The Aventures Of Robin Hood (Erich Wolfgang Korngold)

La rose et la flèche

Décryptages Express • Publié le 14/08/2017 par

THE ADVENTURES OF ROBIN HOOD (1938)The Adventures Of Robin Hood
Réalisateurs : Michael Curtiz & William Keighley
Compositeur : Erich Wolfgang Korngold
Séquence décryptée : Ambush In Sherwood (0:32:03 – 0:36:23)
Éditeur : Varèse Sarabande / Naxos

 

Le réel, plus on le fuit, plus on le retrouve. Erich Wolfgang Korngold croit-il, lorsqu’il accepte, après l’avoir dans un premier temps refusée, la mise en musique des Adventures Of Robin Hood, trouver une échappatoire colorée et grisante lui faisant oublier le poids de la botte noire qui écrase son Autriche natale ? « Robin des Bois m’a sauvé la vie » (1), dira-t-il plus tard. Littéralement, puisque c’est l’embauche de la Warner qui permet aux derniers membres de la famille du compositeur d’échapper au pouvoir nazi en le rejoignant aux Etats-Unis. Mais ce Robin des Bois en sauveur providentiel, c’est aussi l’image de cette Amérique commençant à dissiper les brumes de la grande dépression, armée d’une foi en ses ressources et d’un sens inébranlable de la justice qui justifiera, quelque années plus tard, l’envoi de boys galvanisés sur les plages de Normandie, assoiffés d’en découdre avec le grand méchant loup hitlérien.

 

Le langage des symboles a toujours séduit Korngold. Il a tiré son grand œuvre, l’opéra Die Tote Stadt, de Bruges la morte, du roman symboliste de Georges Rodenbac. Le romantisme musical de Korngold lui sera d’ailleurs essentiel au cinéma, qu’il approchera comme l’art lyrique, faisant reposer ses compositions sur une ossature de leitmotivs. Ces thèmes musicaux associés aux personnages, aux lieux ou aux émotions sont peut-être pour le compositeur la traduction musicale du manifeste symboliste : vêtir l’idée d’une forme sensible.

 

Et quelle image sonore donner de cet héroïsme juvénile, moqueur et fraternel qui lie Robin à ses compagnons ? Korngold a fanfaronné sa réponse dès le générique d’ouverture. Mais c’est lors de la scène de l’embuscade sur le convoi ramenant le fruit de la brutale collecte de taxes ordonnée par Jean-sans-terre que Korngold va donner toute la mesure de son art. C’est peut-être parce que la scène est archétypale que la musique le deviendra. En tous cas, elle résume idéalement ce canevas indissociable de l’Âge d’Or hollywoodien, mélange d’approche mélodique et thématique, servie par une écriture symphonique reposant d’abord sur une maîtrise virtuose de l’orchestration. Ainsi du thème associé à Robin, repris du générique, ouvrant la scène, et ici joué en sourdine, rythmique assurée par les cordes, et sans cuivres : le héros n’est pas là, mais c’est bien son esprit et sa malice qui inspirent ses hommes. Chacun est d’ailleurs vêtu comme lui, et la masse grouillante de Robins sur les branches évoquent une fourmilière en ébullition. Le réalisateur prend bien soin de ne pas isoler d’individu, et de conserver une valeur de plan mettant plutôt l’accent sur le groupe.

 

Errol Flynn dans The Adventures Of Robin Hood

 

Judicieusement, Korngold donne à sa musique un rythme de procession, soulignant aussi bien l’analogie avec le groupe d’insectes à l’œuvre que le progrès presque mécanique du travail bien planifié. Annoncée par un plan de coupe sur deux sentinelles, une autre procession s’avance, provoque l’irruption d’un violon reptilien. Korngold joue à plein de l’association d’émotions à des formules mélodiques. Si les compagnons de Sherwood bénéficiaient d’une mélodie franche et entraînante, celle qui annonce l’arrivée d’une colonne de cavaliers encore anonymes provoque immédiatement la méfiance. A raison : il s’agit de la troupe de Gisbourne, redoutable partisan du Prince Jean et ennemi juré de Robin. La musique des préparatifs reprend brièvement, mais elle est chargée d’une tension jusque-là absente, transmise par des violons poussés en avant. C’est que ce sont les victimes ignorantes du traquenard qui s’avancent. Une tension de brève durée : à la faveur d’un plan sur Marianne, la musique se radoucit, nous confirmant que si elle appartient au mauvais camp, la maid n’en partage ni les valeurs ni les ambitions régicides. Aux plans alternant la progression de l’armée du félon avec le guet des rebelles de Sherwood, le compositeur fait correspondre développements rapides mais joyeux, attaqués nerveusement du thème de Robin et notes allongées assourdies, créant un suspense musical imparable, culminant par un crescendo dont le point d’orgue lance l’attaque et la mêlée des deux bandes.

 

Korngold structurait sa musique au piano, face aux bobines montées. C’est ce repérage pointilleux et synchrone qu’il rapportait à son bureau, et à partir duquel il orchestrait. Cette précision maniaque éclate dans la scène de bagarre qui s’ensuit. Violons dégringolant avec les hommes se laissant tomber des branches, rafales de tambours ponctuant la pluie de coups et enfin brassée de cuivres faisant triompher le thème de Robin, couronné par son rire, comme une réponse insolente au cri de Tarzan : Locksley le laisse éclater juste avant de se balancer, au bout d’une liane, au-devant de son adversaire.

 

Mais ces rodomontades de sale gosse sont indissociables de l’acteur qui s’y adonne, Errol Flynn, et de cette figure typique du western transposée ici : le pugiliste enthousiaste et inflexible, toujours prêt à rendre la monnaie de leur pièce, avec un bon mot, ou un bon crochet, aux patibulaires locaux. Des corrections administrées avec entrain, sans avoir besoin d’autres justifications que l’assurance de son bon droit, et la complicité du spectateur. Korngold l’a bien compris, qui accompagne la mêlée d’une musique sans ombre, joyeuse fanfare qui donne à cette guérilla forestière des airs de guerre des boutons. Une spontanéité feinte cachant élégamment les doutes du compositeur, persuadé qu’il sera incapable de trousser une musique d’action adéquate. On l’aura compris, c’est surtout la noirceur et l’incertitude de l’avenir pour sa famille restée en Europe qui décide Korngold. Les collants, les improbables perruques et les épées de fer blanc peintes aux couleurs flamboyantes du Technicolor trichrome ne sont qu’un vernis kitsch et faussement dépaysant. La rage de Korngold, qui s’exprime dans la virtuosité de la musique, la joie inentamable des mélodies, comme un refus de tout apitoiement, sont un bien réel avertissement : « T’vas voir ta gueule à la récré, Adolf ! »

 

(1) « Welcome To Sherwood : The Story Of The Adventures Of Robin Hood » – Jeff Kurti (2003)

 

Pierre Braillon
Les derniers articles par Pierre Braillon (tout voir)