The Dark Knight (Hans Zimmer & James Newton Howard)

Voie(s) sans issue ?

Disques • Publié le 24/07/2012 par

The Dark KnightTHE DARK KNIGHT (2008)
THE DARK KNIGHT : LE CHEVALIER NOIR
Compositeurs :
Hans Zimmer & James Newton Howard
Durée : 73:24 | 14 pistes
Éditeur : Warner Sunset

 

2 out of 5 stars

Vous souvenez-vous de l’Alka-Seltzer que vous vous êtes empressé d’avaler au sortir de votre première écoute de Batman Begins ? Si oui, vous faites donc certainement partie de ceux (et ils sont quelques-uns) pour qui la pilule concoctée à l’époque par les docteurs Hans Zimmer et James Newton Howard n’a pas eu l’effet escompté… Pourtant, voir se pencher au chevet d’une franchise certes malmenée mais toujours prestigieuse deux des acteurs musicaux les plus en vue du moment n’était alors a priori pas pour déplaire, n’est-ce pas ?

 

Si bien sûr les inconditionnels des deux compères y ont certainement retrouvé leur compte, et que le caractère d’immédiate accessibilité propre à la plupart des compositions de Zimmer (son point fort depuis des années) a plutôt bien fait son œuvre auprès du grand public, comme d’habitude dirons-nous, on pouvait tout aussi bien rester sceptique quant au bilan véritable de l’ensemble. Car entre le romantisme transparent d’Howard (qui aime souvent à suspendre sans trop d’effort quelques notes de piano au-dessus d’un tapis de cordes), les tonitruances lourdement consonantes qu’affectionne Zimmer depuis Black Rain et Backdraft et ses ambiances par trop connotées (l’impression parfois flagrante de voir pointer l’USS Alabama de Crimson Tide plutôt que les ailes de chauve-souris d’un vengeur masqué), le moins qu’il y avait à dire était bel et bien qu’on avait connu les deux compositeurs, chacun de leur côté, beaucoup plus inspirés. Du coup, on se demande bien sur quels points la musique de Batman Begins serait en quoi que ce soit «novatrice», terme pourtant utilisé encore récemment par le réalisateur Christopher Nolan, tant il apparaît que l’alliance alors inédite entre les deux personnalités musicales, malgré leur indéniable entente (les deux hommes sont amis depuis longtemps), ait accouché d’un côté comme de l’autre d’un minimal syndical bien peu avenant.

 

Joker ?

 

Avec le recul néanmoins, les (rares) bonnes idées ont pris une certaine valeur : la volonté de faire table rase du passé musical déjà riche du Cape Crusader, le refus du thème héroïque qui aurait eu l’air déplacé vis-à-vis du traitement voulu du personnage, l’appel cuivré de deux notes ascendantes qui, incontestablement, accroche l’oreille, la manière de faire corps avec l’image (à défaut de la rehausser) et cette impression générale que quelque chose se met en place, d’un commencement donc, donnant au titre du film tout son sens, y compris sur le plan musical. De quoi attendre une seconde union avec une oreille au moins intéressée.

 

Dès les premières images et les premiers accords, on se dit d’abord qu’on a bien fait de patienter. Il apparaît en effet très vite manifeste que The Dark Knight offre, beaucoup plus que le précédent volet introductif, matière à un traitement musical radical. En ce sens, on se réjouit donc de retrouver un Zimmer en mode Black Hawk Down (La Chute du Faucon Noir) pour une caractérisation tout à fait pertinente («provocante» selon le compositeur lui-même) du Joker sous la forme d’un design sonore essentiellement électronique, élaboré mais imprévisible, instable et au besoin violent : sa «sirène» (un crescendo sur une octave) perturbante, telle un acouphène dérangeant à l’oreille plusieurs fois dans le film, nous fait ainsi entrer de plein pied dans l’esprit du personnage. L’idée est indéniablement brillante… Encore aurait-il fallu, pour conserver toute sa force, que cette véritable «thématique de l’anarchie» propre au personnage prenne place au sein d’un ensemble musical d’une certaine solidité, suffisamment structuré pour qu’il puisse être noyauté insidieusement de l’intérieur. C’est là que le bât blesse terriblement, car peu de choses ont évolué entre cette deuxième partition et la première : même succession maladroite d’éléments thématiques disparates et mal bâtis, dont la majorité est issue du premier opus sans guère plus de macération, mêmes tonitruances dans l’action qui, une fois de plus, semblent n’être là que pour saturer l’écran déjà surchargé de basses en tout genre. De fait, l’alchimie attendue entre les styles des deux compositeurs n’a une fois de plus jamais lieu, laissant sa place à un nouveau numéro mal ficelé où chacun joue sa part à tour de rôle sans jamais vraiment se sentir concerné par ce que fait l’autre. Et quelle meilleure preuve pour l’illustrer que le thème d’Harvey Dent/Two Faces, composé à quatre mains, qui à aucun moment ne parvient à retranscrire ou même simplement évoquer l’ambiguïté profonde du personnage.

 

Joker !

 

Au bout du compte, il n’est même pas interdit de douter du bien-fondé de l’approche choisie : se pourrait-il tout simplement que Zimmer et Howard (avec l’aval de Nolan) aient fait fausse route depuis tout ce temps ? N’est-il pas en effet pour le moins paradoxal d’aborder un film avant tout par ses personnages lorsque le but avoué et revendiqué est de les expliciter le moins possible sur le plan musical ? Car en l’occurrence, à en dire le moins, on finit par ne plus rien dire du tout : c’est sans doute avant tout en cela que la musique de The Dark Knight, comme celle de Batman Begins avant elle, révèle toute sa vaine superficialité là où on la croyait depuis le début profondément ancrée dans son support visuel. Et d’imaginer, pourquoi pas, une partition mettant en exergue un Gotham d’où émergeraient au besoin comme des excroissances les thématiques des personnages qu’elle a elle-même engendrés, une ville comme acteur musical essentiel et qui est ici plutôt inscrite aux abonnés absents malgré l’emploi d’un motif et de textures dont on dira, faute de mieux, qu’elles sont «urbaines». Une partition qui exprimerait ce que l’image n’exprime pas : la vraie provocation, quant à la musique au cinéma, a souvent été là.

 

Par ailleurs, il reste flagrant que l’aridité mélodique sied particulièrement mal aux orchestrations du style Zimmer (sa grande faiblesse depuis des années), là où par exemple un Pirates Of The Caribbean 3 (Pirates des Caraïbes 3), foisonnant à ce niveau, fera passer la chose plutôt bien. Et il est à ce propos assez révélateur que Zimmer ait récemment préféré insister sur la difficulté (et par là même, le mérite) de créer des sonorités électroniques à partir de rien, plutôt que de s’essayer (un jour mon prince viendra…) à l’alchimie non moins délicate des timbres orchestraux, exercice auquel, disons le carrément, il n’entend pratiquement rien. Sur ce point, on pourra donc également trouver la musique de ce Dark Knight particulièrement laide, d’autant que la présence d’Howard n’a à l’évidence été d’aucun secours (ah, cet adagio de cordes façon «bulldozer émotionnel»…).

 

Pour l’heure, le plus grand regret tient peut-être en ce que Elliot Goldenthal ait été appelé beaucoup trop tôt sur la saga, pour deux épisodes-catastrophes qui plus est, tant la modernité de son écriture, d’un tout autre calibre que celui entendu ici, aurait pu (simple supposition) s’avérer autrement plus fructueuse. Quant à Hans Zimmer et James Newton Howard, c’est au terme de cette seconde tentative que la vérité se fait jour : le couple est sans doute stérile…

 The Dark Knight

Florent Groult
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