RoboCop 2 (Leonard Rosenman)

Wild Side Story

Décryptages Express • Publié le 25/04/2016 par

ROBOCOP 2 (1990)RoboCop 2
Réalisateur : Irvin Kershner
Compositeur : Leonard Rosenman
Séquence décryptée : City Mayhem (0:03:08 – 0:04:48)
Éditeur : Varèse Sarabande

 

Au policier du futur fait de chair et de métal, Basil Poledouris avait décidé, finement, d’associer une composition mêlant imperceptiblement musique synthétique et symphonique. Musicien tout en empathie avec les films qu’il illustrait, le compositeur n’était pas de ceux qui pousse les stéréotypes jusqu’aux limites de la parodie et du cynisme musical. A l’image du film de Paul Verhoeven, dont la réussite inimitable provenait du ton adopté pour raconter le calvaire de son personnage, satirique et criard, mais aussi sincère et touchant. Un parcours émotionnel grandement facilité par Poledouris, qui nous ouvrait parfois une fenêtre sur le plus profond de l’âme de l’homme-robot. RoboCop 2 est de ces suites dont la principale qualité est de mettre en lumière celles de leur modèle, et de prouver à quel point, si Hollywood est l’usine à rêves, il lui faut admettre que la réussite d’un film tient aussi à un je-ne-sais-quoi qu’on appelle inspiration, et qu’on n’en trouve, n’en déplaise aux nababs de Californie, ni sur commande, ni à grand coup de billets verts.

 

A l’image d’Irvin Kershner, le réalisateur choisi pour le film, Leonard Rosenman est un solide technicien, capable de se plier aux exigences de différents genres et, surtout, ayant déjà eu l’occasion de reprendre les codes musicaux d’univers de science-fiction profondément marqués par d’illustres prédécesseurs, James Horner et Jerry Goldsmith, pour Star Trek IV: The Voyage Home (Star Trek IV : Retour sur Terre) , Beneath The Planet Of The Apes (Le Secret de la Planète des Singes) et Battle For The Planet Of The Apes (La Bataille de la Planète des Singes). Mais pour Kershner, c’est peut-être la commande de trop, et le cahier des charges est rempli de façon si mécanique qu’il retourne toutes ses affinités supposées avec le premier film en contresens. La musique de Rosenman nous le prouve de façon on ne peut plus limpide. Ouvrant le disque, mais pas le film, le nouveau thème de RoboCop annonce la couleur. Superbe, on y entend une virile percussion résonner comme un marteau sur une enclume. Sauf qu’accompagnée d’une bonne vieille batterie et de salves de trompettes enjouées, le heavy metal du flic d’acier devient groovy. Les chœurs féminins entonnant « Robocooooooop » achèvent de nous convaincre qu’on est en fait dans le registre de la parodie, allant jusqu’à ridiculiser son personnage principal.

 

RoboCop 2

 

Hormis un accompagnement intra-diégétique fonctionnel, la première composition du film accompagne une scène montrant à travers quelques vignettes violentes la déchéance dans laquelle est tombée la ville de Detroit. Là où on pourrait s’attendre à un montage, figure fort employée lorsqu’il s’agit de résumer les interventions d’un super-héros, Kershner préfère recourir à une scène avec unité de lieu et de temps. Un procédé assez théâtral, puisqu’il faut concentrer dans l’espace des évènements qui, naturellement, seraient éloignés les uns des autres. Un choix à l’esprit très comic book, mais rappelant aussi, tout simplement, la comédie musicale américaine, et ses grandes scènes soigneusement chorégraphiées. C’est justement cette filiation que souligne Rosenman. Démarrant la scène avec des vents, assez bas, le compositeur laisse la musique batailler avec les effets sonores. Les phrases sont inachevées, sans cesse interrompues par les évènements à l’image : passage de moteur, d’une voiture, monceau de cannettes heurtant le sol… En fait, il s’agit, astucieusement, de nous rappeler que, pour chorégraphiée que soit l’action, nous sommes bien au cinéma, et pas au théâtre, et que donc le réel peut influencer l’œuvre. Puis le décor change subtilement : les murs sont repeints de dessins macabres, aux couleurs très vives, jaunes, oranges, verts. La caméra introduit maintenant des contre-plongées : on passe de la rue à la scène. La musique se met à l’unisson de deux prostituées qui viennent tenir lieu de danseuses. Kershner cadre d’ailleurs leurs pieds… qui esquissent un pas de danse quelque peu brutal sur un voleur bientôt volé. La musique bascule dans le registre du ballet cinématographique jazzy. Trompettes, clarinette solo, pulsation de cymbale… Un voyou à l’arrière-plan du traveling latéral se dandine en rythme, comme pour appuyer encore l’effet. RoboCop 2 n’est pas un film très fin.

 

Le seul moment un peu inattendu du film, c’est cette poignée de secondes essentielles. Rosenman, lucide, admet ce qu’est RoboCop 2 : à la violence douloureuse de Verhoeven (le martyr de Murphy n’était pas appuyé par une musique) a succédé une violence spectaculaire, au sens premier. C’est bien à ces faux affrontements qui sont en fait de vrais ballets, comme ceux de West Side Story, que nous renvoie Kershner. Une façon de botter en touche, là où Verhoeven et Poledouris se donnaient corps et âme. L’esquive de Rosenman a elle, au moins, l’élégance d’un pas de danse.

 

Pierre Braillon
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