Snow White And The Seven Dwarfs (Frank Churchill…)

Promenons-nous dans les bois...

Décryptages Express • Publié le 18/04/2016 par

SNOW WHITE AND THE SEVEN DWARFS (1937)Snow White And The Seven Dwarfs
Réalisateur : David Hand
Compositeurs : Frank Churchill, Leigh Harline & Paul J. Smith
Séquence décryptée : Far Into The Forest (0:07:45 – 0:10:52)
Éditeur : Walt Disney Records

 

Depuis toujours, l’expression mickey mousing est au cœur d’un malentendu. Étymologiquement parlant, elle tient Walt Disney pour seul responsable de plusieurs décennies de musiques atteintes d’hyperventilation, qui se mélangent les pinceaux à force de coller note après note à tout ce qui se déroule sur l’écran. Dans l’absolu, certes, ces assertions n’ont rien d’apocryphe. Et les cavalcades éperdues de Carl Stalling et Scott Bradley, compositeurs stakhanovistes pour le compte de Tex Avery ou Chuck Jones, et anciens transfuges eux-mêmes de l’empire aux grandes oreilles, doivent incontestablement tout à la bougeotte effrénée de Mickey, Donald et consorts. Reste qu’à toujours associer le nom de Disney, par un automatisme qui tient du réflexe pavlovien, à un courant musical tombé en disgrâce auprès du bon goût mélomane, on a fini par oublier les formidables ambitions qui animaient jadis le Souverain pontife du celluloïd.

 

Du mickey mousing, c’est entendu, son premier long métrage en offre à tire-larigot. Les grands bénéficiaires en sont, évidemment, les passages de comédie, délicieux échantillons burlesques à l’efficacité accrue par les trépidations rafraichissantes de l’orchestre. Mais les ténèbres qui, régulièrement, s’amoncellent au-dessus du film en une lourde chape, exigent de la part des trois compositeurs en faction bien autre chose que des gesticulations tout sourire. Dieu merci, ce triumvirat de magiciens était frais émoulu de dix ans de Silly Symphonies. Dans l’histoire de la musique pour l’image, ces fusions avant-gardistes de mélodies chatoyantes et de pastiches joviaux du répertoire classique constituent un jalon séminal… auquel la postérité, hélas, ne s’est intéressée qu’en dilettante. Snow White And The Seven Dwarfs représente l’aboutissement de ces expériences de laboratoire rien moins que fabuleuses.

 

Far Into The Forest

 

Des générations de petites têtes blondes ont été marquées au fer rouge par cet irréel basculement d’une quiétude pastorale, édénique même, à un décor de cauchemar. Amoureux sans doute de Blanche-Neige, comme le sont d’ailleurs tous les personnages masculins du récit, le chasseur n’a pu exécuter la sordide besogne que lui avait confiée la Reine. Mais le plan où la terrible lame de son poignard suspend son vol, en même temps que le roulement anxieux des percussions, est annonciateur d’un nouveau péril pour l’héroïne. Oubliées, les tendres nappes champêtres où gazouille la flûte ! Emporté comme un fétu de paille, le cor anglais, dont le timbre grave n’empêchait pas un phrasé naïf ! Dans les entrailles de la forêt, où le chasseur a supplié sa proie de fuir, rampent des ombres dont Blanche-Neige, créature de lumière, n’avait jamais soupçonné l’existence.

 

Les oreilles aguerries ne devraient pas manquer de noter que le mickey mousing ne s’est pas totalement éclipsé. Mais pour une brève onomatopée soulignant le plongeon de l’héroïne dans des eaux saumâtres, la musique déploie une puissance romantique qui la hisse très au-dessus des petites ritournelles « image par image ». Evocatrice et non servilement illustrative, elle donne vie par de brillants traits de cordes à des tourbillons (de feuilles mortes, d’ailes de chauve-souris, d’yeux maléfiques) au sein desquels Blanche-Neige se débat, horrifiée, pantelante. L’affolement qui l’a gagnée tout entière se propage jusqu’à la mise en scène elle-même, qui succombe aux longues ombres coupantes et aux cadres de guingois d’un expressionnisme allemand alors fort et vigoureux. Et c’est dans une scansion paroxystique que les cuivres donnent le coup de grâce à l’héroïne, la précipitant en pleurs contre le sol. Magie du cinéma et des contes où les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être, le soleil projette à nouveau ses rayons, révélant derrière les poches noires une faune tout à coup beaucoup moins épouvantable. Blanche-Neige, rassérénée, accordera toute sa confiance à ses nouveaux amis de la forêt… ainsi qu’à une pauvre vieille mendiante qu’elle verra passer plus tard, devant la maison des nains, n’ayant pour seul moyen de subsistance qu’un panier plein de séduisantes pommes rouges.

 

Benjamin Josse
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