L’Aldilà (Fabio Frizzi)

Cadavres exquis

Décryptages Express • Publié le 13/02/2017 par

… E TU VIVRAI NEL TERRORE ! L’ALDILA (1981)L'Aldila
Réalisateur : Lucio Fulci
Compositeur : Fabio Frizzi
Séquence décryptée : Voci dal Nulla (1:23:30 – 1:26:00)
Éditeur : Beat Records

 

Dans l’inénarrable Le Notti del Terrore (Le Manoir de la Terreur), l’un des personnages, stupéfait, confronté à un revenant en piteux état, ânonne cette réplique particulièrement mémorable : « Mon Dieu, il est comme rongé par le temps ! » Un peu de bonne volonté, en cet instant, est sollicité toutes affaires cessantes de la part du spectateur, dont le premier réflexe, ô combien naturel, pourrait être de ricaner face au masque de bric et de broc dont on a affublé le figurant hagard. Pas besoin de fignoler la besogne, s’étaient probablement dit les responsables des effets spéciaux, quand l’illustre Tom Savini n’avait eu besoin que de barbouiller ses trépassés de cirage bleu dans Dawn Of The Dead (Zombie), le film par lequel tout commença. Mais cette putrescence pasteurisée, mollement étalée à l’écran, s’inspire moins du hit colossal de George Romero que de son épigone immédiat, Lucio Fulci. Le premier des pique-assiette, à considérer seulement avec quelle rapidité il colla aux basques du maître de Pittsburgh ; en réalité, le seul, parmi les petits stipendiés infestant les entrailles bis de Cinecittà, à avoir su créer de toutes pièces un univers résolument « autre », au pouvoir de séduction tel qu’il ne manqua pas d’enfanter ses propres émules affamés eux aussi de billets verts.

 

La carrière de Fulci, qui zigzaguait jusqu’alors entre comédies abattues au kilo et incursions parfois brillantes dans le western et le giallo, ne fut jamais plus la même. Celle de Fabio Frizzi non plus. Après la dissolution du très populaire trio qu’il formait auprès de ses confrères Franco Bixio et Vince Tempera, le compositeur, incertain quant à ce que lui réservait l’avenir, se trouvait à un tournant. Lequel, en le précipitant à nouveau dans les bras grands ouverts de son vieil ami Lucio, lui rapporta rien de moins qu’une gloire culte, l’une des toutes dernières engendrées par la musique de film transalpine. C’était bien le moins que pouvait attendre celui qui, nullement intimidé, ouvrit à maintes reprises les portes de l’enfer. L’Aldila, dernier volet de l’apocalyptique trilogie de Fulci, ne se satisfait d’ailleurs plus de laisser ses protagonistes terrifiés vaciller au bord du précipice, mais les livre corps et âme à ses abysses impies. Et Frizzi, ravi qu’on lui ait donné pour cette fois les moyens de ses ambitions, d’égayer d’instruments acoustiques choisis les palpitations électroniques des précédents épisodes.

 

Vision de l'au-delà

 

Pour mieux surenchérir dans le minimalisme sépulcral ayant marqué au fer rouge les tympans des fondus du bis italien et des fantasticophiles ? Avec trois fois rien, des battements syncopés, des incantations monocordes qu’on eût cru jaillies du fond de gorges décharnées plutôt que de synthétiseurs maison, le compositeur était parvenu à donner de l’autre monde un avant-goût nauséeux. Mais cette fois-ci, les visions infernales qu’échafaude Lucio Fulci lui donnent surtout matière à une étrange mélancolie. Force est d’admettre, aussi, que le séjour des morts tel que se le représente le cinéaste n’a pas grand rapport avec les fameuses diableries, outrancières et fertiles en gibbosités caricaturales peintes par Jérôme Bosch. Un décor vide, cerné de brume, des corps violacés qu’on a étendus tête-bêche : voilà tout ce dont a besoin le réalisateur pour matérialiser ses fantasmes morbide. C’est la fameuse « poésie de la barbaque » que le compositeur Fabio Frizzi, faisant fi des cuivres méphistophéliques qu’il semblait opportun de laisser éclater, lisère de quelques notes de piano d’une étonnante douceur.

 

Bientôt, ce sont une flûte identiquement délicate, puis le cor anglais murmurant tout bas, qui guident nos pas mal assurés dans cet ailleurs empli de chuchotements d’outre-tombe. L’atmosphère ainsi distillée, ce parfum d’onirisme que dégage l’utilisation cotonneuse du ralenti, ont quelque chose d’indéfinissable, hors des sphères de la raison et loin des cris d’hystérie dont résonne habituellement le film d’horreur. Les héros survivants, tandis qu’ils s’enfoncent aux confins des ombres sans plus aucune retraite possible, paraissent eux-mêmes davantage sous le coup d’une fascination résignée que des grand-guignolesques symptômes d’une victime de série B aux abois. La prophétie de sang accomplie, l’épouvante absolue bue jusqu’à la lie, l’enfer peut alors estourbir de ses chœurs maléfiques ses deux nouveaux prisonniers. Ceux-là, toute trace d’humanité chassée de leurs yeux par une soudaine cataracte laiteuse, n’ont plus qu’à errer, seuls, damnés, dans cette terra incognita d’où jamais ils ne s’échapperont. « Prenez garde ! » semblent nous dire Fulci et Frizzi d’une seule voix. Car voici notre lot à tous.

 

Benjamin Josse
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