Zeltia Montes et ses amis de chiffon
Interviews • Publié le 07/11/2011 par

 

 

 

En 2008, nous découvrions lors d’une première interview la jeune compositrice espagnole Zeltia Montes qui, tout juste installée à Los Angeles, venait de remporter deux Jerry Goldsmith Awards lors de la quatrième édition du Festival International de Musique de Film de la ville d’Ubeda, grâce à sa partition pour Pradolongo, son premier long métrage. Trois ans après, suite à l’accueil critique très favorable qu’a reçu l’année passée son travail pour le film d’animation La Tropa de Trapo, une musique disponible depuis mai dernier chez Quartet Records, il nous a semblé opportun de revenir vers elle pour suivre le déroulement de sa carrière. Coïncidence, elle recevra à Ubeda peu après cette nouvelle interview deux nouvelles statuettes récompensant une fois de plus son talent…

 

 

Il y a trois ans, vous vous êtes installée à Los Angeles et nous avions alors parlé d’un «acte de foi». Comment se porte votre foi aujourd’hui ?

J’ai toujours foi en moi et en ma musique, bien que mes priorités aient peut-être changé et que travailler dans l’industrie hollywoodienne ne soit plus une priorité. Je suis toujours optimiste quant à ma musique, non pas parce que je me sens meilleure que n’importe quel autre compositeur, mais simplement parce que j’estime que je possède quelque chose d’unique et que j’ai l’espoir qu’il y aura des personnes pour le reconnaître et vouloir travailler avec moi.

 

Pouvez-vous nous expliquer comment se passe la vie à Los Angeles pour un jeune compositeur européen tel que vous ?

La principale différence est que vous ne pouvez marcher nulle part ! Je plaisante, même si le fait de devoir utiliser la voiture pour tout influe considérablement sur votre style de vie et que vous sentez que la ville n’est pas faite pour encourager les relations humaines. Je pense que ce concept d’une vie à grande échelle s’applique aussi aux relations professionnelles et il est compliqué de se faire entendre par les personnes qui peuvent faire la différence pour votre carrière quand vous débutez en tant que compositeur.

 

Qu’avez-vous appris en trois ans ? Y a-t-il certains aspects du travail aux États-Unis qui vous ont déçus ?

J’ai appris beaucoup de choses aux US, particulièrement l’importance de mieux se promouvoir soi-même et de nouer des relations professionnelles. J’ai été déçue de découvrir que la plupart des réalisateurs sont plus attachés à utiliser de la musique qui se rapproche d’autres célèbres partitions de films à grand succès, probablement influencés par l’emploi de musique temporaire, qu’à être ouvert à de nouvelles propositions créatives. Une autre chose qui m’a déçue était le fait que beaucoup de jeunes compositeurs à Los Angeles sont enclins à faire n’importe quoi pour obtenir des crédits et ceci implique non seulement de travailler gratuitement, mais également de sortir de l’argent de leurs propres poches pour enregistrer avec des musiciens. Étant donné que la plupart des films disposent de budgets extrêmement bas pour la musique, les réalisateurs et les producteurs sont bien contents de travailler avec quelqu’un qui leur donnera plus que ce pour quoi ils peuvent payer. J’estime que tous les compositeurs devraient se battre pour obtenir le respect pour notre profession.

 

Vivez-vous toujours là-bas ?

Je vis désormais en Espagne, même si je garde toujours des affaires là-bas afin de pouvoir aller et venir à ma guise.

 

Comment avez-vous obtenu de mettre en musique La Tropa de Trapo ?

J’ai été contactée par l’un des producteurs parce qu’ils avaient vu Pradolongo et en avaient vraiment apprécié la musique. Ils envisageaient une partition orchestrale pour leur film et ils ont pensé que je pouvais être un bon choix pour faire cela.

 

L’animation est un long processus : avez-vous écrit pour le film très tôt  ?

Oui, j’ai commencé à composer dès qu’ils ont eu achevé les animatiques et ils ont par la suite effectué beaucoup de modifications. Donc, des premières esquisses jusqu’à la fin de l’enregistrement et du mixage, presque six mois se sont écoulés car de nombreux morceaux ont dû être adaptés au nouveau montage du film.

 

Quelles ont été les directives spécifiques données par la production et le réalisateur ?

Ils voulaient une partition très joyeuse qui dépeindrait l’esprit des Happets, un groupe d’animaux amis tous faits de differents tissus colorés, qui jouent ensemble et prennent soin les uns des autres. Ils souhaitaient une musique animée qui parlerait à un public infantile et qui donnerait son rythme au film, en apportant toutes les émotions que la simple technique d’animation utilisée ne pourrait pas toujours faire passer. Ils souhaitaient un son orchestral traditionnel mais étaient réceptifs à toutes les suggestions que j’ai apportées pour la rendre plus singulière et créative.

 

A propos du travail pour un film d’animation, y a-t-il des pièges que vous vouliez éviter pour cette partition en particulier ?

Bien qu’il soit vrai que les films d’animation s’appuient lourdement sur les clichés pour fonctionner, j’ai voulu éviter d’en utiliser trop dans la mesure où j’ai pensé que nous pourrions élargir l’horizon et être ouverts à de nouvelles ressources créatives. Il est également vrai que tous les films d’animation sont inconsciemment marqués par les films Disney et donc les musiques Disney également, mais j’ai voulu éviter d’être trop proche de ce style de composition et j’ai essayé de jouer librement avec les styles et l’orchestration, puisque les personnages et l’histoire étaient originaux et n’appartenaient pas à cette tradition de l’animation.

 

Quelles ont été les premières étapes que vous avez suivies ?

J’ai commencé en composant une esquisse pour piano du thème principal, le thème des Happets. Il était très difficile d’atteindre la gaité et la vivacité désirés au travers seulement de la mélodie et des accords, mais je crois qu’il est essentiel qu’un thème principal présente tous les éléments exigés dans sa forme la plus élémentaire. Une fois que j’avais le squelette pour ce thème, j’ai commencé à envisager l’instrumentation qui correspondrait au mieux aux émotions que j’ai voulues dépeindre. J’avais déjà une idée de l’instrumentation que je souhaitais, mais j’ai également médité pendant quelques temps pour trouver les ingrédients justes qui aideraient mes intentions. J’ai ensuite continué à travailler de cette façon pour les trois autres thèmes.

 

Le film est conçu pour de très jeunes enfants : en avez-vous tenu compte pour obtenir le score que vous désiriez ?

Il était très important pour moi de créer dès le début une partition qui serait conçue pour un public d’enfants. J’ai voulu que cette idée soit présente à chaque étape du processus parce que jétais persuadée qu’une grande partie du succès du film serait déterminée par cela. Le thème principal a déjà été élaboré de manière à le rendre facile à jouer au piano pour un enfant et l’une de ses principales caractéristiques était une gamme majeure simple, ce qui est la base de toute musique tonale. J’ai essayé de garder tous les éléments essentiels, tels que l’harmonie, la mélodie et le rythme, très clairs pour tous les thèmes, mais j’ai aussi voulu inclure un vaste registre de styles pour encourager les aptitudes d’assimilation énormes des enfants. Ce film est également didactique et j’ai voulu que la partition le soit elle aussi.

 

Comment avez-vous envisagé la partition en termes de thèmes et de structure ?

Les thèmes et la structure ont été également composés pour faciliter la compréhension de l’histoire par les enfants. Il y avait quatre thèmes pour les personnages : un pour les Happets, un pour Moo Moo (la vache qui est le personnage principal), un pour le Roi dépressif et un pour le mouton séducteur. J’ai essayé de les rendre tous très distincts les uns des autres et clairement reconnaissables, et de faire en sorte que le développement de chaque thème et leur interaction soit facilement identifiables, ce qui me permettait de jouer avec les rythmes et l’orchestration.

 

 

Cette orchestration est en effet très colorée : que pouvez-vous nous dire de votre choix d’instruments, et les sessions d’enregistrement ont-elles présenté des défis particuliers ?

Les enfants ont tendance à perdre très facilement leur attention, donc j’ai pensé que la meilleure façon de les garder impliqués serait d’offrir une instrumentation cocasse et variée qui confèrerait une couleur unique à chacun des thèmes. L’orchestre a été également utilisé dans des combinaisons différentes, gardant le recours à l’effectif complet et au choeur de femmes pour les moments importants seulement. Le thème des Happets était défini par l’emploi de flûtes à bec, de percussions corporelles, de bois, de cordes et d’autres percussions pour enfants ; le thème de Moo Moo par l’emploi d’un piano, d’un hautbois, des cordes et de percussions ethniques ; le thème du Roi par l’emploi des cuivres, du clavecin, de la contrebasse et de percussions jazzy tandis que le thème du mouton a été écrit dans le style des chansons pop-rock des années 80 avec des synthétiseurs, des claviers, une guitare électrique, une batterie et de drôles de paroles dans un langage créé spécialement pour les enfants. Dans la mesure où il y avait cette grande profusion d’instruments orchestraux et non-orchestraux, ces derniers ont dû être enregistrés séparément et intégrés au mixage plus tard. Ainsi, bien que le processus soit plus fastidieux, je crois que cela le valait certainement !

 

Quels enseignements essentiels avez-vous tirés de cette experience ?

C’était un défi extrêmement beau puisque il m’a permis de penser comme un enfant, d’écouter et de ressentir comme si c’était la première fois. J’ai pu prendre bien des directions, en introduisant une dose d’humour et en portant les émotions jusqu’à l’extrême, et ce fut vraiment très épanouissant de découvrir que cela a si bien fonctionné avec les enfants ! La chose la plus importante que j’ai apprise est probablement de ne pas avoir peur de quoi que ce soit lorsqu’il s’agit de composer !

 

On se souvient de votre adorable sonate pour basson et piano interprétée à Ubeda en 2009. Avez-vous composé d’autres pièces de concert depuis ?

Je n’ai pas encore créé de nouvelle œuvre de concert, mais je travaille sur une pièce orchestrale et je prévois d’écrire plus de morceaux de musique de chambre.

 

Quels sont vos futurs projets?

Je commence juste à composer la partition du long métrage Vilamor dirigé par Ignacio Vilar. C’est un projet très particulier pour moi parce que j’adore l’histoire et parce que c’est un plaisir de collaborer avec un réalisateur comme Ignacio qui croit en mon travail et qui injecte une réelle passion dans ses films.

 

 

A lire : la chronique du disque

 


Entretien réalisé en juillet 2011 par Florent Groult

Transcription & traduction : Florent Groult

Florent Groult
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