MILANO CALIBRO 9 (1972)
Réalisateur : Fernando Di Leo
Compositeur : Luis Bacalov & Osanna
Séquence décryptée : Preludio (0:00:00 – 0:05:40)
Éditeur : Warner Fonit
Quand John Woo se réclame d’un certain cinéma français, et plus particulièrement de Jean-Pierre Melville et de Jacques Demy, la critique le toise plutôt avec circonspection. Au mieux, est-elle encline à lui reconnaître d’évidents atomes crochus avec le premier, dont on retrouve dans la période hongkongaise de son zélateur les flics mélancoliques, les gangsters maudits par le destin et même un film entier, Le Samouraï, quasiment « remaké » par le mythique Die Xue Shuang Xiong (The Killer). Pour tout ce qui touche au style, élément fondamental du cinéma des deux hommes, c’est en revanche le jour et la nuit. Difficile de déceler la moindre trace du hiératisme marmoréen de Melville dans les opéras baroques de Woo. Avec Fernando Di Leo, autre cador du polar urbain, l’équation impose les mêmes variables. Il a beau revendiquer lui aussi comme principale source d’inspiration le maître de la rue Jenner, ses films frappent avant tout par leur identité férocement latine. Le préambule de Milano Calibro 9, gavé jusqu’au vertige d’une violence outrée et d’une terrassante furia musicale, a le mérite de mettre les pieds dans le plat… pour y piétiner en jubilant toute forme de bienséance !
Normal, avec Luis Bacalov pour tenir la baguette. Les restes élégants d’un jazz à la Paul Misraki, les plages languissantes et dépouillées dont Eric Demarsan et François de Roubaix avaient, fort judicieusement, habillé quelques années auparavant l’abstraction des ultimes polars de Melville, tout ce frugal dispositif n’interpelle guère l’Argentin. Par nature, il a le sang bouillant, et les passages à tabac monstres dont se rendent coupables les deux Mario, Adorf et Novelli, véritables brothers of destruction, ne pouvaient le laisser indifférent. Tout démarre pourtant sans aucune anicroche à l’horizon. Sur des gammes au piano pochées de noir, les rouages de ce que l’on a tôt fait d’identifier comme une grande organisation criminelle se mettent à tourner, d’abord lentement, puis avec une rapidité bien huilée. Un colis plein d’argent passe de main en main, suivant un itinéraire complexe dans les rues et le métro milanais, tandis que le pupitre des cordes, aiguillonné par ces incessants chassés-croisés, exécute un ballet frénétique. Bientôt, c’est au tour d’Osanna, groupe de rock à tendance psychédélique qui débutait alors, et se fera vite un nom sur la scène transalpine, d’entrer dans la ronde. Ses riffs de guitare électrique, qui ne cultivent pas la discrétion pour qualité première, arrosent de longs traits de feu le superbe thème de Bacalov, comme pour avertir le spectateur que toute cette mécanique hors-la-loi, en apparence sans défaut, est sur le point de capoter. Et gare au(x) responsable(s), menacent d’un ton bas d’ultimes accords de gratte.
S’ensuit un court silence musical, dont le tandem de marlous évoqué plus haut, passablement contrarié qu’on ait subtilisé le magot à son nez et à sa barbe, profite pour régler quelques comptes. Les coups et les jurons pleuvent, en une cataracte délirante à côté de laquelle la plupart des exactions du poliziottesco, si gratinées soient-elles, font figure de matinées enfantines. Comble du grotesque, Fernando Di Leo se permet carrément de lorgner le cartoon à la Tex Avery lorsque les victimes des deux truands, tuméfiées, ensanglantées, sont ligotées ensemble, plusieurs bâtons de dynamite se chargeant de leur tenir compagnie. Une dernière fois, le score s’emballe, crescendo hargneux et roulements de tambour à la clé, jusqu’à ce que la mèche ait achevé de se consumer… et que les infortunés soient partis en fumée ! Vous avez dit Jean-Pierre Melville ?