur des passions, les contradictions des aspirations humaines ne lui ont jamais été étrangères, ce sont même elles qui donnent toute leur valeur au bonheur fugace auquel nos pas nous mènent parfois, comme ceux d’Antoine. Sur une plage où nous ne pouvons finalement que regarder des horizons aussi attirants qu’inaccessibles. Jean Constantin, avec ses moyens simples, n’en dresse néanmoins pas moins justement le programme du cinéma de Truffaut, tout entier annoncé par cette conclusion de son premier film. Le doute, soudain, quand à la possibilité de trouver le bonheur qu’on espérait alors qu’il est à portée de main, une lucidité terrible laissant entrevoir que l’insatisfaction est peut-être le ver depuis toujours dans le fruit de nos attentes. L’angoisse profonde au cœur de nos consciences, ce « à quoi bon ?», idéalement traduit en une envolée lyrique et sincère s’achevant par une reprise essoufflée, claquant sur les touches des violons comme les pas d’un garçon titubant.

 

Pierre Braillon
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