Entretien avec John Paesano

Daredevil au coeur du labyrinthe

Interviews • Publié le 13/06/2016 par

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Après ses études, d’abord au Conservatoire de Paris avec Sally Dow Miller, puis au Berklee College of Music de Boston, où il a suivi un cursus de composition pour le cinéma et la télévision, John Paesano a débuté professionnellement en 2007 en mettant en musique Ben 10: Secret Of The Omnitrix pour Cartoon Network. Il a ensuite composé les scores de plusieurs longs-métrages DTV (direct-to-video : les films sont directement mis en vente et en location sans avoir été préalablement exploités dans les salles de cinéma) : Another Cinderella Story (Comme Cendrillon 2), Superman/Batman: Apocalypse et S.W.A.T.: Firefight (la suite du S.W.A.T. sorti en salles en 2003). Il a également pris le relais de John Powell sur Dragons, série d’animation produite par DreamWorks pour prolonger le succès en salles de How To Train Your Dragon. Il a ensuite débuté sa carrière sur le grand écran en 2014 avec le drame sportif When The Game Stands Tall, avant d’accéder à la notoriété en composant la partition de The Maze Runner (Le Labyrinthe), premier opus de la saga adaptée de l’œuvre de James Dashner, qu’il retrouvera l’année suivante pour The Maze Runner: The Scorch Trials (Le Labyrinthe : La Terre Brûlée). Paesano a ensuite revisité l’univers du sport à l’américaine avec My All American, tout en entamant une collaboration avec Netflix et Marvel pour créer l’univers musical de la série Daredevil, un partenariat qu’il a depuis prolongé à l’occasion de la seconde saison. Il reviendra en 2018 avec The Maze Runner: The Death Cure pour conclure musicalement la trilogie.

 

When The Game Stands Tall

 

Pouvez-vous nous parler de votre score pour When The Game Stands Tall?

Ce projet m’a été proposé juste avant The Maze Runner. C’est un film de football américain. Initialement, je voulais que le score soit totalement orchestral, mais alors que je découvrais le film, j’ai constaté qu’il avait besoin d’un peu plus d’énergie que ce que l’orchestre pourrait fournir. L’image demandait une combinaison sonore hybride. Nous avons enregistré avec un orchestre de quatre-vingt musiciens, puis nous avons ajouté des solistes. Certaines musiques de films ont eu une influence évidente, le réalisateur en ayant apporté avec lui pour suggérer des idées pour le score, qui est dérivé de tout un tas de choses. Il y a dans le film beaucoup de football américain : comment allions-nous traiter tous ces matches sans tomber dans la banalité ? Ce que j’ai fait au final pour le film a vraiment beaucoup à voir avec l’instrumentation, et avec l’énergie que la musique apporte. J’ai aussi incorporé beaucoup de marches et de fanfares dans la partition, ce qui m’a aidé à apporter un peu de variété à certains matches.

 

Quand vous avez des séquences récurrentes qui sont similaires, il est difficile de rendre ça intéressant tout au long du film. Les films de sport ont tendance à présenter certaines difficultés spécifiques, parce que vous devez raconter l’histoire à travers la musique, et vous vous heurtez essentiellement à des montages de matches, et à chaque fois qu’il y a un montage, celui-ci repose en grande partie sur la musique. Et il y a un million de façons différentes de mettre en musique un film de sport… C’est un genre à part entière, tout comme l’animation ou la science-fiction, où le sport constitue généralement toute l’action du film, contrairement à un film comme The Maze Runner qui propose un type d’action complètement différent. L’action sportive est presque plus proche de l’animation qu’elle ne l’est d’un film d’action. C’est aussi un film très émouvant, un film très lyrique, et plus qu’un film sur le football américain, c’est surtout un drame sur fond de football.

 

The Maze Runner

 

The Maze Runner constituait un autre défi. Comment l’avez-vous abordé ?

L’avantage est que j’ai pu commencer le processus de composition à un stade précoce. J’ai été engagé au moment où ils commençaient le tournage, donc j’ai eu beaucoup de temps pour expérimenter et comprendre ce qui ne fonctionnait pas, avant même de trouver  ce qui allait fonctionner sur le film. C’est en fait un problème fréquent à Hollywood : ils choisissent le compositeur très tard dans le processus, en ne lui donnant que deux mois, deux mois et demi pour mettre en musique la totalité du film. Vous savez, dans le temps, quand les gars étaient engagés sur un film, ils disposaient de beaucoup plus de temps, comme lorsque John Williams a fait Star Wars… Et, parce que le processus de production prenait beaucoup plus de temps qu’aujourd’hui, la création de la partition en bénéficiait aussi. Maintenant, avec la technologie, le studio ne pense pas au processus d’écriture et à tout ce que ça implique, et comment vous devez définir ce qui ne fonctionne pas avant de trouver la voix du film.

 

The Maze Runner était de fait un peu unique: c’était un film hollywoodien, mais je suis arrivé dans le processus très tôt, donc cela m’a vraiment permis de prendre le temps de penser à la façon dont j’allais aborder le film, plus d’un point de vue fonctionnel que musical. La partition n’est pas très thématique, opératique, contrapuntique : c’est avant tout une musique qui a été créée pour fonctionner avec l’image et apporter un sentiment de mystère. Le score est plus fonctionnel que musical. Et c’est ainsi que les scores devraient  être : quand vous écrivez pour un film, vous ne composez pas des pièces de concert, mais des musiques qui correspondent à une scène. Je pense que c’est l’un des aspects délicats de la composition pour le cinéma, ce qui la rend unique. Ce processus peut prendre un peu de temps. Donc, en tant que compositeurs, nous voulons toujours nous lancer de nouveaux défis et écrire de la musique très contrapuntique, très riche en harmoniques, mais parfois, il faut juste se dire : « Peut-être qu’une seule note de piano fonctionne mieux dans la scène que le tout orchestral ». Il y a tellement de choses différentes que vous devez vérifier quand vous suivez ce processus. Il faut du temps pour comprendre comment cela va fonctionner. Donc c’était appréciable de disposer d’un peu plus de temps, c’est assez rare. Quand nous avons fait The Scorch Trials, le processus de production était beaucoup plus serré. Avoir défriché l’univers pour le précédent, et travailler à nouveau avec le même réalisateur, m’a permis de suivre tout de même un processus harmonieux. Mais les délais de production peuvent être très tendus et présenter un important défi pour le compositeur.

  The Maze Runner: The Scorch Trials

 

Pour The Scorch Trials, il vous fallait revisiter le même univers tout en le faisant évoluer ?

Comme je l’ai dit, le défi était que le premier score n’était pas très thématique. C’était plus du domaine de la sensation sonore. Je voulais avant tout que le score soit le prisme du regard du personnage principal, Thomas. Quand le film commence, Thomas se réveille, il n’a aucun souvenir de sa vie passée, d’où il vient, ce qu’il a fait. Alors que le film progresse, il redécouvre lentement sa vie passée, et comment il a fini dans cet endroit. Je voulais que le score reflète le point de vue de Thomas, donc quand il débute, il est un peu incertain et dépouillé. J’ai utilisé des instruments dérivant de ce que nous voyons dans les environs, qu’il s’agisse de claquements de bambous ou le vent soufflant à travers les arbres. Je l’ai voulu très naturel et organique. Puis, alors que Thomas découvre en dehors des murs du labyrinthe un monde extérieur plus large, plus technologique, le score prend de l’ampleur, et s’ajoutent des sons électroniques hybrides. Un son plus massif commence à émerger, et quand nous arrivons à The Scorch Trials, nous retrouvons un prolongement de ce son. Avoir pu réfléchir à la façon dont nous allions cultiver ces éléments a été très utile, comme de savoir que j’allais composer le score du second film et que le réalisateur serai le même… Nous avons imaginé The Maze Runner comme un grand film divisé en trois parties. Quand vous avez un score qui n’est pas très mélodique, c’est un peu plus délicat, parfois, d’essayer de rattacher tout ça ensemble et de donner cette impression d’un monde unique.

 

Ce qui est également difficile aujourd’hui, c’est que les compositeurs ont beaucoup plus de sons différents à portée de main. Lorsque John Williams a écrit Star Wars, il avait l’orchestre et c’était tout. Les compositeurs travaillaient en écrivant des mélodies et en utilisant l’orchestre, et c’était aussi leur façon de rendre unique leurs compositions, de sorte que les développements mélodiques sont devenus un aspect important de la musique de film. Mais maintenant, nous avons à disposition une telle palette de sons et de textures qu’un score peut être thématique sans être excessivement mélodique. Cela permet d’aborder un film d’une autre façon. Je ne pense pas nécessairement que les compositeurs n’écrivent pas autant de musique thématique qu’avant parce qu’ils ne savent pas comment faire, mais plutôt parce que les films contemporains appellent plutôt un son différent… Par exemple, je ne peux pas vous fredonner le thème d’Inception, mais si je l’entends, je sais tout de suite que c’est Inception. Il y a beaucoup de scores comme ça et je pense que The Maze Runner tombe plus dans cette catégorie. Ceci étant dit, la mélodie, les thèmes et la richesse harmonique apportent un caractère à un film. Nous ne voulions pas complètement faire l’impasse dessus, mais ce n’est tout simplement pas aussi visible et notable dans The Maze Runner que dans d’autres films. Nous avons des petits motifs, de petites choses que j’ai aussi été en mesure d’utiliser dans le deuxième film. 

  My All American

 

Votre projet cinéma le plus récent est My All American…

Ce film a été écrit et réalisé par Angelo Pizzo, le gars qui a écrit peut-être deux des plus grands films de sport américains, Rudy et Hoosiers, et il a fait appel à Jerry Goldsmith pour ces deux films. My All American score est complètement à l’opposé de The Maze Runner, totalement orchestral, hyper-thématique, avec un thème fort développé tout au long du film. Le film se prête à ce type d’écriture, à la différence d’autres films. Par exemple, quand nous avons commencé à travailler sur The Maze Runner, Wes Ball, le réalisateur, est un grand fan de John Williams et Steven Spielberg, très informé de tout ce qui concerne les compositeurs et la musique de film, et il voulait que son film et le score rendent hommage à Jurassic Park. Et ceci avant même d’avoir commencé le tournage du film. Je lui ai dit : « Fantastique, j’aime Jurassic Park ! C’est une excellente idée, tout se passe en extérieur, et nous remplaçons les dinosaures par de grands murs… » et il semblait que ça allait fonctionner.

 

Puis, quand j’ai commencé le processus de composition sur le film et que j’ai essayé de placer la musique à l’image, nous avons réalisé rapidement que Jurassic Park n’allait pas du tout fonctionner. Cela n’apportait pas le mystère et l’intensité dont nous avions besoin. Nous avons dû abandonner cet axe. Vous avez toujours des idées préconçues de ce que vous allez faire pour le score, mais jusqu’à ce que vous puissiez monter la musique à l’image, vous ne savez vraiment pas ce qui va marcher. Mais le film vous dira toujours si vous vous trompez de direction, et The Maze Runner en est un très bon exemple. La série a été un outil vraiment formidable d’apprentissage pour moi, étant assez nouveau dans le business. Vous n’avez jamais fini d’apprendre : un gars comme John Williams apprend encore des choses.

 

Daredevil

 

Avec Daredevil, vous avez pu explorer à votre façon l’univers Marvel. Qu’aviez-vous en tête?

Dans ma boite à outil, je peux avoir un son très Marvel, je peux composer pour les super-héros. Quand j’ai été engagé sur le projet, je me suis dit : « Super, nous allons faire du Marvel » et la production m’a dit : « Nous ne voulons rien qui ressemble au son Marvel ». Le showrunner voulait vraiment créer pour Daredevil un monde complètement différent, à Hell’s Kitchen, New York. Il voulait que ce soit sombre, réaliste, ironique. Il ne voulait pas que ce soit très orchestral, et nous avons construit un monde à partir de zéro. C’était vraiment intéressant parce que j’ai travaillé sur Daredevil juste après avoir terminé le premier Maze Runner, et je m’étais préparé à retourner dans le monde de la télévision, que je connais bien : j’ai déjà travaillé pour les grands réseaux, qui sont très différents des services de streaming comme Netflix, Amazon, HBO… Les séries y sont un hybride entre les deux mondes. Parce que vous n’êtes pas limité par la censure, vous pouvez avoir des grossièretés, de la violence, de la nudité, cela ouvre un peu plus à la création, pour faire des choses un peu plus extrêmes, plus intenses, ce qui était très utile pour un personnage comme Daredevil. Le second élément qui lie en quelque sorte ce type de série avec le monde du cinéma est que tout est mis en ligne en même temps, presque comme si on avait pris un film pour le découper en treize parties. Ainsi, le processus de production est plus proche de celui d’un film.

 

Au lieu d’écrire pour des épisodes hebdomadaires, j’ai vraiment pu aborder le score comme une musique de film et créer un arc narratif. Maintenant que nous abordons la deuxième saison, je peux faire la même chose que je ce que j’ai fait avec The Maze Runner. Dans la première saison, Daredevil ne porte pas de costume, il est presque en civil. Il a une sorte de costume, mais ce n’est pas un costume de super-héros. Dans le dernier épisode de la première saison, il révèle son costume, et à partir de là, la musique peut évoluer à mesure que nous entrons dans la saison 2. Encore une fois, je cherche toujours à faire évoluer la musique de façon globale, par opposition avec ce que la technologie nous permet aujourd’hui, où il est si facile de cloisonner chaque scène. Je pense que les scores souffrent de cette façon de faire, qui découle de la façon dont vous écrivez un score avec un ordinateur. Vous allumez votre ordinateur, et vous vous dites : « D’accord, c’est 1M1 et je vais écrire la musique de cette scène » au lieu de prendre du recul, de regarder le film ou la série dans son ensemble, et de lui donner un arc narratif construit semaine après semaine. Ou, s’il s’agit d’un film, de veiller à lui donner une sorte d’arc général tout du long. Je pense que ça découle peut-être d’une partie de ma formation : j’ai d’abord travaillé pour certains compositeurs de l’ancienne école. À l’époque, ils ne disposaient pas d’ordinateurs pour écrire leurs partitions, ils faisaient appel uniquement au papier et au crayon, et ils avaient vraiment l’opportunité de prendre du recul et de penser au score comme à un organisme vivant. J’essaie de le faire également quand je rentre dans le processus d’écriture. C’est définitivement un truc de la vieille garde qu’il est important d’encourager et de perpétuer.

 

John Paesano 

Entretien réalisé le 24 octobre 2015 par Olivier Desbrosses & Stéphanie Personne
Transcription : Milio Latimier
Traduction : Olivier Desbrosses

Remerciements à toute l’équipe du Festival du Film de Gand

Olivier Desbrosses
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