Entretien avec Gérard Calvi

Les douze travaux d'un Branquignol hors du commun

Interviews • Publié le 04/02/2016 par

Gérard Calvi était très certainement l’un des compositeurs les plus créatifs qu’ait connu le cinéma français des années 1950-1980. Son style populaire et son écriture musicale se définissaient par une légèreté et une inventivité rares. En 1945, il obtient le Grand Prix de Rome de Composition et, à partir de là, va rencontrer Robert Dhéry et la troupe des Branquignols avec lesquels il va passer les années de sa vie les plus novatrices. La musique qu’il écrit pour les spectacles et les films de Dhéry se fait savante et burlesque sans jamais sombrer dans la caricature et la facilité. Au gré de rencontres avec Goscinny et Uderzo, Pierre Tchernia et Jean-Pierre Mocky, il va dévoiler son éventail musical et nous donner de somptueuses partitions comme celles du Viager, d’Astérix le Gaulois ou du Petit Baigneur, sans oublier le célèbre indicatif de l’émission TV Monsieur Cinéma. Son travail est assez diversifié et sa collaboration aux films d’Yves Robert, Max Linder, Henri Verneuil et Claude Barma prouve que Gérard Calvi est un homme de musique, mais aussi un homme de cinéma. Il écrit également de la musique de scène, de ballet, un concerto pour piano et un opéra bouffe d’après la pièce Le Tableau d’Eugène Ionesco. Gérard Calvi se fait ensuite de plus en plus discret, ne composant plus que ponctuellement pour la télévision, ce qui ne l’empêchera pas de travailler activement sur l’adaptation musicale de La Cantatrice Chauve. En 2001, cet artiste méconnu qui a énormément apporté à la musique de film française s’était fait une joie de parler de son parcours… La publication de cet entretien constitue aussi et surtout un hommage au compositeur, disparu ans en février 2015. Bienvenue dans le monde musical de Gérard Calvi !

 

Comment vous définiriez-vous ?

Je suis un homme de nature atypique. Cependant, j’ai une formation tout ce qu’il y a de plus classique. Je suis né dans la musique puisque mon père dirigeait un quatuor. Plus tard, j’ai fréquenté le monde du théâtre et du cinéma grâce à ma cousine germaine, Simone Renant, et à son mari, Christian-Jaque, qui avait senti mon intérêt pour le cinéma.

 

Êtes-vous un homme de musique ou de cinéma ?

Je me considère avant tout comme un homme de musique qui s’est par la suite intéressé au cinéma. Je me rappelle qu’au Conservatoire, mes confrères me disaient souvent : « Quoi ? Tu veux vraiment faire de la musique de film ? » Ils riaient et ne concevaient pas qu’on puisse écrire de la musique destinée à justifier l’image, car il faut savoir que dans les années quarante, la musique de film était considérée comme mineure et secondaire. C’est lorsque j’ai vu le film Top Hat, avec Fred Astaire, que mes goûts pour le jazz et le cinéma américain se sont développés puis affirmés. Je reste un grand admirateur de Duke Ellington, que j’ai eu la chance de rencontrer, et de Fred Astaire, qui m’a toujours fasciné.

 

Colette Brosset, Gérard Calvi et Robert Dhéry

 

Vous étiez encore élève du Conservatoire de Paris quand vous avez rencontré Robert Dhéry…

En effet, le Conservatoire formait à l’époque des comédiens, des compositeurs et des musiciens. C’est ainsi que je me suis lié d’amitié avec Gérard Philipe et Serge Reggiani. Paris était alors occupé et nous devions partir en Allemagne. Pour gagner du temps et retarder notre départ, nous avons eu l’idée de créer un orchestre. Mais que faire des comédiens et des créateurs ? Nous avons alors monté une chorale et je me souviens que Gérard Philipe, qui en faisait partie, m’a demandé : « Gérard, qu’est-ce que je dois faire ? » Je lui avais alors répondu : « Regarde-moi et quand j’ouvre la bouche… tu ouvres la bouche ! » (rires). Nous avons fait plusieurs représentations, et il faut avouer que certaines situations étaient fort cocasses. Cependant, c’était la guerre et nous étions tous plus ou moins méfiants, mais la solidarité et l’amitié qui nous unissaient faisaient de nous une petite équipe hors normes.

 

C’est à la cantine du Conservatoire que j’ai fait la connaissance de Robert Dhéry. Le problème dans le réfectoire était qu’on ne se mélangeait pas : les musiciens mangeaient avec les musiciens, les comédiens avec les comédiens… Robert a alors un jour décrété qu’il existerait désormais une table autour de laquelle seraient réunis des comédiens, des chanteurs, des compositeurs, des acteurs, des musiciens…. C’est ainsi que je l’ai rencontré, et nous nous sommes plu immédiatement. Nous partagions le même humour et avions du respect l’un pour l’autre. Tout le monde discutait avec tout le monde, chacun apprenait sur le métier de l’autre et cette table de fraternité devint un lieu très enrichissant, tant au point de vue professionnel que personnel. Robert et moi avions une passion pour le cinéma américain et pour le burlesque. Une fois son brevet en poche, il voulait partir à Londres pour y devenir policier, ou plus exactement Bobby. Il est donc parti en Angleterre et y a découvert le non-sens. Il réalisa Allez France ! en 1964 et y interpréta le rôle d’un supporter de rugby déguisé en policier anglais, ce qui prouve que cette vocation lui tenait à cœur ! En rentrant, il m’a dit : « Tu sais Gérard, on peut très bien être professionnel et rigolo en même temps ! »

 

Les Branquignols

 

Vous avez alors fait des projets ensemble…

Tout à fait, j’étais devenu le partenaire musical de Robert. Après son retour de Londres, il a écrit une pièce intitulée Les Gaufrettes, qui n’a jamais été jouée car refusée par tous les directeurs de théâtre. Robert et moi étions malgré tout reconnus par les gens de notre profession, mais le public n’était pas prêt à recevoir cette nouvelle forme de comique. Robert écrivit d’autres pièces et, un jour de l’année 1948, alors nous passions devant le Théâtre La Bruyère, nous avons vu le directeur fermer le théâtre : « Ça ne marche plus, j’arrête tout, je ferme ! » nous dit-il. Robert le regarde et lui dit : « Tu ouvres ! J’ai une pièce pour toi ! » Nous avons discuté un moment avec lui, et il a accepté de rouvrir son théâtre avec la nouvelle pièce de Robert. Je me souviens que le directeur nous avait parlé d’un petit gars sans le sou qui dormait dans le théâtre, et il nous avait demandé de l’engager. Ce petit gars-là s’appelait Jean Carmet, et il nous accompagna pendant de nombreuses années ! Le problème était qu’il n’y avait pas assez de monde pour jouer dans la pièce. Le père de Colette Brosset nous proposa de faire venir ses copains des Halles pour compléter la distribution. Nous avons accueilli alors Pierre Tornade, René Dupuis, Pierrette Rossi… Ainsi naquit le spectacle Branquignol qui, au début, n’attira pas les foules. Nous avons alors décidé d’afficher « Complet » devant le théâtre et sur les affiches. Intrigués par ce succès, les gens se sont faits de plus en plus nombreux et la presse nous a consacré de bons articles. Il est évident que le public avait besoin de se distraire car il sortait de la guerre.

 

Les aventures branquignolesques prennent alors forme…

Non seulement, elles commençaient à prendre forme, mais elles commençaient surtout à prendre de plus en plus d’ampleur ! J’ai pensé à mettre un pianiste sur la scène de Branquignol, qui deviendra par la suite indispensable dans tous les spectacles. La pièce était un véritable carton et, sur une idée de Robert, Francis Blanche et moi écrivions des chansons pour les pièces à venir (Jupon Vole en 1954). Pour l’anecdote, j’avais jusque-là caché mes fonctions et mes activités de branquignol à mon père, croyant le décevoir. Je lui ai avoué que j’écrivais de la musique pour spectacles et que je faisais partie de la troupe et il m’a dit : « J’ai été voir votre pièce. C’est formidable ! Continue ! » (rires)

 

Gérard Calvi & les Branquignols

 

Puis vous partez ensuite aux Etats-Unis ?

C’est exact. Par la suite, Robert écrit Les Belles Bacchantes, qui sera adapté au cinéma en 1953 par Jean Loubignac et, lors d’une représentation, quelqu’un me frappe sur l’épaule et me dit alors: « II faut que je vous voie ! » C’était Jack Hilton. Il nous a emmenés à Londres et à Broadway. Aux Etats-Unis, nos pièces ont connu un énorme succès, notamment La Plume de ma Tante qui a reçu l’Award du Meilleur Spectacle. J’ai reçu beaucoup de propositions et j’ai rencontré Walt Disney, qui a avoué apprécier ce que je faisais. Nous avons discuté de ma musique et il était intéressé par mon travail. Mais il désirait que je sois entièrement à sa disposition, et il me fallait rentrer de temps en temps en France pour des raisons aussi bien professionnelles que personnelles. Je ne pouvais pas travailler exclusivement pour lui. Nous n’avons donc jamais collaboré.

 

Comment avez-vous été amené à travailler sur les premières aventures d’Astérix au cinéma ?

A l’origine, il faut savoir qu’avant d’être porté à l’écran, le personnage d’Astérix était l’objet d’une émission de radio diffusée par l’ORTF en 1964. A l’époque, je travaillais pour la radio et un ami, Jean Chouquet, m’a présenté à René Goscinny et Albert Uderzo, les auteurs de la BD. Ils connaissaient le travail que j’avais fait sur les films de Robert Dhéry et l’humour de leur BD rejoignant l’esprit des Branquignols, nous avons décidé de travailler ensemble. Uderzo désirait que je compose un tube pour le film : on peut donc dire que le thème d’Astérix est le tube de Calvi ! (rires) Mais à l’époque où j’ai écrit la musique d’Astérix le Gaulois, en 1967, je possédais ma propre maison d’édition, et l’enregistrement de la musique m’a coûté assez cher puisque j’ai été obligé de payer moi-même les musiciens !

 

Comment sont nées les séquences chantées d’Astérix et Cléopâtre et des Douze Travaux d’Astérix ?

Il faut savoir que dans les années soixante, le dessin animé était un exercice de style très complexe et novateur. Je faisais désormais partie de la famille Astérix et Goscinny et Uderzo, pour Astérix et Cléopâtre, voulaient entendre le personnage de Cléopâtre chanter. J’ai donc exaucé leur vœu en confiant à Micheline Dax le rôle et la voix du personnage, car je pense que la personnalité et le tempérament de Micheline sont très proches du caractère de la reine d’Egypte (rires). Le résultat m’a enchanté et il faut dire que Claude Dupont, qui l’a dirigée pour cette séquence, y est pour beaucoup.

 

Astérix et Cléopatre

 

Que vous a apporté le fait de travailler pour le cinéma d’animation ?

Peu de choses car, comme au cinéma, j’ai travaillé en fonction de l’image et du mouvement que j’enrichissais par la musique. Cependant, mon travail sur les trois aventures cinématographiques d’Astérix m’a permis de travailler en étroite collaboration avec les monteurs Laszlo Molnar et Jacques Marchai. Nous préparions la mise en place des séquences musicales ensemble et de ce fait est née une grande complicité, qui se voit à l’écran.

 

Vous entreteniez également une relation très forte avec Pierre Tchernia…

Pierre était malade de ne pas faire partie des Branquignols et, en 1948, je lui ai présenté Robert Dhéry et Colette Brosset. Par la suite, il a collaboré au scénario de La Belle Américaine en 1961 et à celui d’Allez France en 1964, et nous avons appris à nous connaître et à nous apprécier. Pierre est un véritable mélomane : il écoute beaucoup de musique classique et est très attentif à la composition. Lorsqu’il a été amené à réaliser son premier film, j’ai immédiatement accepté de lui en composer la musique car lors de l’écriture du scénario, il sait déjà où la musique va apparaître, sur quel plan elle doit se faire discrète… C’est donc un véritable bonheur pour le compositeur de travailler avec lui car il vous rend la tâche encore plus facile et plus agréable : je savais déjà, que ce soit sur Le Viager, Les Gaspards ou Bonjour l’Angoisse, ce que Pierre voulait exactement, car les éléments et les emplacements musicaux étaient présents dans le scénario.

 

Vous aviez aussi des rapports durables avec Christian-Jaque et Jean-Pierre Mocky…

Ce sont eux qui sont venus me chercher parce que mon travail leur plaisait. Ils me considéraient comme un musicien sérieux capable de cerner leur univers et répondant à leurs attentes : je passais aussi bien de la mélancolie à la peur que du rire aux larmes. J’avoue que Mocky était un cinéaste sérieux et méticuleux sachant exactement ce qu’il voulait. Je me suis très bien entendu avec lui, même s’il n’est pas toujours facile, mais notre collaboration fut très intéressante. Quant à Christian-Jaque, étant mon parrain cinématographique, il est devenu normal que je compose la plupart des musiques de ses films.

 Michel Serrault, Gérard Depardieu et Jean Carmet dans Les Gaspards

 

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Michel Audiard pour Bons Baisers… à Lundi ?

Contrairement à ce que beaucoup de monde pense, Audiard était très gentil. Nous avons beaucoup discuté sur le rôle qu’allait jouer la musique dans son film. Puis je me suis assis au piano en lui faisant des propositions de thèmes et tout s’est très bien passé ! (rires)

 

Dans les années 80, vous avez délaissé le cinéma pour travailler à la télévision…

La télévision et le cinéma sont deux mondes totalement différents, surtout au niveau de la musique. Lorsque vous composez pour le cinéma, vous tenez compte d’un certain nombre de critères comme les spectateurs, l’ambiance de la salle de cinéma, l’obscurité… qui font que votre musique sera entendue à sa juste valeur. La télévision est radicalement différente tout simplement parce que vous entrez chez les gens sans leur demander. Les téléspectateurs sont moins attentifs qu’au cinéma : ils se lèvent, discutent, font la cuisine… et ne prêtent pas attention au son et à la musique. C’est pourquoi lorsque je compose pour un téléfilm, j’écris moins de musique que pour un film sachant qu’elle ne sera pas appréciée. La musique écrite pour un film s’écoute alors que la musique écrite pour un téléfilm s’entend.

 

Votre carrière laisse entrevoir un style de musique burlesque axée sur des gags musicaux à effets…

Je pense que l’Ecole Américaine et le théâtre m’ont beaucoup influencé et m’ont aidé à définir le mouvement. Dès que j’ai commencé à travailler pour le cinéma, j’ai compris ce qu’était l’image, et je travaillais beaucoup en fonction de celle-ci. Il est vrai que je soulignais souvent les gags, une démarche ou une situation par un instrument soliste ou par un phrasé musical, ce qui ne m’empêchait pas en temps utile d’exprimer aussi des sentiments.

 

Auriez-vous aimé travaillé sur des films plus dramatiques, plus intimes ?

Dès que j’ai commencé à écrire la musique des spectacles et des films de Robert Dhéry, on m’a immédiatement étiqueté. Plus les années passaient et plus je faisais de films, plus j’étais le symbole musical du divertissement. Mais cette situation me convenait parfaitement et je n’ai jamais regretté de ne pas avoir plus travaillé sur des films dramatiques.

 

Portez-vous un regard critique sur votre carrière ?

Je pense avoir travaillé sérieusement sur chaque film en essayant de comprendre le réalisateur et de composer la musique qu’il voulait. J’ai travaillé avec autant de rigueur sur les films de Marcel Bluwal que sur ceux de Tchernia, Dhéry ou Mocky.

 

Quel regard portez-vous sur la musique de film actuelle ?

Je vais être honnête : je n’ai pas été au cinéma depuis fort longtemps. Je ne peux donc vous exposer un jugement valable sur la musique de film qui se fait en ce moment. Cependant, je trouve tout à fait normal et logique de laisser la place à une nouvelle génération de compositeurs et à de nouveaux jeunes talents !

 

Gérard Calvi

 

Propos recueillis à Paris le 5 avril 2001 par Michaël Ponchon.

Remerciements particuliers à Stéphane Lerouge et Gérard Calvi.

Michael Ponchon
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