Excalibur (Trevor Jones)

Le cercle infernal

Décryptages Express • Publié le 11/04/2016 par

EXCALIBUR (1981)Excalibur
Réalisateur : John Boorman
Compositeur : Trevor Jones
Séquence décryptée : Ygrayne’s Dance (0:05:02 – 0:07:01)
Éditeur : Inédit en disque

 

Ironique est l’épreuve que doivent affronter les chevaliers d’Arthur. Réunis par une symbolique table ronde, ils ne peuvent s’accomplir qu’en brisant des cercles : celui de la guerre, entretenu par les seigneurs dont aucun n’accepte de céder son ambition à la paix partagée, celui de l’orgueil, qui pousse les chevaliers à se défier les uns les autres en querelles stériles, celui de la mélancolie du roi qui voit dépérir son royaume. Quant à Lancelot, avant même sa grandeur d’âme, c’est sans doute cela qui fait de lui le premier des chevaliers : le cercle dont il doit sortir est le pire, c’est celui du désir pour la femme de son ami et souverain, Arthur. Ironie encore, puisqu’Arthur lui-même est issu du désir obsédant de son père pour l’épouse d’un autre. Prêt à tout pour posséder cette femme, Uther brise l’idéal de chevalerie que Merlin le croyait capable d’accomplir. Le cercle du désir est lié à celui de la guerre, en une boucle qui semble infinie.

 

C’est à Trevor Jones que John Boorman a confié la tâche difficile de mettre en musique Excalibur. Difficile et surtout ingrate : le cinéaste a choisi d’illustrer les passages les plus grandioses de son film avec des extraits d’œuvres du répertoire classique. Des choix écrasants : Richard Wagner, pour accompagner la romance de Lancelot et Guenièvre et le destin des Pendragon, père, fils et petit-fils, et Carl Orff, qui illustre la fraternité des chevaliers et la renaissance du royaume. Comment exister à côté de ces titans ? En faisant entendre une voix qui ne sera pas couverte par la leur. Et c’est certainement ce que Boorman a encouragé Jones à faire. Il va recourir autant que possible à des orchestrations et des registres différents. Souvent, des musiques intra-diégétiques jouées par des flûtes, harpes et tambours accompagnées de voix éthérées suggérant des ambiances folkloriques ou rituelles fantasmées, brouillant les frontières du rêve et de la réalité. Si les sentiments de Lancelot sont montrés sous leur jour le plus pur et le plus tragique par le Tristan und Isolde de Wagner, et les chevauchées des compagnons d’Arthur dans l’embrasement solaire de l’incontournable O Fortuna extrait des Carmina Burana de Orff, les sentiments plus primitifs et les énergies plus troubles reviennent à Jones. A lui la magie, des enchantements de Merlin aux visions aquatiques de la dame du lac. A Jones aussi d’évoquer les cercles infernaux du désir et de la guerre.

 

Ygrayne's Dance

 

Mettant de côté leur orgueil, les seigneurs ont accepté de s’unir sous l’autorité d’un roi, Uther Pendragon, détenteur d’un symbole de pouvoir reconnu de tous : l’épée Excalibur. Le cercle de la guerre semble brisé. Mais celui de l’orgueil ne l’a pas été. Revanchard, Cornwall n’hésite pas à exhiber tel un trophée sa magnifique femme à l’assistance des guerriers venu sceller la paix, le temps d’une danse provocante. Uther n’accomplira pas le rêve chevaleresque de Merlin : il n’a pas su sortir des cercles infernaux. Plus que la mise en scène, c’est la musique qui nous le fait comprendre. Adoptant l’esthétique symboliste de son réalisateur, Trevor Jones nous enferme avec Pendragon dans un cercle musical, dès le départ sans issue. Après un début assez doux – une flûte s’échappe même de la ronde pour souligner un plan rapproché sur le visage d’Igrayne – la pression des basses se fait de plus en plus forte à chaque fois que le cercle se referme et repart pour un nouveau tour, appuyant la rythmique à la cadence sexuelle qui pulse sous la mélodie.

 

L’image s’accorde ensuite à la musique : la danse se fait tournoiement, les guerriers frappent le rythme comme s’ils donnaient des coups de reins, et la montée sonore de la ronde musicale ne semble pas permettre la moindre issue. Rien dans cette musique n’annonce de conclusion : sans fin, elle tourne en boucle, de plus en plus fort, de plus en plus vite. La musique va-t-elle atteindre la limite où les notes se fondent les unes dans les autres, ne laissant plus à entendre qu’un son informe ? D’une certaine façon, oui, car c’est un cri qui interrompt l’infernale sarabande. Un cri de terreur ou de jouissance ? Comme les notes qui se sont mêlées les unes dans les autres, on ne saurait le dire. Et peu importe car le désir a abouti au besoin de meurtre, et au passage d’un cercle à un autre. La guerre embrase de nouveau le royaume. Tout recommence et, pour Merlin, tout est à recommencer. Sous le romantisme de Wagner, et le lyrisme de Orff, Trevor Jones s’est fait l’écho de la voix de l’enchanteur en nous faisant entendre la bestialité des pulsions à l’œuvre dans le cœur d’hommes et de femmes que Merlin voit comme des animaux.

 

Pierre Braillon
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