The Bride Of Frankenstein (Franz Waxman)

Noces funèbres

Décryptages Express • Publié le 28/03/2016 par

THE BRIDE OF FRANKENSTEIN (1935)The Bride Of Frankenstein
Réalisateur : James Whale
Compositeur : Franz Waxman
Séquence décryptée : The Creation (1:06:55 – 1:10:14)
Éditeur : Silva Screen

 

Revenir à la vie. Sacre ou sacrilège, pour celui qui se découvre un tel pouvoir ? Le cinéma a très vite donné corps aux morts-vivants, et certains en sont même devenus les icônes les plus impérissables et… sacrées. Magnifique ironie, pour ces créatures souvent nées sous le sceau de la malédiction. Car, dans la grande majorité de ces films, ressusciter, c’est renaître rejeté et haï par une humanité à laquelle celui qui est revenu des morts a pourtant appartenu. Si ceux qui redonnent la vie deviennent des dieux, ils ne donnent naissance qu’à des monstres, « a world of gods and monsters » selon les mots du docteur Pretorius dans The Bride Of Frankenstein, de James Whale. La musique de film symphonique est alors encore sous l’influence d’un romantisme musical hérité de l’époque qui a vu naître le roman adapté par Whale. Pourtant, la plus célèbre scène de résurrection du cinéma fantastique s’est déroulée sans tambour ni trompettes. Dans Frankenstein, réalisé par James Whale en 1931, la créature revient à la vie aux seuls sons d’un terrible orage et des bourdonnements électriques du laboratoire du docteur. Quand le cinéaste s’attelle tardivement à la suite de son classique, quatre ans plus tard, il a changé de perspective. Tout y est plus baroque et cette fois, la musique est une des dynamiques essentielles de la narration. Le film est donc confié à un des compositeurs les plus solides de l’époque, véritable stakhanoviste de l’illustration musicale tous azimuts : Franz Waxman.

 

Malgré les années ayant éloigné le précédent film du souvenir des spectateurs, le cinéaste décide d’en raconter une suite directe, inspirée par certains des évènements du roman laissés de côté dans la première adaptation. La mémoire rafraichie par un prologue résumant l’épisode précédent, les spectateurs vont cette fois voir la créature aussitôt associée à un motif musical menaçant, trois notes de trompette répétées, écho de la frustre âme du personnage. Elles seront la voix du monstre lors du morceau de bravoure final, la résurrection de la Fiancée. Longue d’une dizaine de minutes, la séquence est entièrement mise en musique, démarrant grâce à un prétexte intra-diégétique, le battement d’un coeur, dans un bocal, doublé par celui d’un tambour. Sur des rythmes plus ou moins rapides, l’instrument va nous accompagner jusqu’à la fin du film. Figurant le pouls de la fiancée, la pulsation s’enrichit de cordes répétant un courte phrase, en trois notes, comme celle de la créature, mais plus modulées, accompagnant crescendo la montée du corps de sa promise. Entendue par ailleurs dans le film, souvent en présence d’un personnage féminin, elle va ici guider nos sentiments vis-à-vis de la fiancée.

 

Le Monstre et sa promise

 

Whale, de son côté, va s’appliquer à illustrer la folie grandiose de l’entreprise de Pretorius et Henry Frankenstein. Cadrage basculant, amples mouvements de caméra pris du plafond, la logistique de la mise en scène est impressionnante, d’autant plus pour l’époque. Le montage, accumulant les plans courts, apporte à la scène une tension là où la mise en scène aurait pu la rendre complaisante. Le motif musical monte crescendo, joué de plus en plus fort, tandis que les tambours marquent toujours la pulsation. Par cette rythmique martelée, Waxman nous dit que quelque chose d’inéluctable est en marche. La mélodie n’a rien d’effrayant. Elle est plutôt triomphante et séduisante. Elle nous prépare à rencontrer une nouvelle créature bien différente de la première. Comme pour nous le rappeler, retentissent d’ailleurs les trompettes associées au monstre, alors qu’il surgit. Pendant quelques secondes c’est tout le vocabulaire musical horrifique déjà classique qui reprend ses droits.

 

Puis, une fois un gêneur expédié par dessus bord, la mélodie de la fiancée revient, cette fois sous une forme typique d’une conclusion de mouvement symphonique : roulements de tambours et ralentissement du tempo. La pulsation s’arrête exactement au moment où la caméra guette le premier signe de vie. Le silence qui s’impose résonne extraordinairement, plein de l’absence des battements qui ont fini par nous agacer l’oreille. La fiancée ouvre les yeux, accompagnée d’un bref éclat de trompette, puis lorsqu’elle est redressée, son thème résonne avec une séduction nouvelle, maintenant que la vie est revenue dans ce corps. Soulignée par des cascades de notes à la harpe, elle nous dicte l’émerveillement et ne laisse aucun doute : la créature qui vient de renaître ne pourra être que charme et douceur. Avant même que ne nous soit révélé le visage de la créature, le compositeur nous en montre la beauté, opposé exact de la laideur à laquelle a été condamné le monstre. Elle crée presque un suspense à elle toute seule : ne paraît-il pas inévitable que deux créatures aux identités musicales aussi opposées se déchirent ? À James Whale de nous donner la réponse. Waxman, lui, a prouvé entretemps qu’un compositeur pour le cinéma ne saurait être grand sans être aussi un peu metteur en scène.

 

Pierre Braillon
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